Un sphinx au vide ordure
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La journée s'était déroulée de façon exécrable et Bastien, en rentrant trempé par les averses glacées de janvier avait cru qu'il n'était pas déraisonnable d’espérer un peu de tranquillité.
Mais, sa mère ne l'entendait pas de cette oreille.
Pourtant, il avait bien anticipé les attentes maternelles. Les chaussures inondées avaient été ôtées sur le palier de l'appartement familial, le k-way, semblable à une dépouille de noyé rapatrié en quatrième vitesse au dessus de la baignoire.
Quand lejeune garçon était revenu de la salle de bain, les cheveux vaguement essorés, il avait contemplé la mise à sac de son cartable.
« Fais voir ton cahier de texte, je veux contrôler tes devoirs! »
Bastien hésitait, à 11 ans bientôt, il estimait qu'il avait bien gagné le droit que l'on respecte le sanctuaire inviolable que constituait son cartable.
Mais, d'un autre côté, il détectait chez sa mère les prémices d'une de ces grandes Scènes dont elle avait le secret et il estima avec raison qu'il valait mieux tout faire pour désamorcer la situation.
Alors, calmement, se frottant le menton dans son pull dans un mouvement de chat frileux, Bastien tendit doucement le cahier en question à sa mère.
« C'est tout ce que tu as? » dit elle déçue en contemplant l'injonction faite par le maître à lire les 20 premières pages de l'Odyssée.
Bastien ayant récupéré ses affaires, se hâta en direction de sa chambre en vitesse.
Vu l'état de sa mère, elle serait bien capable d'exiger de lui un résumé sur sa lecture.
D'un geste las, Bastien jeta son cartable sur son petit lit étroit.
Comme à son habitude, il se dirigea droit vers la baie vitrée qui occupait la moitié supérieure du mur du fond.
De son 12ème étage, Bastien pouvait se projeter dans le paysage qui s'étendait sous ses yeux. Il était capable de suivre pendant des heures la course sage des trains de banlieue qui apparaissait et disparaissait à ses yeux , masqués par les éléments du paysage que l'on aurait cru disposé à dessein, comme dans une maquette.
Il adorait l'impression de perfection que ce paysage en miniature lui inspirait avec ses petits lotissements en grappes, son bout de forêt, son lac.
Bastien ne comprenait pas toujours pourquoi les adultes avaient tant de besoin de s'inventer des soucis et des tracasseries. Il le voyait bien, lui, juché sur son perchoir que l'existence était aussi simple qu'un train entrant en gare à l'heure, qu'un double arc en ciel enflammant l'horizon, juste pour le plaisir.
Bastien tendit l'oreille, sa mère avait allumé la télévision est flottait désormais à mille lieux du cahier de texte de son fils.
Bon, l'Odyssée ne lui en voudrait pas si il essayait un peu ce nouveau jeu pour console que Yacine lui avait prêté.
Assis en tailleur sur sa chaise de bureau, les coudes bien enfoncées dans son bureau, Bastien ne voyait plus le temps passer et n'entendit pas sa mère ouvrir la porte de sa chambre.
Si Bastien paraissait petit pour son âge et donnait une impression de fragilité avec ses tâches de rousseur jetées à pleines poignées sur son nez et ses joues, il était néanmoins vif comme l'éclair.
Ses mains agiles avaient déjà planqué la console et ouvert le bouquin avant même que sa mère n'ait eu le temps de faire un pas dans sa chambre.
Le garçon n'eut plus à tourner vers sa mère le regard innocent de ses yeux gris. Trop facile.
« A table, mon lapin. »
Bastien se glissa derrière sa mère, savourant secrètement le petit nom. Bien sûr, il ne le reconnaîtrait pour rien au monde, mais il adorait ce petit surnom ridicule.
Ils s'installèrent dans la cuisine, sa mère ayant lu qu'il était très mauvais pour les enfants de manger devant la télé.
