Un homme en suspens
eukaryot
NB: ce titre est le titre d'un excellent bouquin de Saul Bellow, recommandé avec vigueur comme une giffle sur vos visages béats. Merci de votre attention.
Bon, j'attends. Quoi? J'en sais pas plus que vous. J'attends. J'attends peut être le moment où les perdreaux finiront par se foutre de notre gueule en une envolée foudroyante et implacable. J'attends peut être que les morts se lèvent et marcheront comme un fleuve pestiférée.
J'attends légalement, en toute quiétude, que cette journée termine. Je crois. J'en ai vraiment envie, vous savez, mais je la redoute aussi, la fin, toutes les fins me font peur, et une journée terminée laisse toujours, en fond, comme un arrière-goût, une sensation amère de gâchis.
J'attends le moment où je la retrouverai, elle, toutes les elles, et j'empoignerai à pleine bouche, ces lèvres, à pleine mains ces têtes, ces seins, les siens, les reins la vie.
J'attends d'être adulte, pour souscrire à une convention obsèque, ils font de chouettes pubs à la télé, je trouve, c'est vrai que ça a l'air d'être bien de partir avec l'esprit léger. Seulement, je suis contraignant, et ça me déplairait pas que ceux qui me survivent se dépatouillent à savoir quoi foutre de ma carcasse. Pour ce que j'en ai à foutre.
J'attends probablement le moment où on nous dira, à la télé, qu'il es trop tard. Que c'est foutu. Cancer nucléaire généralisé! Invasion de sauterelles violeuses venues des pires recoins d'Afrique, là où le Blanc fantasme sur des orgies primales, délire Dorcel!
J'attends avec impatience, en tout cas, le moment où l'on nous demandera pardon. On savait pas, on pouvait pas savoir. Si, vous le pouviez. Vous le saviez, et vous l'avez fait tout de même. Pas grave, pour ce que ça change. J'ai la magnanimité expansive, amenez donc vos complices, qu'ils soient pardonnés dans un immense charriage de blagues foireuses.
J'attends le moment, oh oui, où tous les gros foireux du monde reconnaîtront en place publique, qu'ils sont de gros foireux, qu'ils ont honte d'être des gros foireux, que leur maman, leur enfance, leur mariage n'explique ni ne justifie en rien leur état de gros foireux. Ils seront à genoux, faibles et sales et humiliés, ajoutez un pilori, qu'on les réduise tout à fait en poudre, bien sûr distribuée à nos élevages bovins, entre 19h et 20h, de préférence sur la première chaîne.
J'attends que des doigts gégenne raniment mes rigidités moitié cadavre, j'attends que des mains tambours tendent mes peaux mortes, j'attends que ça commence, vite, choppe le popcorn et viens t'assoir, c'est moi qui débute, là! Regarde!
Elle voit que dés la naissance, j'ai commencé à attendre, c'est pas rien.