UN TEMPS POUR TOUT
Jean Luc Bolo
Gare du Nord, ligne 4, direction Mairie de Montrouge. 17h30. Février 2018.
Le quai fut partiellement composé de voyageurs urbains, cosmopolitisés de diverses couleurs et d'horizons. Parmi eux se trouvait Nelson, un trentenaire d'origine martiniquaise, cheveux rasé court et bouc taillé sur mesure. Il attendait patiemment le métro en dodelinant de la tête, coiffé d'un casque « Beats » connecté à son smartphone : un iPhone 7. Il écoutait des sons de rap français à l'ancienne : du Lunatic, du X-men, du NTM, du Arsenic, du IAM, du Oxmo Puccino, du Faf Larage, etc. Bref, tous ceux qui ont pu bercer son adolescence durant les années 90. Pour lui, le rap c'était mieux avant, car aujourd'hui l'originalité est passée à la trappe. Il avait rendez-vous avec deux de ses potes à Montparnasse devant le Mcdo, pour aller voir le film qui battait tous les records du box-office du moment « BLACK-PANTHER ».
Le métro arriva enfin et le personnel de la RATP affublé de gilet fluorescent orange se mit en position à chaque ouverture de porte, pour pouvoir mieux fluidifier l'affluence quotidienne.
«S'il vous plait, laissez descendre avant de monter. Merci ! » Ordonna l'un d'entre eux à l'aide d'un haut-parleur. Rangé sur le côté, Nelson attendait sagement la sortie des voyageurs afin de pouvoir accéder à la rame du métro à son tour. Une fois ces derniers sortis, Il l'investit et s'installa machinalement sur un des sièges. Après avoir arrêté sa playlist de rap français, il en profita pour visionner sur son smartphone, le temps du trajet, un documentaire sur Cheick Anta Diop via YouTube. En face de lui se tenait une ravissante jeune fleur d'ébène aux cheveux laineux. Elle avait une trentaine d'années également. Au bout de quelques secondes, les phéromones de Nelson lui révélèrent instinctivement une alchimie viscérale qui se créait, entre cette belle femme naturelle à la peau chocolatée et lui-même. Nul ne disait mots, mais leur silence parlait pour eux. Nonobstant quelques minaudages subtils et autres regards énamourés furtifs, Chacun des deux se terrait dans un mutisme assourdissant et révélateur. Nelson s'efforçant tant bien que mal, de rester concentré sur sa vidéo.
Se sentant quelque peu vexée de ne pas avoir encore été abordée, la jeune femme soupira légèrement ; et toucha nonchalamment ses cheveux en les tortillant avec son doigt, dans un soupçon de sensualité.
« Qu'est-ce qu'il a ? Pourquoi il ne m'accoste pas ? Je sens que j'lui plais pourtant...À moins que (elle écarquilla légèrement ses yeux)...Aah, il est p'têt gay ! Mais non. Je n'ose y croire. Peut-être timide ...À son âge ça serait dommage », songea-t-elle tout en lui esquissant un sourire.
Hum...
Nelson décolla Brièvement ses yeux du smartphone pour la regarder.
«Ah la la...Elle est trop belle de ouf. Obligé ça c'est une tchoin. Ou peut-être pas...D'façon les meufs belles comme ça, obligé elles ont au moins 10 gars. Même si il me semble que j'lui plais, j'me suis pris trop de râteaux ces temps-ci. Pas envie que ça recommence. Ah moins que j'me fasse des films et qu'elle n'attende que ça que je l'aborde. Ah purée, c'est trop relou des fois de jouer aux devinettes comme ça...Mais j'avoue c'est d'la frappe c'te meuf. Elle est trop yes... », Songea Nelson en se pinçant les lèvres tout en visionnant son smartphone.