Du coup, sa mère mangeait distraitement, tendant l'oreille vers le salon d'où lui parvenaient les sons étouffés de la télé.
Dans ces conditions, le repas fut vite expédié.
Sa mère se chargea de la vaisselle et le laissa finir de débarrasser pendant qu'elle fila retrouver son écran plat géant acheté à crédit.
Indolent, Bastien ramassa les miettes sur la toile cirée. Il regardait sans les voir les fleurs totalement délavées qui semblent s'évanouir à chaque coup d'éponge.
Au moment d'ouvrir le vide ordure, sa mère lui lança.
« Non, il ne faut plus s'en servir maintenant, utilise la poubelle! »
Oui, mais la poubelle était déjà pleine à craquer, Bastien, avec optimisme tenta bien de tasser un peu, mais le résultat était vraiment dégueu et , de toutes façons, les dernières épluchures ne tenaient pas en place.
Bon, mieux valait se résigner, il était temps de descendre ce satané sac.
Bastien jeta un regard noir à la poubelle, comme s’il voulait l'impressionner et s'attacha au démoulage du sac de son logement de plastique.
Bien sûr, un cordon cassa, laissant un peu de lait s'écouler d'un trou et éclabousser le pantalon du jeune garçon.
Les joues rosies par l'effort, Bastien parvint à ses fins.
Tant bien que mal le sac fut bouclé.
Bastien espéra que sa mère ne lui demanderait pas de le descendre ce soir. Il n'avait aucune envie de se coltiner un voyage entouré de ses voisins faisant mine d'ignorer les effluves de son sac poubelle.
Et puis, il ressentait toujours un peu de cette vaste frousse qui le faisait paniquer étant petit quand il se trouvait dans le second sous sol miteux de leur immeuble.
Mais, à 11 ans et demi, ce n’était pas le genre de choses à avouer à sa mère.
Ses espoirs de se voir épargner un voyage dans les entrailles de l’immeuble furent malheureusement déçus.
« Tu descendras la poubelle, chéri? »
Bastien soupira. Pourquoi lui poser la question? Comme s'il avait le choix!
Grognant pour la forme, Bastien se traîna sur la palier et appela l'ascenseur.
« Faites qu'il soit vide... »
Le garçon actionna le bouton qui s’illumina et palpita comme un minuscule cœur.
Bastien avait beau être ce que sa mère qualifiait de préado désormais, il ne put s’empêcher de ressentir une angoisse diffuse en entendant les gémissement presque vivants des câbles martyrisés qui hissaient péniblement la cabine jusqu’à lui.
Les portes s’ouvrirent.
Bastien poussa devant lui son sac, comme s’il s’agissait d’un ballon, il eut se le permettre, la cabine étant pour une fois déserte.
Son cœur battit peut être un peu trop fort quand il s’agit d’appuyer sur le bouton du deuxième sous sol, mais Bastien repoussa d’un geste énergique sa mèche brune en arrière.
L’ascenseur entama enfin sa descente. Sa carcasse protestant bruyament contre le martyre que lui infligeait cet énième voyage.
Les étages défilèrent sans que la cabine ne fasse mine de s’arrêter, au grand soulagement du garçon.
Enfin, les portes s’ouvrirent.
Bastien détestait ce couloir sombre et humide dans lequel il était désormais contraint d’avancer.
Des crétins s’étaient encore amusés à casser les luminaires et il ne restait désormais plus que les lumières de secours et leurs lueurs verdâtres pour guider l’enfant à travers le dédale du sous sol.
Bastien laissa sur sa gauche le boyau conduisant à l’enfilade des caves des locataires.
La garçon tendit l’oreille, curieux de cet endroit que sa mère lui avait défendu de fréquenter et sur lequel elle avait tenu mille et une histoires invraisemblables.
Aucun son ne provenait des caves.
Par contre, à ses pieds, une souris, vautrée dans un sachet de blé empoisonné n’en finissait pas d’agoniser.
