Un peu plus proche des étoiles

petisaintleu

Hanz était brillant. À 24 ans, il sortit docteur en philosophie de l'université de Fribourg-en-Brisgau. Il avait travaillé sur la phénoménologie, sa thèse portant sur l'Esthétique transcendantale de Kant. Issu de modestes paysans de Thuringe, il déchanta vite quant à ses rêves à se hisser dans la hiérarchie sociale. Ses mains devenues trop fines pour tenir une fourche et son langage ampoulé l'empêchèrent de se lancer dans les travaux champêtres. Il partit tenter sa chance à la capitale.

En 1931, il en était réduit, bienheureux de ne pas crever de faim, à œuvrer comme vendeur de costumes de luxe pour la très rare bourgeoisie qui avait pu rester en dehors de la lie qu'était devenue la nation allemande. Son patron, le respecté Josef Rosenberg, descendant d'une famille de tailleurs qui remontait au 18ème siècle, faisait tout son possible pour préserver ses salariés de la misère. Il s'était battu bec et ongles pour qu'ils puissent avoir accès, malgré leur totale absence de judaïcité, aux aides apportées par la synagogue de son quartier. Alors, au-delà la mouise, en se serrant les coudes, on arrivait encore à plaisanter, malgré les divergences qui souvent animaient les soirées, une fois les rideaux baissés.

Tout était noir, hormis les chemises brunes qui jusqu'alors était sa couleur préférée : le pain, les idées et l'avenir. Des éclaircies semblaient pourtant poindre. Mais, on le sait : après le beau temps viennent les orages. Ils seraient d'acier.

Pourtant, un jour, se produisit une éclaircie. Greta accompagnait sa mère en vue d'acheter une cravate pour l'anniversaire de son père. À cette époque, Berlin était encore la capitale de tous les excès et de tous le plaisirs. Malgré leur différence sociale, ils n'échappèrent pas aux tourbillons. Ils parvenaient à se retrouver dans un hôtel de Köslinstraße. Fuyant la concentration berlinoise et le qu'en dira-t-on, ils parvinrent même à s'échapper quelques jours sur la côte de la mer Baltique. Le soir, il se serraient sur la plage pour admirer les étoiles. Combien y en avaient-ils ? Combien avaient disparues dan l'holocauste de l'infini ?

Sept ans plus tard, il marchait constamment les poings serrés dans les poches. Il ne supportait pas cette vermine qui, depuis trop longtemps, se servait sur le dos du peuple et s'était fait berner par des discours obscurs que l'on pourrait qualifier de cabalistiques.  Un jour viendrait, il en était certain, où sonnerait enfin l'heure de régler les comptes avec tous ces salauds. Il avait assisté aux autodafés et aux vitrines que l'on brisait en ricanant. Qu'importe que l'on brulât Spinoza ou Kafka. Il ne s'agissait que d'épiphonèmes, il le savait. Rirait bien qui rirait le dernier.

Au quotidien, il n'était pas vraiment actif. Il était un intellectuel et vivait par l'intermédiaire de ses livres et de ses idées. Elles suffisaient à appréhender le monde qui changeait et à se sentir relié au Cosmos. Il relativisait sur l'essence de la vie, sur le poids de l'existence humaine et sur la mort. C'est en cela qu'il se désintéressait de son environnement et qu'il restait de marbre face à ceux qui furent ses prochains. Il n'avait aucune compassion, à peine la sensation d'être une cellule qui luttait contre la racaille avec ses modestes moyens.

Ses amis avaient pourtant essayé à maintes reprises de le sortir de sa torpeur dans une auberge à coups de pintes, de schnaps et d'idées de grandeur. À vrai dire, il vécut toutes ces années comme un rêve éveillé. En quoi aurait-il été malheureux ? Son handicap, un pied bot, le laissèrent hors des portées du front et des railleries.

Greta avait disparu depuis 1941. Quatre années d'espoir, entre la nuit et le brouillard. Josef réapparut miraculeusement en juin 1945, la mine émaciée et tranchante comme un couteau de boucher. Ivre de vengeance, il le réduisit en cendres dans les décombres de la ville grise. Comment aurait-il pu le savoir avant de récupérer dans ses poches imbibées de sang un carnet ou était écrit sur la couverture Pensées de l'irraison pure ; réflexions contre la fripouille nazie ?

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