Trois stations étaient déjà passées, qu'ils n'avaient pas encore daigné briser la glace. Nelson avait même entre-temps commencé à mettre la main devant sa bouche, par gêne. Les yeux toujours rivés sur son smartphone. La jeune femme noire quant à elle affichait une légère moue boudeuse.
«Bon vas-y c'est bon. J'me lance...Ça passe ou ça casse » songea Nelson.
«Bon...Tant pis pour toi mec. » songea la jeune femme parallèlement.
-Bonjour...Excusez-moi mais je vous...
Il s'interrompit en la voyant se lever aussitôt.
-Excusez-moi mais je descends la...Bonne journée !
-Euh...hum...ah okay...de même !
« Purée »...
La jeune femme était déjà postée devant la porte qui s'ouvrait devant elle. Avant de quitter la rame elle se retourna vers Nelson et lui adressa un sourire attendrissant.
« A une prochaine fois peut-être » songea-t-elle tout en le regardant par l'esquisse d'un sourire, avant de partir et de s'éloigner.
-Tchiiiiip, vivement que je sois au ciné, afin d'me changer les idées, soupira Nelson en secouant légèrement sa tête de dépit.
****
Arrivé au niveau du Mcdo, Nelson vit ses deux potes qui l'attendaient, à environ deux mètres de lui. L'un se prénommait Mathieu, trentenaire originaire du Congo. Il arborait un afro décomplexé, portait un bouc et des lunettes de vue. Il était féru de lecture exclusivement panafricaine et gérait une start-up de 10 employés, spécialisé dans l'informatique. Quant à son acolyte, Fabrice, trentenaire originaire d'Haïti, il avait le visage imberbe et des locks qui lui tombaient jusqu'aux épaules. Il était musicien, jouait du piano et tenait également un restaurant africain dans le 10e arrondissement. Une belle représentation diasporique de l'excellence noire et un sacré pied d'nez aux stéréotypes racistes endémiques.
-Alors, prêt pour le grand frisson poto ? Questionna Mathieu à Nelson qui arriva à son niveau.
-Oh la la... T'as pas idée frangin ! J'ai attendu ce moment depuis des mois, rétorqua ce dernier en faisant respectivement un check de salutations à ses deux camarades. Depuis le temps qu'on en parle, aujourd'hui c'est un grand jour pour moi.
-Un jour à marquer d'une pierre noire même, plaisanta Fabrice.
Ils se mirent à rire.
-Allons, dépêchons nous, lança Nelson. La séance va commencer dans vingt minutes.
Quelques minutes plus tard ils arrivèrent aux abords du cinéma « GAUMONT PARTNASSE » qui diffusait le film-évènement. Bien évidemment, l'endroit était noir de monde. Certains portaient même ostensiblement le masque du super-héros noir.
-Wouah, y'a tout ça de renois ?! S'étonna Fabrice. C'est un truc de ouf !
-Le seul endroit où il y a autant de renois concentrés en un seul lieu, c'est au KFC, plaisanta Matthieu.
-T'es trop bête, lui rétorqua Nelson l'air amusé.
La foule était telle qu'un agent de sécurité noir, tiré sur quatre épingles, chauve et bodybuildé, fut contraint de sortir du cinéma et de couper la queue juste au niveau de ce dernier ainsi que de ses amis, faute de places disponibles.
« Je suis désolé mesdames et messieurs, mais la salle ainsi que les autres séances sont pleines. Veuillez revenir un autre jour svp. Merci de votre compréhension. », Annonça-t-il devant la foule éberluée et ronchonne qui rebroussait chemin.
-Purée, c'était moins une. Il a juste clôturé la queue derrière nous. On a eu d'la chance sur ce coup-là, s'étonna Matthieu.
-C'est clair. Tu l'as dit. J'aurai été vénèr de ouf, rétorqua Fabrice en entrant dans le cinéma avec ses acolytes.
-D'façon, rien ne pouvait nous gâcher cette journée, s'enthousiasma Nelson tout excité. A nous BLACK PANTHER !!!
