Un monde meilleur

Möly Mö

Texte écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture en ligne, avec comme thème d'utiliser un mot d'une autre langue intraduisible dans la nôtre. Bonne lecture!

19H45 affichait l'horloge hologramme sur le mur. Le bras électronique vint s'insérer dans l'épaisse chevelure et de ses doigts métalliques, vint brosser avec soin les longs, très longs cheveux noirs. Chaque soir, c'était réglé ainsi, Mirande s'occupait de ses cheveux, les peignait puis les tressait avant qu'elle n'aille se coucher. Il s'occupait de la jeune fille depuis qu'elle était toute petite, il faisait parti de la famille et elle s'était attachée à lui. En particulier depuis que ses parents avaient disparu, un an plus tôt.


Elle, c'était Juman. Elle avait dix-sept ans. Et depuis un an maintenant, elle vivait isolée avec Mirande, son humanoïde qu'elle considérait comme un frère. Mirande avait été acquis par la famille pour s'occuper des tâches ménagères et de Juman, quand ses parents travaillaient. Juman ne sortait pas de chez elle ou très rarement. Elle avait peur de l'extérieur, peur des gens. Elle sortait uniquement, et toujours accompagnée, pour aller admirer les plantes du jardin botanique suspendu, dans le quartier vivant de la ville. Elle adorait ce quartier car il recelait ce qui existait de plus merveilleux sur l'ancienne planète qu'on appelait la Terre : des spécimens animaliers, des plantes, des fleurs, des arbres, des insectes. Des rivières, du sable. Une foule de choses qui lui procurait des sensations de bien-être et de sérénité. Et dès qu'elle remettait un pied dans la vraie ville, son cœur manquait de céder toutes les cinq minutes. Mirande serrait ses doigts fins avec douceur, de sa main de métal. Il prenait grand soin de la petite fille, lui était entièrement dévoué.


Et chaque soir, c'était Mirande qui se chargeait de passer ses doigts dans la magnifique chevelure de Juman. Elle les gardait long et les coupait deux fois par an. Du moins, elle ne donnait ce droit qu'à Mirande qui lui coupait ses pointes abîmées, de ses doigts de ciseau. Il le faisait toujours à son goût, suffisamment pour assainir la chevelure mais pas trop court, pour que Juman garde autour de son visage, sur ses épaules et le long de son dos cette cascade brune. Cela la rassurait de s'emmitoufler dans ses propres cheveux. Elle enfilait ensuite un pyjama et pénétrait dans sa cabine de couchage, elle demandait à Mirande de lui lire une histoire au hasard. Il prenait un moment pour télécharger le livre choisi puis il commençait à lui lire le premier chapitre et elle s'endormait paisiblement. Mirande refermait la porte de la cabine, la lumière rosée s'éteignait lentement une fois la porte fermée. Puis, il allait s'asseoir dans son fauteuil pour se recharger toute la nuit. Les parents de Juman, qui rentraient tard, venaient déposer un baiser de bonne nuit à leur fille. Et le lendemain, la journée reprenait de plus belle.


Une routine s'était installée, et pour Juman tout fonctionnait très bien comme cela. Cependant, elle était peut-être trop jeune pour tout comprendre, mais elle arrivait à percevoir des détails dans les conversations de ses parents, des mots, des remarques. Elle savait quand quelque chose clochait au travail. Ses parents étaient de grand.e.s biologistes, spécialisé.e.s dans le vivant terrien. Pour recréer cette nouvelle vie sur la planète actuelle, il y avait eu besoin de mettre en place un conseil de membres éminents sur le sujet et les parents de Juman en faisaient parti. Ancien.ne.s habitant.e.s de la Terre, comme le reste des membres ; iels étaient les mieux placé.e.s pour trier le bon du mauvais de ce qui avait été fait par le passé : les erreurs, les innovations. Les choses à garder et les choses à jeter, en somme.


La destruction de leur planète, comme pour la plupart des surivant.e.s, fut un traumatisme terrible. D'autant que la mère de Juman était enceinte à cette époque. Un gouvernement avait clairement pris possession de la Terre, un pays puissant, riche et armé et un dirigeant sans pitié, mégalomane et fou av ait réussi à asservir le reste du monde. Plus de la moitié de cette planète étant déjà plus ou moins sous le joug d'une poignée de pays riches, cela n'avait pas été bien compliqué.



