Un jour, dans ma rue, il y a eu un incendie

patrick-eillum

Un jour, dans ma rue, il y a eu un incendie

Un jour, dans ma rue, il y a eu un incendie. Pas un feu de poubelle ou de voiture comme d'habitude, mais un immeuble qui a brulé. C'était l'apocalypse au coin de chez moi.

Il s'agissait d'une ancienne maison de maître en briques rouges rénovée et réhabilitée en douze appartements. Il devait être environ 23h & je regardais une rediffusion de « Au delà du réel » sur Jimmy quand j'ai entendu deux détonations.

J'adore revoir cette série en noir et blanc que je regardais le samedi après-midi sur la première chaîne quand j'étais adolescent. C'était un programme qui s'appelait « la une est à vous » où l'on pouvait téléphoner pour choisir le feuilleton qui allait passer. Ça, c'était de la télévision. Rien à voir avec les soap-opéra à la noix qui sont diffusés aujourd'hui où Brendon cherche l'amour en trompant sa maîtresse dans les bras la petite amie de son père !

Quand ça a pété, je suis sorti sur le palier et j'ai vu des flammes s'échapper du rez-de-chaussée. J'ai appelé les pompiers. On ne peut rien faire d'autre à part leur téléphoner et les attendre. Et c'est comme la cavalerie. Ils arrivent invariablement. Pas toujours à temps. Mais ils débarquent quand même.

Quand j'étais môme, il y a eu un incendie dans le commerce que tenaient mes parents. Nous, on habitait au dessus et je m'en souviens comme si c'était hier. Les soldats du feu ont débarqué et ont tout arrosé. Flammes et maison. Tout était noyé. Je me souviens de ma mère qui pleurait dans les bras de mon père pour toute cette marchandise devenue invendable. Pourtant c'était un tout petit feu de rien du tout à cause d'une cigarette mal éteinte d'après les pompiers.

Mais ce brasier là, c'était autre chose. Un feu de première classe avec des flammes de plusieurs mètres de haut. Le sinistre s'est déclaré au rez de chaussée. Ensuite il s'est rapidement propagé à l'entresol par la cage d'escalier en bois. Alors les étages supérieurs se sont embrasés.

Je me nomme Patrick Bayard et j'habite ici depuis que ma femme m'a quitté il y a 3 ans. Mathilde qu'elle s'appelait. Elle m'avait abandonné pour partir avec son chef. Qui était mon chef aussi d'ailleurs. J'en parle à l'imparfait parce qu'ils sont morts tout les deux avec leur nouveau-né. L'assurance a parlé d'un feu de cheminée qui se serait propagé à la maison à cause d'un nid de cigogne. Une drôle de coïncidence, non. Nous nous connaissions depuis la 6 ème. L'année où Mr Morlar, le principal avait péri dans l'incendie du collège du à l'explosion de la chaudière. C'était un petit établissement à taille humaine où l'on pouvait parler avec les enseignants à la récréation. Où le professeur d'anglais donnait aussi les cours de musique, nous faisant découvrir les Beatles ou les Stones. Il assurait aussi les cours de travaux manuels le mardi soir où l'on faisait des maquettes d'avions ou de voitures anciennes. Un chic type

Dans la maison d'en face, on voyait de grandes flammes. C'était le reflet de l'incendie. A la fenêtre du deuxième étage, il y avait un homme, prisonnier du brasier, qui hurlait: « je brûle, je brûle ». Il s'est jeté dans le vide alors qu'il était en feu. Des voisins ont amené des serviettes humides pour l'éteindre. Mais l'homme était déjà inconscient.

Et puis un jour, ce connard de Morlar. C'est comme cela qu'on le surnommait entre nous, Morlar-connard; Pas très futé mais tellement drôle pour des pré-ados boutonnants. Bref un jour, le directeur a renvoyé le prof en question car il fricotait avec sa fille, Elise. La fille Morlar, une blonde thermo-nucléaire de 22 ans renvoyant les sex-symbols du moment au rayon des miss de quartier. Et qui faisait fantasmer les petits blanc-becs comme moi. Bref, nous, on s'est retrouvé sans prof d'anglais-musique-travaux manuels, le dirlo sans sa fille qui s'était tirée. Et un jeudi après-midi qu'il assurait lui-même l'entretien de la chaudière, boum. A force d'économiser sur des bouts de chandelles, voilà ce qui arrive. C'est ce qu'a conclut l'enquête.