Deux heures et quart plus tard, les trois nouveaux « wakandais » sortirent enfin de la salle avec un sentiment de fierté absolue. Comme le sentiment d'une négritude exaltée et réaffirmée. Comme le sentiment d'avoir été réconcilié avec le paradigme noir originel.
- wow, quelle claque ce film ! Et le wakanda bizarrement m'a fait penser à l'Egypte antique, s'enthousiasma Nelson les yeux encore plein d'étoiles.
-Oui moi aussi. De part ses avancées technologiques (de l'époque) et ses connaissances scientifiques, mathématiques et philosophiques, appuya Mathieu.
-Ce film, tel un Moise noir, est venu nous affranchir de l'esclavage pharaonique des stéréotypes cinématographiques endémiques, sur nos frères acteurs. Un véritable pied de nez aux idées reçues, qui j'espère fera date et changera la donne et les mentalités, surenchérit Fabrice.
-C'est clair. En attendant allons boire un verre dans un bar d'à côté, suggéra Nelson. Après concertation, ils résolurent de s'installer dans un bistrot à proximité.
****
-Franchement, j'pense que j'irai encore le voir prochainement, tant ce film sort des sentiers battus, lança Fabrice en sirotant un jus d'orange.
-C'est clair que pour une fois que les noirs ne sont pas tournés en dérision ou cantonnés à des rôles subalternes, ça vaut la peine qu'on aille plus d'une fois, rétorqua Nelson en buvant son coca.
-Et puis tous les acteurs incarnent bien leurs personnages, à l'image de la très belle Lupita Nyong'o surenchérit Matthieu avec son verre de diabolo grenadine à la main.
-Tiens, à propos de « très belle femme », j'en ai rencontré une tout à l'heure, une renoi, dans l'métro durant l'trajet, révéla Nelson. Elle était magnifique.
-Et t'as pu gratter son 06 ? Questionna Fabrice esquissant un sourire.
-Ben en fait j'ai voulu faire le mec indifférent au départ en regardant une vidéo sur mon smartphone. Et au moment où je me suis enfin décidé à lui faire la bringue, c'est là qu'elle s'est levée pour descendre à sa station. J'étais dégoûté...
-Et durant Tout le trajet tu ne lui as pas parlé du tout ? Demanda Matthieu.
Nelson soupira en baissant la tête.
-Ben non. Je sais que j'ai été con. D'autant plus que je sentais malgré tout que je lui plaisais. Je ne saurai comment l'expliquer, mais je sais où du moins je pense que je ne lui étais pas indifférent.
- Tchiiiiip ! Dans c'cas, fallait battre le fer pendant qu'elle était encore chaude mec (Nelson et Matthieu sourirent). Maintenant, tu l'as perdu...T'as déconné sur ce coup-là mec, déplora Fabrice.
-Oh et puis c'est pas la fin du monde non plus, dédramatisa Nelson. Si l'occasion avec une femme ne se présente qu'une fois, on peut le relativiser. Mais si cette occasion se représente une seconde fois voire une troisième fois, je pense que cela sera un signe du destin.
-Euh...et en français ça donne quoi ta phrase s'il te plaît ? Demanda Matthieu d'un ton narquois.
-Si elle m'est intrinsèquement destinée je la reverrai d'une manière ou d'une autre, rétorqua Nelson.
-Ouais, quand les poules auront des dents ; et que tous les renois n'en mangeront plus, ironisa Fabrice.
Ils se mirent à rire.
-T'es trop bête, rétorqua Nelson l'air amusé.
-Et d'ailleurs c'est quoi le destin ? Comment pouvons concrètement le définir ? Questionna Matthieu.
-Hum...Bonne question, répondit Nelson tout en maintenant son menton le doigt posé sur sa bouche. Pour ma part, c'est une synchronicité circonstancielle. C'est quand les circonstances concordent et concourent au bien (ou au mal) d'une finalité existentielle.
