UN SALE REVEIL
giuglietta
UN SALE RÉVEIL
C'est le coup qui m'a réveillée. Un coup très violent sur la pommette. Entre sommeil et douleur, abrutie et assommée, j'ai roulé dans mon lit pour parer une autre attaque.
Ouvrant les yeux avec appréhension, j'imagine tout sauf ça : personne ! Il n'y a personne dans la chambre !
Pas le temps de me poser trop de questions. Ma main droite s'est écartée de mon corps pour mieux revenir, avec force, m'asséner une beigne magistrale. Sur la mâchoire cette fois.
Quoi ? C'est ma propre main qui me gifle ? «Je rêve», je me dis. Dans ce cauchemar, j'ai pourtant un allié. Ma main gauche a saisi la droite, brutalement, afin de l'immobiliser.
Bref répit. Alors, c'est mon pied gauche qui se met à cogner ! À cogner avec rage contre mon autre cheville.
Combien d'entre vous ont flirté avec la folie ? Ces petits moments, atroces et sidérants, où on dirait que le réel s'effondre. Où tout ce qui rassurait se transforme en menace.
J'ai lu des récits de gonzos, devenus à moitié dingues à cause de la came : bad trips, hallus, alligators dans la baignoire, roses comme des éléphants.
Il y eut aussi deux pétards d'herbe hollandaise... Ils avaient modifié ma conscience, ça oui, bien plus et plus longtemps surtout, que je ne l'aurais souhaité. Me faisant ressentir l'impression fatale que - jamais - rien ne redeviendrait comme avant. De brefs instants...
Il y a deux siècles... Les hommes crèvent dans la boue froide des tranchées, l'eau glaciale lave de l'hystérie les malheureuses aliénées. Casernes, hôpitaux, hospices, architecture terrifiante, broyant l'humanité. Souvent j'ai pensé à Camille... Vu L'Exorciste aussi, et j'ai bien rigolé.
Jamais, je n'avais éprouvé dans mon être le dédoublement magistral qu'on nomme schizophrénie. Je n'y étais pas préparée. Qui peut l'être ?
Et voilà que je tombe dans l'univers cinglé d'une bande dessinée freak : une partie de moi-même s'acharne à détruire l'autre !
Je réalise tout ça à une vitesse folle, pas vraiment le temps d'analyser le processus ! J'enregistre qu'il est... complexe !
À présent, mes deux mains sont d'accord avec moi pour maîtriser cette jambe gauche agressive. Assise sur mon lit, courbée, en nage, je suis occupée à retenir les tressaillements mauvais d'un de mes membres inférieurs.
Une scène aberrante. Je me réjouis brièvement que personne n'y assiste. Puis je regrette que nul ne soit là pour m'aider.
Surtout quand, se dégageant d'un seul coup, mon genou heurte mon nez qui se met à saigner.
Putain ! J'ai mal, comme cette fois où je m'étais écrasée contre une vitre tellement polie que je ne l'avais pas vue.
Après ça, un court répit. Je pleure. De gros sanglots dans lesquels, piteusement, éclatent de la morve et du sang.
Tout est calme alentour, à cette heure du midi où la rue est déserte, le jardin paisible sous un petit soleil.
J'ai envie de hurler. Pas de crier : "Au secours !". De Hurler. À la Mort.
Je me demande si mon cerveau est grillé, comme un trop vieux fusible. S'il pourra fonctionner à nouveau. Faudrait le réparer. Mais comment ?
Je ne me vois pas, dans le tranquille cabinet du médecin de quartier, racontant mon réveil loufoque...
- Qu'est-ce qui vous amène, Lili ?
-... Vous allez trouver ça bizarre... Il se trouve qu'hier matin, ma main s'est mise à me frapper, mon pied à me cogner, mon genou m'a cassé le nez ...
Je ressens l'Angoisse à l'état pur ! C'est de la bonne. Même pas coupée d'un peu d'humour. J'en frissonne.
Une fois encore, je me dis que rien de tout ça n'est vrai, je dors, je vais me réveiller pour de bon, joyeuse, reposée, affamée.
Sauf que... c'est reparti ! Mon ventre me brûle comme si j'avais englouti trois bonnes cuillerées de piment de Cayenne.
L'estomac en furie s'y est mis le premier. Les intestins se tordent. Je les sens remuer. Ils bougent ! Sous le coton fin de mon T.Shirt je vois leurs soubresauts, alors que la lave en fusion chemine dans mes boyaux. Et je crie tellement la souffrance est odieuse !
Le calme revient. Assez longtemps. Une heure peut-être. Je n'en sais rien. Je suis prostrée. Hors du temps.
Je ne crois pas que l'ennemi ait renoncé. Je suis sûre qu'il se prépare pour un nouvel assaut.
Je n'ai pas assez d'énergie pour lutter. Pas le courage non plus d'appeler à la rescousse. Couchée sur le côté, en position fœtale, je guette mon portable en espérant qu'il sonne. Et qu'il ne sonne pas.
Comment prononcer cette phrase impossible : "Viens vite ! Je suis en train de devenir folle !"?
À quel ami oserais-je dire ça ?
Attendre. Attendre. Le temps est certainement de mon côté. Je vais me rendormir, pour fuir cette insupportable réalité. Si elle existe...