Bastien, avec l’impulsivité de l’enfance, ressentit alors une rage froide à l’encontre du gardien qui piégeait de si honteuse façon d’innocentes créatures.
De toute façon, le garçon avait décrété une bonne fois pour toutes qu’il détestait cet homme imposant, à la carrure de déménageur et à la peau presque bleue tant elle était sombre.
Et cette manie qu’il avait de surgir en silence derrière lui, sans que Bastien n’eut conscience de sa présence.
Machinalement, Bastien shoota dans son sac d’ordure.
Bien sûr, ça ne loupa pas, d’un coup l’immense silhouette de Monsieur Octavien se trouva soudain devant lui, toute de noir vêtue.
« Jeune homme, sais-tu ce qu’il adviendra de toi si tu t’amuses encore avec ce sac ? »
Bastien était intimidé, mais en gamin de la cité prit d’instinct une posture de défi.
« Ha, ouais, et ceux qui ont pété les lampes et pissé dans le hall, vous comptez leur faire quoi ? »
A la grande surprise de Bastien, le gardien éclata d’un rire énorme (pantagruélique, lui aurait soufflé sa prof de français, si elle avait été présente. Mais celle-ci, bien au chaud dans sa maison en lotissement acheté à crédit ignorait tout de monsieur Octavien.)
« Pas plus épais qu’une allumette, mais une bouche grande comme ça ! Allez, sois un bon garçon, porte ton sac convenablement, jette-le et rentre chez toi. Il n’y a rien par ici pour les petits garçons. »
Et monsieur Octavien s’éloigna en silence, en direction des caves.
Bastien suivit du regard l’ombre du gardien qui semblait démesurée sur le mur et dont le nez cassé ressemblait à s’y méprendre à un bec de rapace.
« Pour qui il se prend celui-là ? » grogna le garçon dans ses dents.
Le ton condescendant du gardien, plus que les mots employés avaient porté au rouge les oreilles de Bastien qui ouvrit avec humeur la porte du local à poubelles.
Les casseurs n’avaient apparemment pas jugé bon s’en prendre à un endroit aussi dégoûtant que déprimant et l’ampoule nue qui clignotait de façon sporadique projetait toujours sa lumière souffreteuse.
Bastien retint sa respiration tant le mélange entre le désinfectant et les effluves des ordures était intenable.
Masochiste, son esprit lui imposa la vision de son corps perdu à travers les strates de déchets accumulés au fond des vastes poubelles et que personne ne s’était jamais soucié de décaper à fond.
Les vide ordures avoir beau avoir été condamnés, les chutes d’objets innommables avaient inscrit sur le mur des traînées d’un brun grisâtres coagulé.
Bastien avança d’un pas décidé jusqu’au centre de la pièce aveugle.
Quand il était petit, il était absolument terrorisé par ce lieu, qu’il imaginait un peu comme étant le ventre putride de l’immeuble, prêt à dévorer à l’aveugle tout ce qui lui tombait sous les crocs, qu’il s’agisse de couches usagées ou de petits garçons imprudents.
Six poubelles flanquaient trois des murs du local. Deux vertes, deux oranges deux jaunes.
Bastien n’hésita pas un instant.
Son sac irait dans la poubelle la moins remplie ,selon l’interprétation communément admise du tri sélectif tel que le pratiquait l’ensemble des habitants de l’immeuble.
Son devoir accompli, Bastien se dirigea vers la porte, en espérant confusément ne pas avoir à rencontrer de nouveau monsieur Octavien.
Mais le couloir semblait désert.
Par terre, le sac de blé éventré était toujours en place, mais la souris avait disparu.
« Mais qu’est-ce qu’il en fait des cadavres, il les mange ? »pensa Bastien en songeant au gardien.
Le garçon n’avait absolument aucune envie de traîner au deuxième sous-sol et la vision de la cabine d’ascenseur fut un petit soulagement en soi.
