Un mariage averti en vaut deux

Thierry Kagan

(discours du marié)

Chers amis, chère famille.
Chère toi, ma Jeanne, ma promesse de chaque jour.
Cher moi, mon éternel recommencement, mon amour.


En acceptant nos invitations un peu forcées pour notre premier remariage, vous pensiez certainement tous que, devant vous, j'allais brûler nos anciens livrets de famille et que je trancherais à l'Opinel chauffé à blanc, les doigts qui avaient déjà porté l'alliance.


Celui de Jeanne en premier, les dames d'abord.

Eh bien, non!
Cette femme, que vous m'enviez tous, comme moi – enfin, vous ne m'enviez pas moi, je le sais bien, je veux dire «elle comme moi» –, avons gardé, non comme un fardeau, mais dans une brouette – plus pratique, parfois brinquebalante mais souvent japonaise – tout ce qui a fait notre passé: nos joies, nos peines, nos casseroles et nos passoires mentales, pour en arriver jusqu'à vous, ce soir, afin de vous éclabousser avec notre maritale joie dégoulinante.


La preuve, que Jeanne, par exemple, apporte au pot commun de notre union ses antérieures portes-battantes-dans-la￾gueule… facile à deviner ! : elle n'est pas vierge.


D'ailleurs, depuis que je la fréquente – je l'ai connue, elle était petite comme ça et tenace comme elle est, elle n'a pas grandi d'un pouce depuis – vierge, Jeanne ne l'a jamais été avec moi.


Et cela fait un bail, maintenant.
Même deux, puisque j'en suis à 6 ans d'affilée, de fréquentation assidue, quasi fidèle.
Belle performance, n'est-ce pas, vous en conviendrez tous.


Sa virginité, elle l'a troquée contre des expériences de la vie que l'on caractérise de «plus-que-balaises», comme certains le savent ici.


La résultante?


Cette beauté intérieure qui habille coquinement – vous l'admirez ce soir – la douceur de ses traits et l'intelligence relationnelle de son charmant corps tout souple – dont je vous parlerai à chacun, dans l'intimité, selon votre demande et le prix payé – cette résultante m'éblouit tous les matins lorsqu'au réveil, elle me reconnaît et me dit «Bonjour !» avec un sourire pas tout à fait aligné, certes; et non, «Mais qui êtes-vous, monsieur ? Il n'y avait, à cette place, hier soir, qu'un être quelconque, carrément moins bien bâti !».


Tout ça parce que, la veille, le petit cri fébrile de mon corps spongieux n'avait pu se faire entendre plus fort que l'appel de Morphée.


Jeanne est merveilleuse et pas rancunière et je lui en sais gré chaque matin du monde.


Plus encore.

Comme n'a peut-être jamais écrit Victor Hugo, il y a des femmes, dont Jeanne est, qui savent changer toute la vie d'un homme.
À ne pas confondre, bien sûr, avec ce que notre Rocco Siffredi à tous a pu murmurer à l'oreille d'un âne, un soir à se les calmer tous les deux au coin du feu, avec quelques glaçons : «Mon frère : te rends-tu compte comme le vit d'un homme peut changer absolument toute une femme?»


Sur ce thème, de tous les enfants que nous nous efforçons de ne pas avoir plusieurs fois par semaine – je ne vous dirai pas comment –, cette soirée inaugure et est un peu comme une première progéniture commune de taille.


Nous l'avons appelée… Rooftop.
– Rooftop, viens ici… tout de suite.
– Rooftop, à table!
– Chérie, tu as sorti Rooftop?


Ça sonne parfaitement bien, vous êtes d'accord !


Et je vous remercie tous d'être là pour l'honorer, ce Rooftop.
Et pas seulement pour boire et manger et vous moquer de ma
chemise.


Comme vous le savez, nous étions contraints par la surface réduite du lieu et n'avons pu rassembler qu'une partie de ceux qui nous ont réjouis dans la vie par leur sympathie, leur bienveillance – putain, ce que je déteste ce mot! – leur sincérité et leurs nombreux coups de pied au cul en ce qui me concerne, m'ayant permis de devenir moins pire que l'idée que se font encore ceux, nombreux, très nombreux, que j'insupporte.


J'espère aussi que les êtres chers qui nous ont quittés trop tôt – ou tard, mais c'est toujours trop tôt – se sont invités d'eux￾mêmes pour profiter de ceux, dont je fus, qui les appréciaient tant quand ils étaient encore sur Terre.
Salut maman, salut Elisabeth, salut mes tantes et oncles, salut à mes tendres amis Patrick, Pierre, Georges, Richard et Chantal.


Je pense aussi à mes amis Marc, Soleil et Nicolas qui eux, n'ont pu se joindre à nous parce qu'ils n'avaient pas de cadeaux.


Quant à ceux qui n'ont pu venir à cause d'une série Netflix à terminer ou à revoir, je sais qu'ils pensent à nous pendant leur passage d'un épisode à l'autre.
C'est ça, l'amitié!


Merci à vous tous, mes amis riches. Et bien sûr, surtout, à mes amis très très riches.


Je n'ai pas d'amis pauvres! C'est comme ça.
J'ai tellement de mal avec ces gens qui n'ont pas ce grand quelque chose en plus qui laisse passer leur lumière et fait briller l'esprit des autres.

C'est comme ça !


Aussi, bien sûr, je pense fort à mon père, ce héros, qui m'accompagnait ce matin à la mairie, à quelques années de la centaine, droit comme un i-grec et prêt à signer à ma place si je défaillais; à mon fils Jean, capable d'avouer – pas seulement sous la torture – que j'ai dû être un bon père une ou deux fois dans sa vie; à mes belles-filles Inès et Agathe qui ont la gentillesse de me dire à temps toutes les fois où je suis ringard, « cringe» et pas drôle; à toute la famille de Jeanne qui m'a accueilli sans trop porter plainte; et enfin, à François et Carine qui ont eu la très bonne idée de se faire choisir, pile à la conception, par l'âme aimante et positive qu'est leur fille.


Une pensée aussi pour ma famille qui n'est pas là, de mon propre fait ou du leur. Et pour ma brillante fille qui, un jour peut-être avant la tombe, aura plaisir à me revoir.


Enfin, merci Jeanne, à toi que j'admire.

La preuve, encore une fois, que je te respecte tant : tu me rappelles souvent – et tu t'en targues même –, que tu es une fille de la campagne et jamais, au grand jamais, je ne t'ai traite. Pas une goutte. Rien!


Dis-leur, toi, dis-leur à tous, combien je t'aime.


Je termine là.


Soyez heureux car... j'aurais pu faire pire.


Bonne soirée à tous.

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