un racisme peut en cacher un autre
Jean Jacques Sebille
Nombre d'immigrés, jeunes ou vieux sont victimes de racisme. Nombre de français le sont aussi pour peu que leur faciès ne correspondent pas aux critères largement fantasmés de certains de nos concitoyens, nourris dans leurs préjugés par des discours politiques nauséabonds. Non, nous n'avons pas, nous français, une lignée directe avec les gaulois ; non, la France n'est pas uniquement blanche. N'oublions jamais que les français de Savoie ou de la région de Nice sont français depuis moins longtemps que nos compatriotes antillais. Depuis 1635 les Antilles ont une histoire qui se confond avec la France. Et comme pour toutes les autres régions de France annexées, cette histoire connut des heures sombres, voire dramatiques. S'en souvenir n'est pas renier la France c'est au contraire l'aimer, la chérir et faire en sorte qu'elle devienne une plus belle nation chaque jour. Donc, la France n'est pas blanche et pour ceux qui en doutent il suffit de parler avec tous nos compatriotes à la peau plus ou moins colorée qui sont français, le disent, le revendiquent. La querelle serait anodine et si tout cela ne dissimulait pas des situations quotidiennes de grande violence. Lorsqu'on ne l'a pas vécu, on ne peut pas savoir. Tout comme il est difficile de comprendre les discriminations faites aux femmes quand on est un homme, les brimades fautes aux homosexuels quand on est hétéro, il est dur de comprendre l'agression intime et existentielle qui se cache derrière toute parole ou acte raciste. Je me souviens de ce jour où mon frère dut expliquer le racisme à son fils, métis, qui venait de se faire invectiver dans la rue en rentrant de l'école. Il avait été agressé verbalement par un homme d'une soixantaine d'années qui lui avait lancé avec haine « rentre dans ton pays ». Mon neveu avait 9 ou 10 ans. Cette violence faite à un enfant est un crime terrible qui mériterait d'être davantage souligné et puni. C'est une maltraitance sur mineurs. Au-delà de la violence, ce type de propos montre le degré d'ignorance de ceux qui les profèrent. « Rentre chez toi ». cette phrase est terrible quand on est chez soi et surtout quand on n'a pas d'autre maison. La France a de nombreux visages et le dire n'est ni une opinion, ni une position idéologique. C'est un fait. Une réalité. Depuis plusieurs siècles des étrangers viennent en France, s'installent en France et donnent vie à des enfants en France qui sont français. Notre nation s'est toujours construite ainsi et elle le continuera à le faire à moins que nous laissions ses ennemis la pervertir à l'image de ce que fit la France de Vichy dont, soit dit en passant, les héritiers sont à la porte du pouvoir.
Le racisme est d'autant plus ravageur qu'il crée chez ceux qui en sont victimes un ressentiment, une obsession, une envie de vengeance, parfois un complexe qui biaisent toutes les relations sociales et pour faire simple, le rapport aux autres. Il n'est pas donné à tout le monde d'avoir le discernement d'un Nelson Mandela, de comprendre qu'il y a d'autres enjeux, d'autres formes de discrimination qui n'ont rien à voir avec la couleur de peau.
Sans vouloir le sous-estimer, je crois qu'il y a en France, un racisme plus fort, plus ancré dans les consciences, plus dévastateur que celui qui se fonde uniquement sur les différences physiques : le racisme social. C'est un racisme car lui aussi se fonde sur des préjugés. Lui aussi crée de la discrimination, une hiérarchie au sein des groupes et lui aussi instaure un apartheid. Les jeunes de banlieues ne sont pas tant discriminées parce qu'ils sont noirs ou arabes. Ils le sont surtout parce qu'ils sont pauvres, qu'ils viennent de villes où les populations sont pauvres parce que leurs parents ne sont ni médecins, ni cadres dans la fonction publique. Le périphérique nord à paris n'est rien d'autre qu'un mur invisible qui sépare deux mondes aux réalités sociologiques bien différentes. Les villes sud-africaines ne sont pas construites différemment. A l'extérieur du périphérique, on ne parle pas comme les autres. On n'a pas le même vocabulaire, on n'a pas les mêmes références culturelles, le même système de valeurs, les mêmes divertissements, les mêmes goûts, les mêmes habitudes alimentaires, les mêmes vacances. Relisons Bourdieu pour s'en convaincre. Le racisme social est efficace car il est sournois et invisible. Personne ne vous traitera de « sale pauvre ». Personne ne vous dira que vous ne faites pas partie du monde qui compte. Ce qui est en cause ce n'est pas votre couleur de peau, mais votre maladresse de pauvre, vos goûts de pauvre, votre ignorance de pauvre, votre naïveté de pauvre, votre innocence de pauvre. Parfois votre agressivité ou votre franc parler de pauvre. Et aussi votre honte de pauvre. Votre vie de pauvre. Dans le film Fatima qui eut le César du meilleur film l'an dernier, les deux jeunes adolescentes réagissent chacune à leur manière à ce racisme. La plus âgée qui fait des études de médecine, dit à une amie qui veut l'inviter à une soirée d'étudiants « je n'irai pas car je ne veux pas avoir à dire que ma mère ne parle pas français, qu'elle fait des ménages ». La phrase est dite : qu'elle fait des ménages ! Elle ne dit pas je ne veux pas dire que je suis arabe. Ce qui l'effraie c'est ce qui ne se voit pas et qui la discrimine pour de vrai.