Mais au moment où il tendit la main vers le bouton d’appel, il lui sembla entendre comme une sorte de toux.
Le garçon tendit l’oreille, et réentendit de façon plus soutenue une voix de femme qui paraissait s’étrangler sur la plus impressionnante quinte que le jeune garçon ait jamais entendu.
Le son provenait du couloir desservant les caves.
Bastien fit la grimace.
Il attendit un peu, mais le silence semblait s’être définitivement rétabli. Alors, Bastien appuya sur le bouton et guetta les bruits des câbles lui annonçant enfin sa libération de cet endroit un peu trop lugubre pour un jeune garçon de même pas 12 ans.
D’en haut, lui provenait des rires, des bruits de conversation étouffés.
« Et merde ! Tout l’immeuble s’est mis en tête de prendre l’ascenseur au même moment ou quoi ? »
C’est alors que des pleurs se mirent à retentir.
Bastien se passa la main sur la figure.
Les sanglots devenaient de plus en plus déchirants.
Sans trop savoir comment, les pieds du garçon se mirent à évoluer seuls et se dirigèrent vers les caves.
Bastien, trop effaré pour vraiment être effrayé, tenta d’appeler la femme qui pleurait ainsi dans le noir.
« Madame ? madame ? Vous êtes malade ? »
Ca y était, Bastien se trouvait officiellement dans le boyau des caves, l’endroit interdit.
Le garçon, qui n’y a jamais mis les pieds depuis que sa mère y avait descendu ses affaires de bébé, était un peu déçu.
On aurait dit un couloir de prison avec ce chemin de ciment gris qui desservait des portes métalliques. Hormis les sacs de blés posés sur le sol à intervalle régulier, il n’y avait absolument rien qui traînait et Bastien aurait bien été en peine de remonter un trophée de son expédition.
Le couloir semblait même plus propre que les reste du sous-sol. Aucune cave ne présentait de traces d’effraction et aucune odeur suspecte ne permettait de supposer la tenue d’activités illégales en ce lieu.
Bastien haussa les yeux au ciel. Sa mère et sa manie de gober tout ce que la télé lui racontait…
Le garçon avança et se trouvait déjà à mi-parcours du couloir sans avoir pu localiser la pleureuse qui s’était tue.
C’était un peu inquiétant, cette voix qui s’était arrêtée aussi subitement que si l’on avait tourné un interrupteur, mais, pas tant que ça, en regard du plaisir qu’il y avait pour un enfant de découvrir un endroit qui lui avait été jusqu’ici interdit.
Bastien était presque parvenu au bout du couloir qui s’arrêtait de façon assez abrupte sur un mur de parpaing grossièrement peint à la chaux.
C’est alors que la toux se fit entendre de nouveau.
Bastien regarde de tous côtés, mais il ne vit rien.
Les portes des caves étaient toutes verrouillées de l’extérieur, le mur en face de lui semblait plein.
Mais c’était quoi cette histoire ?
Et puis, Bastien discerna au bout d’un moment une sorte de petite niche, entre la dernière porte et le mur.
Les sanglots semblaient provenir de cette petite cachette.
Bastien tenta d’ignorer comme il le put le début de frousse qui commence à lui tordre le ventre et glissa sa tête par l’interstice.
Alors, enfin, il la vit.
Ce qui le frappa en premier lieu, ce fut la beauté grave et triste du visage de la femme.
Bastien avait toujours eu du mal pour attribuer un âge aux femmes, et avec celle-ci, ce n’était pas gagné.
Quand elle le fixa de son regard aussi profond que l’espace, aussi sombre que le néant, Bastien eut l’impression d’être en face avec l’être le plus âgé qu’il ait jamais rencontré.
Mais quand la femme se mit à sourire et à lui parler d’une voix aussi fraiche qu’un ruisseau, qu’un gazouillis d’oiseau, alors Bastien se demanda s’il n’avait pas plutôt affaire à une fille de son âge.