Me réveiller et en sortir... Tout ça n'est qu'une illusion, odieuse, mais passagère.
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Ils sont revenus à l'attaque ! J'avais - tristement - raison. Voilà que mes dents, qui sont nombreuses, solides, bien taillées, décident de sectionner ma langue. J'ai le plus grand mal à la planquer à l'arrière de ma bouche. Presque tapie dans ma gorge, la pauvre ne réalise pas qu'elle manque de m'étouffer. Je suffoque.
Ça devait arriver : j'ai vomi ! C'est affreux. Pas grand-chose en fait, il y a si longtemps que je n'ai rien avalé. Seulement, ma dignité en a pris un bon coup. Et je me sens épuisée.
Cette bataille, qui désormais dure depuis des heures et des heures, il me semble, me laisse harassée, pantelante. Et je pleure encore sans retenue. La tête vide.
J'envisage de me tuer. Ça paraît être une décision logique. Pour en finir avec toutes ces horreurs.
Paradoxalement, c'est ce qu'ils veulent, je suppose. Ça leur ferait trop plaisir.
«Qui ça, Ils ?» je me demande dans un sursaut de lucidité. Voilà que je parle de certains morceauxde moi-même comme s'ils m'étaient extérieurs, étrangers !
Je me rends compte que, depuis le début de cette incroyable journée de malheur, je pense que mon cerveau est de mon côté. Comment en être sûre pourtant ?
Et si c'était Lui qui dictait aux autres («Quels Autres ?») toutes leurs actions malveillantes ?
Je crois que mon cerveau c'est moi. Mais mon corps aussi, non ? Oui. D'habitude c'est ce que je («Je ?») pense.
Mon corps me donne tout un tas de plaisirs, grands ou petits. Ma peau sensible à la caresse, mes papilles m'offrant le goût acide des huîtres et du vin blanc. Mes pieds sur le sable chaud. Mes oreilles emplies de musique. Mon sexe...
Suffisait d'en parler. Il entre à son tour dans la danse guerrière. Mimant avec beaucoup de talent une bonne dizaine de maladies vénériennes douloureuses.
À présent, je sais que ça ne va pas durer, alors je me contente de me tordre de douleur en silence, tâchant de respirer fort pour maîtriser mes nerfs.
C'est long quand même, plus que pénible. Et je songe à Nietzsche et quelques autres, dont la syphilis dit-on dérangea le cerveau.
Mon cerveau... Je ne sais pas s'il est avec ou contre moi, mais, en tout cas pour le moment, il fonctionne. Étonnamment bien même, et il ne me fait pas mal (sauf si c'est lui qui de son QG dirige les opérations...).
Je pense - brièvement - que je vis peut-être la punition promise aux mécréants. Ayant toute ma vie nié la suprématie de l'esprit sur le corps, ayant refusé le dogme des religions qui retranchent l'âme du corps et additionnent les dividendes, j'ai pêché contre Allah, Jéhovah et les Autres.
Et voilà. Ils me prouvent aujourd'hui que l'unicité de l'être est une hypothèse ridicule, formulée par d'imbéciles païens.
Je me dis ça mais je n'y crois pas vraiment, comme je reste incrédule devant tout ce qui m'arrive depuis...
Depuis... Pas loin de vingt-quatre heures sans doute que se poursuit cette malédiction. Je n'ai même pas envie de m'en assurer en regardant les chiffres qu'affichent mon portable.
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J'ai du finir par m'endormir... Longtemps ? Je l'ignore.
Mais avant que je ne me pose la question, voici que ma main gauche se roule en un poing bien serré qu'elle abat sur mon crâne avec force et précision. Ah non !!! Ça ne va pas se passer comme ça !
Je cours vers la cuisine, pendant que cette salope martèle ma tête à coups redoublés. De la main droite, je saisis le seul couteau tranchant dont je dispose, et je commence à la scier à hauteur du poignet.
La tâche est difficile, parce qu'elle bouge tout le temps. Et même si elle est bien entaillée, je ne suis pas sûre de pouvoir couper l'os.
Elle est affaiblie n'empêche, la garce Je triomphe, elle pendouille lamentablement incapable de me frapper.
Ah! Ah ! Je ris... Amèrement, parce que je vois bien que je perds beaucoup de sang. Je vois sacrément bien, surtout avec l'œil gauche qui, quittant son orbite, flotte au-dessus de ma tête, se balançant au bout du nerf optique comme un serpent charmé... De l'œil droit, je le vois, lui. Et lui, de là-haut "me" regarde saigner !
Tant pis pour les apparences, les moqueries, les jugements... Je récupère le téléphone, je compose le 18 - les pompiers sont souvent plus rapides que le SAMU.
Je veux parler... et c'est ma gorge qui donne le coup de grâce ! Elle me trahit sans vergogne, aucun mot ne se décide à sortir.
J'articule muettement dans le portable, d'où une voix apaisante répète avec patience la même question à laquelle je ne peux répondre : «Que vous arrive-t-il ? Monsieur, Madame ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce qu'il vous arrive ?»
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Ce qu'il m'arrive... : Je meurs ! Enfin... Je crois...
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