Une guerre mondiale, des armes nucléaires et puis les grandes avancées technologiques et scientifiques utilisées à mauvais escient, furent une grande aide pour que cet homme finisse par écraser tout le monde. Juman ne savait pas beaucoup de choses sur ce qui était réellement arrivé, les survivant.e.s ne parlaient pas souvent de ce passé. Dans les cours dispensés chaque matin par son institutrice en hologramme, le sujet était survolé voire évité. Pour beaucoup, c'était encore douloureux.


Les parents de Juman s'étaient battus pour la sauvegarde du plus grand nombre d'espèces vivantes terrestres, mais la majorité avait été décimée quand iels quittèrent leur planète. La laissant ravagée par la guerre, dévastée par des actes aux conséquences meurtrières. Cela avait été terrible et douloureux d'arriver sur une planète aseptisée, construite de toute pièce. C'était en quelque sorte, un immense vaisseau spatial de la taille d'une planète. Pas aussi grande que la Terre mais suffisamment gigantesque pour y accueillir le reste de la population qui avait survécu et qui avait souhaité fuir le massacre.

Car, oui, certaines personnes étaient restées là-bas, étant en accord avec le gouvernement mondial. Et malheureusement, d'autres n'avaient pas pu fuir faute de moyen financier mais aussi, et surtout, faute d'avoir été prévenu qu'un moyen de s'échapper avait été planifié, en direction d'une « autre Terre ».


Le début avait été laborieux, l'assemblage de vaisseaux spatiaux ressemblaient à un patchwork de Lego. De nombreuses structures cédèrent. De multiples décès, dus aux conditions de vie, dus au choc traumatique, aux manques de médicaments et de soins touchèrent la population. Et beaucoup d'espèces : animaux, plantes, insectes ne survécurent pas.

Ce fut une tragédie et l'espoir des gens avaient fatalement chuté. Parmi ces gens, cependant, il y avait entre autre les parents de Juman qui voulaient y croire, qui voulaient se battre. Iels avaient la chance d'avoir des connaissances, des aptitudes, pour réussir à construire un nouveau monde. Un conseil fut mis en place réunissant des membres pour qui la population avait voté.

Au sein de ce conseil des personnes diplômées et formées à différents sujets : biologie, technologie, sciences mais aussi la culture, l'histoire. On tenta de réunir le plus possible de personnes aux diverses compétences qui se lancèrent dans un brainstorming d'urgences afin de garantir la survie de chaque espèce présente.



Au fil des années, et malgré l'espoir et l'ambition de créer un monde meilleur : la course à la gloire, au pouvoir et à la richesse avaient repris de plus belle. L'argent n'existait plus mais une autre forme de monnaie avait été inventée, remettant en place l'ancien système capitaliste qui asservissait et créait de profondes inégalités.

Le Haut Conseil pour la sauvegarde des espèces terriennes, pour la dignité et pour l'égalité tenta de lutter contre les divers mouvements contestataires qui apparurent...en vain. Il gardait tout de même une grande partie du pouvoir, accordé par la population, et persévérait à maintenir une existence digne pour tous et toutes.


Mais dans certains quartiers, on grondait. On était pas d'accord avec les décisions prises, on se révoltait contre le nombre d'inactifs.ves qui n'aidaient pas la société à aller de l'avant. Ce mouvement luttait contre les aides apportées aux plus démuni.e.s, décrétant qu'au sein de ces personnes soi-disant faibles, il y avait suffisamment de bras pour construire et développer ; suffisamment de cerveaux pour apprendre et faire avancer la société.

Le Haut Conseil avait décidé des années plus tôt d'accueillir de nouveaux.elles survivant.e.s provenant de la Terre. Le mouvement anti-Haut Conseil s'était insurgé. Une foule de gens avait fini par manifester leur mécontentement et leur colère contre cette décisions. Pour elleux, il était impensable voire inconscient de continuer à accueillir de nouvelles personnes alors que notre nouveau système, presque vingt ans après ; était encore bancal.



Juman vivait ça de loin, elle était une petite fille mais elle entendait tout et elle enregistrait tout. En grandissant, en ayant acquis une certaine réflexion ; elle comprenait maintenant l'importance du rôle de ses parents et à quel point iels avaient participé à les sauver, tous et toutes. Plus le temps passait, plus elle admirait ses parents.