« Bonsoir…Je crois que je suis tombe malade.. » dit la jolie femme d’un air désolé.
Bastien, ne put s’empêcher de faire un pas supplémentaire en direction de la niche.
Il n’arrivait pas à s’expliquer ce besoin irrépréssible qu’il ressentait d’entendre plus distinctement cette si jolie voix, de contempler de plus près ce merveilleux visage.
Bastien écouta la jolie dame s’excuser de l’avoir dérangé tout en admirant l’étrange coiffure compliquée de son interlocutrice.
Il avait l’habitude pourtant des motifs tressés que ses copines composaient avec leurs cheveux, mais cet assemblage de perles et de nattes ramenées en couronne au-dessus du front avait quelque chose de légendaire…
Etrange comme cela pouvait lui paraître tout à la fois surprenant et familier à la fois.
Au moment où Bastien allait glisser dans la niche, la jeune femme se retrouva de nouveau aux prises avec une importante quinte de toux.
Elle eut beau détourner la tête, Bastien eut le temps malgré tout d’observer les dents un peu trop longues et un peu trop blanches de la femme.
Le jeune garçon se sentait cependant prêt à n’importe quel acte de bravoure pour se porter au secours de la mystérieuse inconnue .
Avec l’âme d’un chevalier, il avance un pied dans la niche.
Mais sur quoi venait il de poser sa basket ?
On aurait dit que quelqu’un avait fait tomber une trousse complète de crayons de couleurs sous les pieds de Bastien qui était en train de les broyer allègrement sous ses semelles.
Le garçon baissa le nez et constata alors deux choses.
Premièrement, ce n’était pas des crayons qui se trouvent par terre mais une multitude de petits ossements qui jonchaient le sol de la niche.
Deuxièmement, là où il aurait dû apercevoir les pieds et les jambes de la jeune femme, il n’y avait rien.
Le jeune garçon releva la tête.
La vague frousse qui lui inspirait le second sous-sol n’était rien comparé à la vague de panique que Bastien sentait se préparait dans le tréfonds de son cerveau.
La niche présentait une sorte de promontoire sur lequel le garçon distingua le corps d’un grand félin paresseusement allongé.
L’esprit paralysé de Bastien enregistrait sans vraiment les identifier comme tels les mouvements de balancier de la queue et la manière dont la patte avant droite se plaça devant la bouche de la jeune femme encore en train de tousser.
Confusément, des bribes de ses cours de français lui revinrent à l’esprit.
« Punaise, c’est un..mince..C’est quoi déjà le nom de ce monstre moitié lion, moitié femme ? »
Bastien sentit les petits cheveux de sa nuque lui picoter la peau quand il se souvint du régime alimentaire de la bestiole.
Il tenta alors un repli stratégique, mais son pied roula sur un des innombrables ossements que le sphinx avait semé dans sa cachette.
Bastien tomba à terre, pile en dessous du visage mélancolique du monstre.
« Bon, Il me semble qu’il est temps de faire les présentations, non ? »
Bastien bégaya
« Je sais ce que vous êtes ! Vous êtes une sorte de griffon, un animal imaginaire ! Donc vous n’existez pas ! »
Les yeux magnifiques de la jeune femme se voilèrent de tristesse.
« Ainsi, c’est donc vrai ? Les hommes ne se souviennent plus donc de mon nom ? »
Puis,vive comme un éclair, elle descendit de son promontoire et retomba, souple et dangereuse sur ses quatre pattes, juste à hauteur du visage du garçon terrorisé.
Bastine pouvait sentir l’odeur de fauve du monstre mélé à des notes florales de parfum féminin.
Le souffle du shinx lui envoyait de petites bouffées de chaleur animale et désagréable.
