Un secret (partie 2)
lzarama
La sœur de Claire déambulait de table en table, souriante, glissant un mot gentil, caressant une épaule. Chacun la félicitait encore et toujours pour l’heureux événement concrétisé la veille ou pour le succès de la fête. Claire avait une atroce gueule de bois. Elle avait dansé, porté un toast, honoré chacun de ses devoirs et n’avait pas moufté quand chaque invité, ou presque, s’était inquiété de son célibat.
Et puis elle avait bu, beaucoup. Elle se souvenait avoir appelé Mathilde tard dans la nuit. Elle se souvenait avoir voulu la joindre pour entendre le son de sa voix, grave et chaude en même temps. Elle n’avait eu que le répondeur et toutes les choses subtiles et drôles qu’elle comptait dire à son amante s’étaient évaporées. Elle n’avait su que répéter en boucle qu’elle l’aimait, qu’elle souffrait mais qu’elle l’aimait. Ce matin, au réveil, elle avait saisi son portable mais il n’y avait aucun message en réponse. A midi non plus. Pas davantage à quatorze heures. A quinze heures, alors que les invités commençaient à partir, elle avait reçu un texto. Son cœur avait bondi, ses doigts avaient pianoté sur le petit appareil, soudain brûlant sous la pulpe du pouce et de l’index. Son opérateur l’informait du montant de sa facture.
A dix sept heures, elle était montée à l’arrière du range de son beau-frère et de sa sœur. Ils étaient heureux, fatigués, amoureux. Elle était seule, épuisée, triste. Mathilde avait dû la trouver ridicule, ne pas apprécier qu’elle se répande avec ses sentiments à la con… ou bien, elle était trop occupée, beaucoup en promotion en ce moment. Mathilde, son corps, sa bouche, son odeur… Mathilde…
Sa sœur alluma la radio, se mit à chanter, changea de station au moment des pubs et soudain la voix chaude et grave de Mathilde, un peu différente toutefois de celle de l’intimité, remplit l’habitacle. Claire se sentit rougir, eut envie de se boucher les oreilles et dire aussi à sa sœur de monter le volume. Elle tendit son corps vers l’avant, comme pour se rapprocher de son amour, coincé dans le poste radio.
« J’adore cette actrice !! s'exclama sa sœur, guillerette
- Ah oui, celle qui joue dans cette comédie qu’on a vu y a pas longtemps ?? interrogea son jeune époux
- Oui, c’est ça !! Pour son âge, elle est superbe ! Elle doit bien avoir quoi...40 ans ! Elle a dû se refaire faire quelque chose. Elles le font toutes… Qu’est-ce que t’en penses, Claire ?? »
Sa sœur jeta un œil dans le rétro, guettant une réponse qui tardait à venir. Elle ne vit qu’un regard embué. Elle se tut égoïstement. Claire avait su se tenir presque bien pendant le mariage, elle pouvait encore résister et ne pas gâcher les derniers instants. Claire avait toujours des problèmes de toute façon. Elle éteignit la radio et embraya sur la qualité de la prestation du DJ et les animations que les copains leur avaient réservées.
Claire se renfonça dans son siège et ferma les yeux. Au bout d’un moment, ils se turent.
Claire rouvrit les yeux alors qu’ils approchaient Paris. Elle pleurait en silence. Il était dix-neuf heures et elle n’avait reçu aucun message de Mathilde.
Alors, pour que ce soit dit au moins une fois et tandis que les larmes roulaient sur ses joues sales, Claire articula très très bas, à la lisière du silence, les mots suivants :
« Moi, Claire, je suis désespérément amoureuse de Mathilde M».
Son beau-frère stoppa la voiture devant son immeuble, il en descendit après avoir mis les warnings, pour sortir le sac de Claire du coffre.
Sa sœur se tourna vers elle :
« Tu diras bonjour à ta petite chérie pour moi », lui glissa-t-elle
Claire sursauta, fixa sa sœur. L’avait-elle entendue ?
« Quoi ?
- Oui, tu feras une caresse à Whisky ».