Un secret (partie 1)

lzarama

Claire ouvrit la porte du studio, fit les quelques pas qui la séparaient du clic clac et s’y effondra en larmes. Whisky sauta à ses côtés et se mit à marcher sur ses cheveux. Entre deux sanglots, elle repoussa l’animal. Le chaton chuta gracieusement sur le parquet, resta là, en faction et se mit à faire sa toilette, comme pour prendre son mal en patience. Claire essuya les larmes qui baignaient son visage et se redressa en reniflant. Whisky miaula. Elle lui servit des croquettes et de l’eau fraîche dans la petite gamelle et alla se rasseoir. Elle enfouit sa mine déconfite dans le col de son pull dont le parfum lui fit l’effet d’une claque violente. Le chandail portait encore son odeur. Elle venait de passer une nuit de plus à ses côtés et se savait maintenant éperdument amoureuse.

Whisky sauta sur ses genoux et se mit à ronronner, sans que cette fois elle ne le chasse.

« Ce chat n’est pas rancunier » se dit-elle en gratouillant le pelage roux. L’animal avait aussi pour qualité innée sa grande discrétion. Si Claire lisait toujours dans son regard une pointe d’interrogation, son entourage raillait le léger strabisme du chaton. Tous deux incompris.

Le téléphone de Claire vibra dans la poche de son jean. Un texto. Il disait : « on se revoit quand ? ». Elle le fixa longuement puis reposa le téléphone. Elle avait envie de répondre, non, elle avait envie de courir se réfugier dans son appartement mais elle ne devait pas. Claire avait l’étrange et vertigineuse sensation de marcher sur une poutre, d’être en équilibre, un équilibre aussi précaire que précieux depuis le début de leur histoire.

Elle ne pouvait pas traîner : elle avait un rendez-vous dans un institut de beauté. Sa sœur l’avait pris pour elle. Elle se mariait deux jours plus tard et tout devait être parfait, y compris Claire.

La jeune femme qui allait s’occuper d’elle lui proposa d’abord un café, un verre d’eau, des magazines. Claire dit oui à tout. Elle ne demandait qu’à enclencher le pilotage automatique, sans que personne ne puisse la déranger, elle et ses pensées torturées d’idiote amoureuse. Elle voulait seulement pouvoir se rejouer mentalement une fois encore cette histoire. Cette incroyable histoire dont elle était l’héroïne, comme dans les livres d’enfants. Deux mois plus tôt, son cœur battait encore léger, innocent, simple. Maintenant, il était lourd, encombré, bleui. Elle n’arrivait pas à savoir comment elle le préférait finalement. Claire se connaissait le penchant masochiste de son âme.

Depuis que cela avait commencé, la plupart de ses actes manquait de bon sens. Elle était plus rêveuse, très irritable, d’humeur changeante. Son entourage n’y comprenait rien et laissait Claire vivre sa météo sans s’alarmer. Certaines de ses amies s’étonnaient quand même qu’elle donne moins de nouvelles. Claire éludait les questions, prétextait un surcroît de travail ou le stress des préparatifs du mariage de sa sœur, dont elle était le témoin.

Une part de Claire savait qu’il fallait que cette relation s’arrête, certes une part réduite à la portion congrue mais tenace, comme une merde de pigeon séché sur un pare-brise. Le reste de la tête, du cœur et du corps de Claire hurlaient son nom. Elle avait fait une rencontre, ou plutôt deux ; elle avait rencontré ce sourire, ces yeux, ces bras enveloppants par lesquels elle aurait aimé être emprisonnée pour ne plus avoir à décider mais elle s’était aussi rencontrée de nouveau. Elle s’était découverte sous un nouveau jour, pleine d’audace parfois, si inquiète à d’autres moments. Dans le regard de l’autre, elle s’était sentie belle, drôle : irrésistible. Elle pensait désormais que le début de l’amour, c’est surtout ce besoin irrépressible de se retrouver nue contre le corps de l’autre…

La jeune femme lui apporta d’abord le café et le verre d’eau, l’extirpant de ses rêveries. Elle lui proposa du sucre, Claire refusa et plongea son regard dans le fond du gobelet, autiste.

« Des magazines ? » insista l’esthéticienne.

Claire tendit une main molle pour les saisir et dans l’instant, lâcha le café. En Une d’un magazine people écorné, il y avait cette femme célèbre. Cette femme célèbre en photo, revenant de la plage, sexy, chic, un joli corps bronzé et ferme malgré les trois marmots qui trottinaient à ses côtés. Un joli corps bronzé que Claire connaissait bien. Celui contre lequel elle était restée longuement serrée quelques heures plus tôt.

Signaler ce texte