« Concernant mon existence réelle, demande donc aux souris et aux rats de cette cave, ce qu’ils ont pensé de mes crocs imaginaires ! Mais si tu crois que d’aussi petite proies peuvent me suffire… »
Le discours du sphinx fut de nouveau coupé par une violente crise de toux.
Bastien sentit sa peur refluer un petit peu en contemplant le monstre qui se roulait à terre, les larmes aux yeux en tentant de reprendre son souffle.
Ce regain de courage lui permit de se relever et de se rapprocher un peu de la sortie.
Le shinx se mit alors à l’appeler d’une voix lamentable.
« S’il te plaît. ;Je ne sais pas ce qu’il m’arrive…Ne me laisse pas.. »
Bastien savait qu’il ne devait pas écouter la créature qui paraissait si pitoyable à présent.
Comment faire confiance à un être aussi bizarre que celui-ci ?
Mais la voix qui appelait Bastien était si désemparée, si charmeuse en même temps que le garçon, sans savoir comment il s’y était pris se retrouva de nouveau aux côtés du sphinx.
Passé le premier mouvement de surprise et de terreur pure, Bastien se trouva davantage en mesure d’observer la créature qu’il avait en face de lui.
Le visage de jeune femme lui coula un regard malheureux.
C’était vrai qu’elle n’avait pas l’air bien en point .
Des petite taches roses coloraient son visage rop pâles. Sa respiration laborieuse et sifflante s’élevait péniblement dans l’atmosphère vicié du sous-sol.
Son pelage n’était pas soigné et ses côtes trop apparentes.
Vraiment, ce shpinx avait piteuse allure.
« Vous êtes malade ? » hasarda Bastien.
Le monstre s’étendit frileusement sur le sol, se roulant en boule .
« Ce n’est pas la grande forme, je te l’accorde… »
Bastien aurait presque eu envie de caresser le dos du sphinx, mais cela aurait été trop bizarre, avec cette tête de fille qui le regardait d’un air si triste.
« Comment vous êtes arrivée là ? »
La créature secoua la tête. Les minuscules perles de sa coiffure cliquetèrent doucement.
« Bonne question..Je me trouvais dans mes montagnes, à attendre le passage de ce satané Œdipe quand je me suis soudain sentie prise de vertiges.. .J’ai perdu connaissance et j’ai atterri dans cet endroit lugubre il y a de cela deux nuits. ..Depuis, je n’ai rien trouvé d’autre à me mettre sous la dent que ces stupides rongeurs à moitié shootés par le poison que vous vous amusez à leur distribuer.. »
Les parole du sphinx furent de nouveau entrecoupés par une véritable toux de fumeur.
Bastien ne put s’empêcher d’observer avec fascination les mouvements de la queue qui martelaient le sol au rythme de la toux.
« Cet endroit ne me réussit absolument pas ! »gémit le shinx.
« Cette puanteur est insoutenable pour quiconque possède un odorat aussi délicat que le mien ! Les courants d’air m’ont rendu malade, et en prime je ne suis même pas en état de faire ma toilette convenablement ! »
En regardant ce monstre pathétique et qui semblait un peu imbu de sa personne, Bastien ne put s’empêcher de songer que le sphinx, exception faite des formidable griffes qui luisaient dans la pénombre, n’était au fond pas si différent de la brochette de filles qui au collège squattaient les toilettes à longueur de temps, histoire de se pavaner devant les miroirs.
Bastien tenta de maîtriser le tremblement qui s’empara de sa main quand elle se tendit vers le monstre.
Délicatement, le shynx tendit son cou gracile et pencha son joli visage en direction des doigts du jeune garçon.
Bastien ne put s’empêcher de fermer les yeux. Mieux valait éviter de penser à la langue trop rouge et aux dents longues du monstre.
Quand il les rouvrit, la créature s’était rallongée sur son poste d’observation et faisait rouler le bonbon dans sa joue gauche.