Certes, iels étaient peu présent.e.s, très pris.e.s par leur travail. Mais la tristesse de leur absence fit place, à l'adolescence, à une grande fierté pour ce qu'iels faisaient chaque jour. Cela poussa Juman à emprunter la même voie qu'elleux . Elle n'avait certes pas connu la vie sur Terre, elle n'avait pas perdu une partie de sa famille ou toute sa famille, au beau milieu d'une guerre sanguinaire mais elle voulait mettre sa pierre à l'édifice et aider, elle aussi.


Quand elle eut quinze ans, ayant en tête l'envie d'améliorer le quotidien des gens, elle orienta donc ses études vers les sciences et la technologie. Ses parents la soutinrent non sans une pointe d'émotion et de fierté. Elle eut même la possibilité de participer à certains de leurs travaux en qualité de stagiaire.

Pendant ce temps, le mouvement contestataire s'était donné le nom de Mouvement pour un Monde Meilleur : le MMM. Et de plus en plus de partisan.ne.s gonflaient ses rangs. Iels gagnèrent même un siège au Haut Conseil en plaçant une ancienne trader et directrice financière, spécialiste en gestion de l'économie. Autrefois députée dans l'ancien système politique sur Terre.


Au sein du Haut-Conseil, on ne voyait pas d'un bon œil la concrétisation de ce mouvement et son impact, ainsi que la présence de ses membres au siège du Haut-Conseil. Les parents de Juman furent alors invités à rejoindre un groupe radical visant à lutter contre ce mouvement.

Tout cela, Juman n'en savait rien. Ses parents étaient tenus de n'en parler à personne. Elle poursuivait avec aisance et intérêt, ses études et prenait plaisir à sortir avec Mirande de temps à autre pour aller admirer les chiens et les chats en liberté, les papillons et les mouches. Les coquelicots, les orties, les herbes hautes.

Elle s'était même prise d'amitié pour la jeune fille qui s'occupait des animaux. Juman n'avait jamais vraiment eu d'ami.e.s. Excepté certains enfants avec qui elle avait essayé de sympathiser dans le voisinage, en vain.

Mais avec Ormille, elle avait eu un coup de foudre amical. Juman avait même fini par demander à Mirande de la laisser aller seule jusqu'au quartier vivant, dorénavant. Il avait été vexé au début et s'était acclimaté à cette nouveauté, voyant ça comme un événement positif dans la vie de la l'adolescente.



Lorsqu'une nuit, il y eut du mouvement, du bruit, des voix qui s'élevaient dans leur logement. Juman dormait à poings fermés, elle se réveilla quand elle entendit Mirande sortir de son état de chargement et se mettre en situation d'urgences.

Elle poussa la porte de sa cabine de couchage, rejoignit Mirande qui essayait de joindre les services de sécurité.

Sur le sol de leur appartement, s'étaient brisés des bibelots et des verres. Des traces de pas crasseuses avaient souillé le tapis et se dirigeaient vers la chambre des parents.

Visiblement, il y avait des traces de lutte, iels s'étaient débattu.e.s mais les agresseur.e.s devaient être nombreux.euses ou plus puissant.e.s. Juman ne réalisa pas tout de suite ce que cela signifiait, elle était pétrifiée.


Les jours passèrent, ses parents ne réapparurent pas et elle apprit que plusieurs personnes du Haut-Conseil avait disparu. On accusa le MMM qui se défendit avec hargne en appuyant des alibis crédibles. Ou bien, tout simplement, en s'étant allié avec des membres des services juridiques corrompu.e.s.

Le système actuel vacillait complètement. C'était la chute du nouvel espoir, la chute d'un monde certes, avec des imperfections mais un monde qui faisait de son mieux. Un monde reconstruit à partir de rien, sinon un mélange d'espérance et de détresse.


Juman avait toujours soutenu ses parents et aujourd'hui, d'autant plus. Cela faisait un an qu'elle ne les avait plus revu, elle avait toujours au fond d'elle la certitude de les revoir un jour.


Mirande continuait à enfoncer délicieusement ses doigts dans ses cheveux, cela la rassurait, la détendait. Elle ferma les yeux et se laissa aller, en confiance. Elle n'avait plus que lui et Ormille. Elle lui avait tout raconté, Ormille avait été profondément révoltée et peinée. Toutes deux décidèrent alors d'intégrer le groupe radicalisé dans lequel les parents de Juman agissaient ; pour elles aussi se battre et tenir bon face au nouveau Haut-Conseil, face au MMM.


Juman lutterait jusqu'au bout, jusqu'à la fin de sa vie s'il le fallait ; pour revoir ses parents et pour leur rendre ce qui leur était dû : l'espoir d'un vrai monde meilleur.

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