Même s'il y a des racistes irrécupérables, l'immense majorité des gens savent qu'être noir, arabe ou « blanc » ne conditionne ni nos aptitudes, ni notre intelligence, ni notre vertu. Teddy Riner, Tony Parker, hier Zidane sont des héros nationaux. Mouloud Achour a son émission sur Canal Plus. Najat Vallaud-Belkacem, Rachida Dati sont ou ont été ministres. En revanche, nombreux sont ceux qui pensent qu'une femme de ménage a moins de valeur qu'un banquier. Qu'un éboueur a moins de valeur qu'un cadre. Qu'une caissière chez Carrefour a moins de valeur qu'un chef d'entreprise. Nombreux sont ceux qui pensent que si vous n'avez pas les mêmes références culturelles, vous valez moins bien qu'eux, que si vous ne passez pas vos vacances dans les mêmes endroits, vous valez moins bien qu'eux. Quand on est dans la finance et qu'on travaille et vit dans le centre de Paris et qu'on gagne très bien sa vie, il n'y a aucun problème à inviter à dîner chez soi, un collègue noir ou un autre qui se prénommerait Karim. En revanche, convier à sa table, une caissière du Franprix est tout bonnement inconcevable. Et d'ailleurs cela n'arrive jamais. Djamel Debbouze n'est pas moins arabe maintenant qu'il est star, que lorsqu'il avait 15 ans à Trappes et qu'il ne faisait pas rire la France entière. Omar Sy n'est pas moins noir ! Mais ils ne sont plus pauvres. Ils ont changé de classe sociale. Ils ont réussi. Ils sont désormais convenables et fréquentables. Ils n'habitent plus leur banlieue de « pestiférés » et surtout ils ont d'autres relations, une autre manière de vivre, l'aisance et le naturel qu'on acquiert quand on a été adoubé et accepté. Le propos n'est pas de les juger, ou de dire qu'ils ont changé au fond deux. Nul ne peut remettre en cause leur authenticité ou leur sincérité sans les connaître. Mais il n'en demeure pas moins vrai qu'ils ont changé de monde. Et tant mieux pour eux.
Là où les choses se compliquent c'est que dans notre société les pauvres sont souvent noirs ou arabes ou immigrés. Et les deux racismes ont tendance à se superposer, à ne faire plus qu'un. La couleur devient un critère d'identification du pauvre. Dans notre société, ceux qui font les ménages dans les bureaux tôt le matin et tard le soir sont des femmes et sont noires. Toutes, sans exception. Quand une femme blanche marche dans la rue avec un bambin de couleur, c'est une mère adoptive. Quand une femme noire est derrière une poussette avec un bambin blanc, c'est une nounou. Les déterminismes sociaux collent à la peau. Pour autant, même si les choses se confondent souvent, il ne faut pas se tromper de combat et surtout il ne faut pas tomber dans le piège que nous tendent les hommes politiques, les penseurs de droite et d'extrême droite en donnant comme seule lecture aux problèmes de notre société une lecture raciale. Leur emboîter le pas en acceptant cette dialectique qui se borne à analyser les choses selon les races, les religions et les cultures, est une embuscade, un attrape-nigaud, un guet-apens. Et c'est à coup sûr leur offrir une victoire au final. Le Pen père, a gagné son combat, qui n'était pas de prendre le pouvoir mais de pourrir les mentalités, les esprits et de nous dresser les uns contre les autres, blancs contre noirs, chrétiens contre musulmans, athées contre croyants, arabes contre juifs. Encore une fois, les vraies discriminations sont cachées, sont dissimulées et sont sournoises. Les populations françaises de souche à la fois paupérisées et abandonnées par une économie sans états d'âme, se trompent d'alliance quand elles se donnent corps et âme au FN pour combattre ensemble les étrangers, les immigrés et les français issus de l'immigration. Les nouveaux prolétaires à la peau blanche oublient que contrairement aux apparences, les basanés, les noirs et tous les colorés sont leurs semblables. Eux aussi sont des laissés pour compte. Quelqu'un disait récemment sur les réseaux sociaux que la grande ruse diabolique de ceux qui mènent le monde et qui gagnent 100 000 ou 200 000 euros par mois voire plus, est de faire croire à ceux qui en gagnent péniblement 1500 ou1800 que tout est la faute de ceux qui en prennent 500. Les idéologues et cadres du FN sont à fond dans cette logique indécente et abjecte. Ils ne font que maquiller leurs vraies intentions en pointant du doigt parmi les plus pauvres ceux qui portent les stigmates de la différence. L'art maléfique du FN pour manier les sous-entendus, les insinuations, les arrière-pensées ne trompe personne ou plutôt, devrais-je dire, ne trompe pas tout le monde.