« Mm..Je ne connaissais pas cette saveur sucrée.. C’est plutôt agréable.. Tu crois que tu pourrais m’en donner d’autre ? »
Bastien grimaça un petit sourire et fouilla dans sa poche afin de localiser une deuxième friandise.
« Dites, ma prof de français nous fait lire l’Odyssée, vous connaissez ? »
Le sphinx ouvrit sa bouche en un joli bâillement.
« Ha, le vieux poème de ce poète aveugle ? Comment s’appelait il déjà..Ha oui, Homère..Oedipe était intarissable sur les aventures d’Ulysse…Ce qu’il a pu me casser les pieds avec ça ! »
Le jeune garçon, qui n’avait pas encore trouvé le courage d’ouvrir le bouquin, regarda la créature avec un intérêt nouveau.
« Vous savez de quoi ça parle alors ? »
Coquettement, le sphinx bat des cils et entreprit de faire sa toilette.
Bastien, oublieux de l’heure et du lieu, s’installa en tailleur, aux pieds du sphinx qui s’était mis à tourner autour de lui en ronronnant.
Le jeune garçon était fasciné par le timbre hypnotique et les yeux brillants comme des flaques d’infini qui le contemplaient avec gravité.
« Je pourrai te faire sauter ta jolie petite tête d’un seul coup de patte, tu en es conscient ? »
Bastien, subjugué par a voix enchanteresse du sphinx hochait la tête peu certain de vouloir comprendre, dans sa hâte d’entendre de nouveau le ronronnement lénifiant de la créature.
« Ton professeur t’a-t-elle appris que depuis la nuit des temps, c’est moi qui poses les questions ? Tu en as du culot, petit homme de venir ainsi, tout seul pour me demander des renseignements ! »
Bastien, malgré l’état de transe dans lequel la voix caressante de la créature l’avait plongé, ne put s’empécher de frissonner en remarquant pour la première fois combien semblaient puissantes les pattes du sphinx, combien ses crocs semblaient affutés.
Il y eut un bruit de craquement lorsque les machoires puissantes du monstre broyèrent le bonbon.
«Cependant, je dois reconnaître que tu es le premier à t’aventurer auprès de moi et à me faire un présent.. Je me souviens de deux trois détails concernant les sornettes de ce vieil aède...Si tu avais la gentillesse de me donner une autre de ces petites douceurs que tu conserves dans ta poche, je serai sans doute d’accord pour te les raconter.. »
Alors bastien ouvrit grand ses oreilles et se laissa emporter par le flot mélodieux du récit du sphinx
Comme il était bien ainsi, les fesses dans la poussière d’os et de ciment !
C’était à peine s’il percevait la fourrure de la créature qui le frôlait de plus en plus près à chaque fois qu’elle tournait autour de lui
Mais, la bulle dans lequel évoluait le jeune garçon explosa brutalement quand une lumière crue innonda brutalement le couloir et que des pas lourds et pesants, parfaitement identifiables se mirent à sonner de plus en plus près de la niche.
Bastien , au prix d’un effort immense, arracha son regard à celui amusé du sphinx et jetta un œil en direction du couloir.
Sans surprise, il aperçut la silhouette d’ogre de monsieur Octavien se découper dans l’ouverture de la cache.
Sa voix sonna comme un coup de tonnerre après la douceur de celle du sphinx.
« Qu’est ce que tu fabriques encore ici ? Fais moi le plaisir de retourner immédiatement chez toi ! »
Bastien déplia avec difficulté ses jambes engourdies.
La niche est petite et exigue, mais le sphinx ne s’y trouvait plus quand le garçon le chercha une dernière fois des yeux avant de suivre le gardien.
Monsieur Octavien dirigea en douceur Bastien qui avançait dans le couloir un peu comme un somnambule.
D’autorité, le gardien l’installa dans la cabine de l’ascenseur et appuya lui-même sur le bouton de l’étage du garçon.