Matthieu acquiesça.
-Et pouvons-nous maîtriser notre destin ? S'interrogea Fabrice. J'imagine que non du coup...
-En effet, le fait de ne pas pouvoir maîtriser et connaître le jour de notre mort, implique que nous ne le maîtrisons pas. Nos choix, nos décisions, nos aspirations, nos désirs ne sont bien souvent que des corrélations arbitrairement impulsés par des circonstances synchronisées, rétorqua Nelson.
-Euh...et en français ça donne quoi ? Ironisa Fabrice.
Nelson se mit à rire.
-En gros, nous avons souvent l'impression que nous maîtrisons notre destin, alors qu'en réalité c'est l'inverse. C'est le Destin qui nous maîtrise, reprit ce dernier.
-Okay...J'crois que j'vais reprendre un verre, parce que j'ai mal au crâne la du coup, lança Matthieu narquoisement.
Nelson se mit à rire en secouant sa tête.
Garçon, s'il vous plaît ...
Après avoir refait le monde en 47 mn, ils prirent la direction du métro Montparnasse, où chacun prit respectivement sa direction, en se faisant néanmoins au préalable le signe du Wakanda en guise d'au revoir, par ce fameux croisement de bras furtif.
Quelques heures plus tard, Nelson fut enfin de retour chez lui. Après avoir pris une douche et dégusté un excellent plat Tiep, il s'était installé confortablement sur la chaise pivotante de sa chambre, et s'enjaillait toujours à écouter du rap français à l'ancienne, coiffé de son casque «beats » branché sur son smartphone. Celui-ci fut branché à une prise via un câble. Il dodelinait de la tête, tout en lançant quelques fléchettes sur une cible accrochée sur la porte, à l'effigie...du roi belge démoniaque Léopold 2 !
« Tiens, prends ça sale race », songea-t-il les sourcils légèrement froncés, en envoyant une des fléchettes qu'il tenait dans sa main droite, atterrissant sur la cible à l'effigie du roi belge raciste, sanguinaire et barbare.
Au même moment, une notification Facebook apparaissait furtivement du haut de son écran, pour une demande d'ami.
Tiens, une demande de...Choco...BN, Choco BN, s'étonna-t-il. C'est une renoi apparemment.
Nelson ne pouvait pas trop bien discerner le visage sur la photo, car cela lui était apparu petit sur la notification.
Il s'empressa de cliquer dessus, avant qu'elle ne disparaisse de l'écran. Surprise. Le visage de la personne lui sembla être familier. C'était la jeune fille noire qu'il avait feint d'ignorer tout à l'heure dans le métro. Ses yeux s'écarquillèrent d'émerveillement. Il confirma aussitôt sa demande d'ami.
Au même moment, dans un sublime F2 du 18 ème arrondissement de paris, cette dernière allongée coté ventre sur le lit de sa chambre devant son mini portable 14 pouces, sembla se réjouir de cette acceptation numérique.
-Hum...il m'a accepté comme ami. C'est déjà bon signe, songea t-elle en esquissant un sourire. Espérons maintenant qu'il passe à la vitesse supérieure. Bon, je vais quand même lui faire un p'tit coucou via Messenger, histoire de lui faire un p'tit appel de phare. Après basta. C'est à lui de faire le reste du taf, pas moi.
La jeune femme joignit le geste à la pensée, en lui envoyant en guise de coucou, cette fameuse main jaune qui apparaît dans Messenger.
De son côté, Nelson lui répondit aussitôt d'un même enthousiasme.
« Bon allez, vas-y. Dis-moi quelque chose maintenant », s'impatienta la jeune femme.
Au même moment, Nelson s'apprêta à lui écrire quelque chose, les doigts suspendus au-dessus du clavier de son smartphone, comme si il avait télépathiquement entendu la pensée de cette belle fleur d'ébène. Mais au final cela ne semblait pas être le cas après coup, car il se ravisa.
