Un policier, ça ne s’agresse pas

Thierry Kagan

Les âmes honnêtes - dont vous êtes, je n'en doute pas - commettent aussi des erreurs.

Et honnêtes comme elles sont, si elles se font choper, plutôt coupables à fond qu'innocentes à tort.

Hein, quand on est honnête !

Mais la confusion suprême, pour ces bestiaux-là : être reconnus coupables, alors qu'ils ne sont que sincères et spontanés.

 

Par exemple, ce gentleman est sincère et spontané lorsqu'il choisit de n'avoir d'yeux langoureux que pour la jeune et jolie femme à sa droite. Et on le dira coupable, s'il souffre d'un torticolis qui lui interdit de voir, encore plus à droite, la vieille et moche à faire traverser.

 

Il est sincère et spontané lorsqu'il reconnaît de dos son ennemi et qu'il enlève la chaise sur laquelle celui-ci comptait se poser.

C'est sincère, c'est spontané !

Il est coupable si, pour rendre service et éviter la chute d'un inconnu, il est pris sur le fait en ramassant l'assise déséquilibrée par les creux de genoux de ce même inconnu.

 

Contre les preneurs d'otages manifestant du service public, il est sincère et spontané lorsqu'il saute par-dessus le tourniquet.

Sincérité et spontanéité pour manifester à son tour son mécontentement !

Et coupable si, après s'être gratté trop fort l'arrière-train, son ticket tombé à terre, il n'a rien à présenter à la molosse adipeuse de contrôleuse.

 

Enfin, il est sincère et spontané lorsqu'il décide de ne pas prendre avec lui ses papiers d'identité, parce que ça l'encombre et qu'il pense avoir une bonne tête qui n'enculerait ni une mouche, ni deux.

Et il sera coupable s'il dit les avoir oubliés dans le jeans parti au lavage avec la nouvelle lessive aux enzymes qui se foutent, mais complètement, de la nationalité de la carte, aussi française soit-elle.

 

Voilà.

 

Moi, d'une manière générale, je ne suis pas coupable.

Et surtout - surtout ! - je suis souvent sincère et spontané.

 

Mais l'autre jour, dans le métro, une femme jolie comme un cœur m'a jeté un œil par-dessus l'épaule d'un policier en uniforme.

Comme aucun pigeon ne m'avait fait dessus ce jour-là, elle ne pouvait me regarder que parce que je devais lui plaire ou lui revenir.

 

Moi, troublé, j'ai non seulement bousculé une vieille dame qui n'avait pas la mécanique des fluides très fluide.

Mais aussi, fait tomber un musicien aveugle qui allait s'asseoir sur une chaise d'époque fragile.

Puis, j'ai remis mon pass Navigo dans la poche du blouson du coté où justement il n'y a aucune poche.

Et enfin – surtout - j'ai répondu par un sourire béat à cette jeune femme.

 

Vous devinez - puisqu'en plus d'honnêtes, vous êtes intuitifs : c'est le policier en uniforme qui l'a pris en plein  blase, le sourire.

Rien que pour lui.

 

Comme en plus d'être d'honnêtes intuitifs, vous avez un instinct de conservation hors du commun, vous savez qu'il est très hasardeux de sourire à un policier en fonction. Surtout quand devant lui, vous avez bousculé une vieille et un aveugle et que vous avez perdu votre pass Navigo qui n'a pas trouvé sa place dans une poche qui n'existait pas.

 

C'est pourquoi, maintenant, je suis honnêtement assez sombre, dans le métro.

Spontanément.

Et sincèrement.

 

Je regarde rarement les gens.

Qui, d'ailleurs, sont plutôt sombres, eux aussi.

 

A croire que tous, un jour, ont maladroitement souri à un policier en uniforme.

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