Un honey badger à Vegas

J'ai ramené Josh d'un voyage en Afrique, il y a 10 ans. J'étais dans la région de Smara. Nour, un jeune touareg, me l'avait offert après que je l'aie aidé à se débarrasser d'une tique humaine qui s'accrochait à sa sœur. Pour me remercier, il m'a fait découvrir ce prédateur des déserts, et sa faiblesse, pour laquelle il ne recule devant rien afin de l'obtenir : le miel ! Quand je suis retourné à Vegas, pour prendre la suite des affaires de Tony, je l'ai pris avec moi. Après tout, désert pour désert, il n'y perdait rien question climat et moi j'y gagnais un allié peu exigeant et très vorace pour tout ce qui était enduit de miel, végétal ou animal, gueulant ou enfin mort.

Il n'y a pas à dire, Josh faisait toujours son petit effet. Tony m'avait dit : « un gars surpris, c'est comme un lapin dans les phares d'une bagnole. Il n'y manque plus que le sel et le poivre pour le bouffer tout net ! » Josh, c'était mon effet « phares de bagnole ». En tous cas, il est vite devenu le seul être vivant sur lequel je pouvais vraiment compter dans les rendez-vous un peu tendus avec des clients pas pressés de payer, ou des fournisseurs pas très exacts sur ma marchandise. Tony, lui, il se baladait avec un dogue, une belle bête, massive. Ça faisait aussi son effet, mais plus direct et avec moins de surprise. Du coup, un jour, on lui a tué son "Rocco", parce qu'on savait ce qu'on devait craindre de lui, et parce qu'il y avait de la place où tirer... Avec Josh, c'était plus sournois. Avec ses 30 cm au garrot et ses 12 kg tout mouillé, il faisait pas peur au premier coup d'œil. Et pourtant, pour qui connaissait le caractère teigneux de la bestiole, et sa capacité à tout bouffer, même le plus coriace et venimeux des scorpions, on savait qu'on pouvait tout craindre !

Il a servi près de 12 ans à mes côtés, Josh, à faire la sale besogne. Et je crois qu'il aimait ça, et que c'est pour ça qu'il s'est jamais retourné contre moi. Il avait compris qu'on était de la même race, mais que j'avais en plus un avantage : celui d'être fourni en miel, régulièrement. Il était alors du festin.

Et puis un jour, il y a eu ce drôle d'accident. On était au bord du canyon près du lac Mead, avec un pauvre type qui allait pleurer quelques doigts, si tout se passait normalement. Et là, un essaim d'abeilles est apparu, tel une boule animée d'une volonté unique. Elle s'est positionnée sur le futur moignon enduit de nectar, s'est enduite dudit miel, et s'est mise à avancer vers Josh, le forçant à reculer pour continuer à être en contact avec son vice. Moi, je n'y faisais pas attention jusqu'à ce que je me retourne, surpris par le trop grand silence dû à l'absence de cris de mon client. Josh basculait dans le vide, toujours émoustillé par sa gourmandise et sans un son. Un instant après, un bruit mat. Penché au-dessus du vide, je le voyais sous moi. Sans cette flèche minérale fichée dans son cou à son atterrissage, je pense que les 300 mètres sur lesquels il a rebondi ne l'auraient pas tué. Pas lui.

Aujourd'hui, sans Josh, les affaires à Las Vegas se règlent de façon moins exotique, plus traditionnelle. Mais nombreux sont ceux qui se souviennent de lui, dans leurs cauchemars ou dans leur chair. Quant à moi, j'ai toujours un pot de miel dans ma bagnole, des fois que...

Licence CC : BY-NC-SA

[petit plus pour les curieux : http://www.madmoizelle.com/ratel-psychopathe-savanes-254581]