« Non, pas tout d'suite. Pas maintenant, songea-t-il. Ça ferait trop le mec « dalleux », le mec pressé, le mec lourd qui cherche à brûler les étapes. Les femmes n'aiment pas ça. J'vais attendre un peu, non pas pour la faire mariner mais pour bien faire les choses. D'façon, j'ai son Facebook maintenant. Elle ne risque plus de se volatiliser comme dans le métro sans espoir de la revoir. Je lui parlerai plus tard, un autre jour ».
Nelson se déconnecta de Messenger et alla malgré tout jeter un œil sur le profil Facebook de « Choco BN ». Histoire de. Quant à cette dernière quelque peu frustrée, elle fit de même en faisant néanmoins la moue.
****
Deux jours plus tard, en matinée, dans une salle de sport sur Paris :
-...Et en plus ce Nelson c'est un architecte d'après c'que j'ai compris apparemment, s'étonna la jeune femme noire alias « Choco BN » en s'adressant à sa copine vietnamienne, qui courait tout comme elle, sur un tapis roulant. Il construit des bâtiments en banlieue parisienne.
Au même moment, dans le parc du jardin du Luxembourg :
-Tu sais en plus d'être grave mignonne cette « Choco BN » fait de la peinture, et est prof de philo dans un lycée, révéla Nelson à Fabrice durant leur jogging matinal.
Ils s'étaient donné rendez-vous devant le parc pour aller courir, comme ils le font régulièrement.
-...On peut voir quelques-unes de ses peintures sur son Facebook, continua ce dernier. Elle a un certain talent je l'avoue.
- Okay mais c'est du concret ou de l'abstrait, questionna Fabrice de manière allusive, en esquissant un léger sourire.
-Oh, elle peint de l'abstrait. Ce n'est pas du figuratif.
-Okay. Alors sois plus concret, sinon elle se lassera, figure toi.
Fabrice lui décocha un clin d'œil.
-T'en rates pas une toi, rétorqua Nelson en souriant.
Dans la salle de sport :
-Wow, tu as décroché le gros lot miss. Un architecte ! Et il est beau gosse ? Demanda la jeune fille vietnamienne.
-Oh beau gosse oui, mais « décrocher le gros lot » je n'sais pas, soupira la jeune femme noire en faisant ses foulées sur le tapis roulant.
Sa copine afficha un air perplexe.
-Ben pourquoi dis-tu ça ? J'comprends pas. Vous vous êtes déjà engueulés ?
-Ah, si ce n'était que ça, ça aurait été super. Cela aurait signifié que l'on se parle. Je l'ai en ami Facebook depuis deux jours et c'est le silence radio total. Si c'n'est un p'tit coucou que je lui ai envoyé, pour lui témoigner discrètement de l'intérêt. Mais cela ne l'a pas « motivé » apparemment, pour qu'il prenne les devants. Il m'a juste poliment renvoyé son coucou, sans me dire un mot.
-Ah ce n'est que ça ? Il aiguise simplement ton appétit, relativisa la belle vietnamienne. Je ne vois que ça. Il prend juste un peu d'temps, pour pouvoir cueillir le fruit au bon moment.
-Ah je n'sais pas miss. Toujours est-il qu'il me plaît de ouf, mais je doute qu'il en ait conscience. Sur Facebook en c'moment je vis un amour platonique.
-Ou plutôt plus «plato » que «nique », plaisanta la vietnamienne.
-Ah ah, très drôle.
-Mais ça va aller tu verras. Il est juste en train de te faire mariner. Bientôt il va te proposer d'aller boire un verre tu vas voir.
-Mouais. Je n'demande qu'à voir.
Dans le jardin du Luxembourg :
-J'ferai tout pour qu'il y ait du concret t'inquiète, lui confirma Nelson (Fabrice lui fit un check en guise d'approbation). C'est juste que je ne veux pas jouer le mec relou dès l'départ. Surtout que maintenant qu'elle sait sûrement que je suis architecte, ça risque de fausser sa sincérité et son intérêt à mon égard. Et c'est ça un peu qui me gave avec Facebook.