Ceci étant dit, il faut avoir conscience que le chemin est difficile. Il n'est pas simple quand on est français, né en France, de couleur ou avec un patronyme d'origine étrangère de passer outre les regards, les paroles qui veulent absolument vous associer au pays de vos ancêtres, à des coutumes et racines avec lesquelles vous avez partiellement ou totalement rompu. Il est difficile de se sentir continuellement sommer de prouver sa légitimité comme français, de se justifier, de démontrer qu'on n'est pas un profiteur, un usurpateur. Qu'on n'est pas un mauvais français. Un faux français. Cela demande une vraie force pour ne pas voir dans le regard des autres l'africain qu'il voit et qu'on n'est pas, ou qu'on n'est plus, l'étranger qu'il reconnaît et qu'on n'est pas, ou qu'on n'est plus. Et pourtant c'est une étape indispensable si on veut résoudre les vrais problèmes de notre société. Il faut être aussi fort que Mandela qui apprit à oublier la haine et qui sut collaborer avec ses anciens bourreaux. Cela demande de la sagesse, de l'intelligence et une sacrée dose d'humanité. C'est dur mais c'est le seul chemin. Oublions les couleurs et concentrons nous sur les vrais problèmes : éradiquer la pauvreté par exemple. Mais pour y arriver, il faut abattre nos propres barrières. La première est celle que nous nous fixons nous mêmes en pensant que ce n'est pas possible, que nous ne sommes pas légitimes, que le monde d'en haut n'est pas le nôtre et que nous n'avons rien à y faire. Ce sentiment est distillé de façon sournoise par les élites et petit à petit, nous autres en bas, blancs ou noirs, arabes ou gaulois, on boit jour après jour ce poison qu'on nous distille et on finit par se convaincre qu'on mérite notre sort et que les élites méritent le leur. Le plafond de verre qui nous empêche de gravir les marches, c'est nous mêmes qui le construisons. Rien n'interdit en France à quiconque de devenir médecin, député, journaliste, architecte, web designer, prof, philosophe, danseur, chercheur, ministre, sculpteur, photographe, ingénieur, meilleur ouvrier de France… Mais quand on vient d'un milieu modeste ou défavorisé, les portes nous semblent parfois si lourdes à pousser que les forces nous manquent, que le doute nous prend et alors on finit par renoncer. On reste dehors. On abandonne nos rêves et nos ambitions sur le palier. Les adultes, l'école, l'encadrement ont un rôle essentiel à jouer pour abaisser ces inhibitions, ces complexes. Il faut encourager les enfants, nos enfants à vouloir être ce qu'ils ont envie d'être. Les encourager à réaliser leurs rêves. Fatoumata Kébé regardait avec admiration les astres et les planètes dans les livres quand elle était enfant à Noisy le sec Elle est aujourd'hui doctorante en astronomie et chercheuse à l'Observatoire de Paris. Il faut refuser la fatalité sociale qui veut faire des enfants pauvres les futurs travailleurs pauvres. Il faut instruire les enfants, les motiver, les passionner, leur dire qu'ils sont capables de déplacer les montagnes, que leur pays les attend, qu'ils sont la richesse de la France. Et pour les aider il nous faut abattre la seconde barrière : l'ignorance. Celle qui s'abat sur les classes défavorisées accaparées à joindre les deux bouts, à donner à manger à la famille. Il faut leur donner la possibilité de faire l'effort de la culture, de l'éducation, du savoir. Combattre l'ignorance, c'est aussi apprendre à connaître les moyens d'y arriver. Connaître les filières, les possibilités, les écoles qui existent. Les ponts que certaines élites acceptent de construire comme les filières à Science Po ou dans d'autres grandes écoles. C'est refuser les filières sans avenir ce qu'on nous propose par facilité.
La révolution à mener est en nous, elle est concerne l'éducation, l'information, la culture et la volonté.
Je vous en prie ...
· Il y a plus de 7 ans ·marielesmots
Avis partagé, si chaque français faisait son arbre généalogique, il y trouverait probablement à un moment ou un autre des racines étrangères ... La pauvreté, c'est surtout celle de l'esprit ... Ne pas se laisser influencer et garder son discernement ... bravo à vous
· Il y a plus de 7 ans ·marielesmots
merci !
· Il y a plus de 7 ans ·Jean Jacques Sebille