Avant que portes métalliques ne se referment, monsieur Octavien lui lança un dernier regard plein d’éclairs, mais Bastien, plongé dans une rêverie hermétique se contenta de lui adresser un vague signe de la main.
A peine avait il entamé son ascension que Bastien commença peu à peu à émerger.
Le garçon tenta de rattraper des bribes des derniers instants passés, mais son esprit semblait à chaque fois glisser comme sur une nappe d’huile lorsqu’il s’agissait d’invoquer la raison qui l’avait poussé à rester si longtemps au deuxième sous-sol.
Ce soir, après que sa mère l’eut consigné dans sa chambre au terme d’un savon mémorable abordant aussi bien les termes de l’insécurité en banlieue que les déviances des comportements à risques des préado, Bastien ouvrit son exemplaire défraîchi de l’Odyssée avec plus de curiosité que d’habitude et passa la soirée à lire tout en ne s’expliquant pas cette tenace impression de déjà vu qui hantait chacune des pages de son livre.
Le gardien soupira quand l’ascenseur s’ébranla après avoir couine et grincé comme un gigantesque organisme vivant, bête mais discipliné.
Enfonçant ses mains dans ses poches, le dos un peu voûté maintenant qu’il se trouvait désormais seul, monsieur Octavien emprunta le couloir des caves.
Sur le chemin, il en profita pour remettre en place les sachets de blé éparpillé, tapoter le culot vacillant d’une ampoule, des trucs de gardiens.
Parvenu à la hauteur de la niche, monsieur Octavien grattouilla la rouille qui s’attaque à la serrure d’une porte de cave.
Sans que son regard ne quitte les paillettes de métal corrodées qui se mettaient à pleuvoir à ses pieds, le gardien murmura d’une voix douce.
« Il a fallu que tu fasses ton intéressante, hein ? je t’avais demandé de te montrer discrète, mais, non, Madame ne veut en faire qu’à sa tête! »
Monsieur Octavien semblait plongé dans la contemplation de son pouce couvert de rouille.
« Tu n’en as plus pour très longtemps ici, ne pourrais tu pas faire un effort et te montrer plus discrète ? »
Seul le grésillement des ampoules de qualité économique lui répondirent.
Monsieur Octavien s’apprêta à faire demi tour.
Il plongea une main aussi large qu’un assiette dans sa poche et en sortit trois steacks hachés.
« Ce sera meilleur que les souris empoisonnés.. » déclara-t-il en jetant la viande dans l’obscurité de la niche.
Le gardien repartit ensuite de son pas tranquille en direction des ascenseurs.
Les caves se trouvaient désormais derrière lui.
La vue de quelques cafards caracolant sur le revêtement de sol crasseux firent se froncer les sourcils de monsieur Octavien.
Comme s’il n’avait pas assez des débarquements à l’improviste de créatures fantastiques, il fallait qu’il se cogne pour la troisième fois de l’année une invasion de cafards !
Encore un problème dont il faudra s’occuper.
Encore un truc de gardien.
Une épopée épique rien qu'en jetant un sac poubelle dans le local VO, le tout vu dans les yeux d'un enfant. Un récit plein de malice de drôlerie et d’impertinence. Des descriptions et métaphores, toujours justes et pleines d'imaginaire. L'enfant qui répond au chant des sirènes pour se retrouver plein de courage ou d'inconscience face à un danger à la fois beau, fascinant et terrible... Le tout en réconciliant un enfant avec la lecture... Bref, j'ai adoré ce récit et j'aurais bien aimé en lire d'avantage...
· Il y a plus de 12 ans ·Merci Belise.
axyohm
Un style bien assuré et nerveux. De belles images et un univers sans aucun doute à développer et à explorer! En gros ça le fait!!
· Il y a plus de 12 ans ·tobradex
Un récit plus long qu'il ne l'aurait dû...Les personnages et les lieux m'ont emporté un peu plus loin que je ne l'imaginais au départ...
· Il y a plus de 12 ans ·Belise Next