- Oh, tu t'prends trop la tête. Vas-y va la serrer et kiffe ta life mec.
-Mais non, j't'assure Fab. Certaines femmes qui me font de la bringue sur Facebook, parce que je suis architecte, ne m'auraient jamais calculé si je les avais abordé dans la vie réelle, sans savoir ce que je suis et ce que je fais.
-L'apparence n'est que la partie visible de l'iceberg cousin. Tu le sais très bien, lui lança Fabrice qui vit s'approcher au loin une jolie femme indienne qui courait à l'opposé, dans sa direction.
-Eh oui, c'est c'que je reproche aux femmes en général, qui ne jaugent et ne jugent que par l'apparence ou le style du gars. Mais bon, pour cette belle gosse renoi, je vais passer outre cette... inhibition Facebookienne.
-Tu as grave intérêt, l'encouragea Fabrice. Quand une occasion se présente il faut savoir la saisir avant que cela soit mort, mec. Et ça moi, cousin, on m'le dit pas deux fois.
La belle joggeuse indienne se mit à les croiser.
-...A plus tard frérot. Là j'ai une mission à accomplir (il lui fit un clin d'œil). On s'capte plus tard, reprit Fabrice après avoir rebroussé chemin pour aller à la rencontre de la belle indienne et lui conter fleurette.
-Okay .A plus tard, répondit Nelson en rigolant tout en tournant furtivement sa tête vers Fabrice qui rejoignit la belle demoiselle agréablement surprise. Il reprit seul son footing.
« Ah la la, Il n'en manque pas une celui-là », songea Nelson l'air amusé en secouant sa tête.
Dans la salle de sport :
-Tu verras miss, il viendra te parler. Tu n't'appelles pas « Choco BN » pour rien. Bientôt il aura trop envie de te...croquer ! Lança la vietnamienne d'un furtif clin d'œil malicieux.
-Que Dieu t'entende miss. Que Dieu t'en...
La jeune femme s'interrompit en voyant sa copine tourner ses regards vers un homme aux muscles saillants et au corps luisant de sueurs, qui faisait des tractions suspendus à une barre de fer. Elle le déshabillait lubriquement du regard, tout en se mordillant les lèvres.
-Hou hou !! Allo la terre. Ici Houston. Je suis la miss.
-Oups, désolé cousine. J'étais ailleurs, répondit la belle vietnamienne en esquissant un sourire.
-Ouais c'est ça, ouais. Donc je disais, espérons seulement qu'il ne soit pas végan dans c'cas, me concernant, répondit narquoisement la jeune femme noire.
Les deux femmes se mirent à rire et ralentirent toutes deux simultanément la cadence de leurs machines, jusqu'à l'arrêt. Elles se tamponnèrent leurs visages en sueurs, avec leurs serviettes respectives. La belle vietnamienne en profita pour reluquer de nouveau le bel apollon qui continua à faire ses tractions, les muscles du biceps de plus en plus saillants.
La jeune femme noire témoin de cela, esquissa un sourire en secouant sa tête, couronnée de son bel afro.
-Tsss...T'es incorrigible toi. En gros, t'es venu faire du sport...pour «faire du sport » ouech, lança cette dernière.
-Mais...comment tu sais ? rétorqua son amie en plaisantant.
-Ah la la...J'te jure. Allez, viens on y va, dit-elle avant de rejoindre leur vestiaire.