De nombreux badauds et voisins étaient présents en bas. Attirés par le malheur des autres, la foule des anonymes était au spectacle. Certains avaient même amené des jumelles pour mieux voir. Cinq véhicules du SMUR étaient arrivés sur les lieux. Sous la violence du feu, les escaliers intérieurs étaient en cendres.

Après le collège, il y a eu le lycée et ensuite l'université. Une filière « touriste » option « glande ». Mon emploi du temps se partageait entre la cafétéria, les zinzins et la salle de cinéma. On pouvait y voir des films expérimentaux sous-titrés en serbo-croate. Ou des rétrospectives. J'y allais surtout pour voir Frida. Frida Zonel. C'était ma voisine de cité étudiante qui était en fac de psycho. Elle tenait la caisse de l'entrée et refusait systématiquement de me faire rentrer gratuitement. Pourtant, sa porte de chambre m'était toujours ouverte. Et Frida n'était pas farouche si vous voyez ce que je veux dire. Elle est décédée dans l'incendie de la cabine de projection. Comme dans « Cinéma Paradisio », le nitrate de la pellicule s'est enflammé. Rarement film a aussi bien porté son nom. « Cat on a Hot Tin Roof ».

Il y avait de la fumée partout et je recevais de l'eau sur la tête. Le maire, Mr Delaulne qui habite le voisinage était arrivé. Vu d'ici, avec ses grands gestes, il avait l'air de coordonner les secours importants arrivés des quatre coins de la ville. 7 lances et 2 grandes échelles. Des moyens imposants en hommes et matériel. Je ne pouvais m'empêcher de fredonner le refrain de la chanson de Sacha Distel. « Qu'est-ce qu'on a fait des tuyaux ? Des lances et de la grande échelle ? »

Le voisin du dessous, Mr Khalo habitait là depuis 5 ans. Un gentil monsieur d'une quarantaine d'années, toujours prêt à rendre service. D'ailleurs, c'est lui qui a organisé un apéritif dans la cour du bâtiment à l'occasion de « Immeubles en fête ». C'est comme cela qu'il avait fait la connaissance de Roxanne, la voisine du dessus. Une jolie blondinette qui ressemble à Mathilde. Quasiment un sketch de Raymond Devos. Et que je monte tapisser chez toi. Et que je te descends des petits gâteaux pour te remercier. La semaine dernière, ils étaient à la même table lors de la fête de l'amicale laïque de l'école du secteur. Aujourd'hui, j'ai entendu le lit de la chambre située au dessus de la mienne, grincer toute l'après-midi. C'est surement comme ça que ça s'est passé entre ma femme et mon chef.

Je crois que j'ai fait une grosse bêtise. Comme quand j'étais môme avec la cigarette. Comme quand j'étais au collège ou à l'université. Ça m'a repris. J'ai rechuté. J'ai foutu le feu à leurs boites aux lettres.

La voix de l'éclair édition Métropole

Publié le dimanche 14 Juin 2010 à 10h27  Mis à jour le 14.06.10 | 14h04

Peu après 9 heures, les pompiers ont pu entamer une reconnaissance à l'intérieur du bâtiment. «Il y a encore énormément de débris à fouiller», a précisé un responsable. Ils ont néanmoins retrouvé rapidement un cadavre calciné dans les décombres de la bâtisse. Certains corps sont difficile à identifier formellement. Mais avant d'être autopsié à l'institut médico-légal à partir de lundi,on a retrouvé sur lui une pièce d'identité au nom de «Patrick Bayard ». « On ne peut rien affirmer avant l'analyse. Ce n'est pas parce qu'on a retrouvé une pièce d'identité sur la personne que c'est forcément la sienne », témoigne une source policière. L'enquête qui s’avère difficile tant les dégâts sont importants, devra aussi déterminer les causes de l'incendie qui a donc fait sept victimes et onze blessés.

Photo AFP – Alain CONION

Patrick Eillum

Mont de Terre

Février 2010

Signaler ce texte