****
Plus tard dans la journée, la jeune femme noire attendit le métro, sur un quai parisien. Dès lors qu'il fut arrivé elle investit la rame pour s'asseoir directement sur le siège à bascule, à proximité des portes coulissantes. Elle allait voir une expo d'un artiste peintre africain. Sa beauté naturelle irradiait comme à l'accoutumée, tout autour d'elle. De cette nuit qui fut divinement couchée sur sa peau, elle fit rayonner d'éclat son visage, de la lumière diffuse qui émanait de son cœur. Et comme à l'accoutumée, cela éblouissa le cœur d'un homme qui vint conter fleurette à cette belle fleur d'ébène.
Il vint tout sourire s'asseoir juste à côté d'elle, sur l'autre siège à bascule qui fut disponible. C'était un blanc d'une cinquantaine d'années, les cheveux grisonnants et portants une barbe de trois jours. Il avait un physique agréable. Le corps très affuté et sportif. Visiblement c'était un homme très soigné et qui aimait s'habillait chic.
-Bonjour madame. Je vous ai remarqué en vous voyant rentrer dans l'métro. Sachez que vous êtes un ravissement pour mes yeux, et pour d'autres d'ailleurs, dit ce dernier. Vous êtes d'une beauté incroyable. Une pure gazelle d'Afrique.
- Oh Merci c'est gentil, répondit-elle l'air quelque peu gêné.
-Je le pense vraiment. Vous êtes de quelle origine ? Sénégalaise ?
-Oui, tout à fait.
-Ah ça ne m'étonne pas. Chez vous la beauté est une...tradition !
-Merci c'est gentil Monsieur.
-Oh vous pouvez m'appeler Franck. C'est pas un souci, dit-il en souriant. Sérieux, vous êtes la preuve qu'on peut avoir une peau foncée et être très belle. Je ne comprends pas pourquoi certaines se blanchissent la peau, pour espérer être belles davantage.
-Ce n'est pas la couleur qui confère la beauté, mais les traits harmonieux du visage, affirma mordicus la jeune femme noire.
L'homme acquiesça.
-Tout à fait. Il y a des blancs qui sont moches aussi, dit-il en souriant. Il y a autant de blanches moches que de belles noires foncées.
L'homme lui fit malicieusement un clin d'œil. Mais la jeune femme demeura impassible, ne voulant pas qu'il interprète mal un sourire ou un regard faussement enamouré.
-Hum...dites-moi...Vous avez un p'tit ami en c'moment ?
-Oui...euh...du moins non. Enfin...c'est compliqué. Disons que ce n'est pas encore officiel pour le moment, mais ça le sera bientôt.
« Du moins je l'espère »...songea-t-elle en soupirant légèrement.
-Ah je vois...C'est quelqu'un qui tergiverse ou qui ne sait pas ce qu'il veut j'imagine. Quelqu'un qui peine à prendre les devants ou des initiatives. Trop materné à mon humble avis. Ce qui peut traduire un manque de confiance.
-Mais...comment pouvez-vous oser dire cela ? Vous le connaissez même pas Monsieur, s'offusqua légèrement la jeune femme noire.
- Oh vous savez des mecs comme lui ça coure les rues, hélas. Et même dans ce métro j'parie...Sérieux, il vous faut quelqu'un qui sait c'qu'il veut. Un mec mature, non indécis, qui a de l'expérience et qui sait parler aux femmes.
La jeune femme noire écarquilla ses yeux d'exaspération.
« Ah...ma station. Merci Seigneur ! » Songea cette dernière.
-Si vous voulez nous pourrions en parler un d'ces quatre, autour d'un ver...
-Désolé, je descends la, s'empressa de dire la jeune femme en l'interrompant.
Elle ouvrit les portes coulissantes et sortit de la rame.
-Mais Je...Dites-moi au moins comment pourr...
-Bonne journée à vous ! Dit la jeune femme sur le quai, en se retournant furtivement vers lui.
A peine avait-elle fini sa phrase, que les portes du métro se referma tel un couperet sur les intentions libidineuses du prétendant frustré.
Bizarrement, durant tout le trajet, un homme se tenait juste derrière la jeune femme, de dos, en écoutant de la musique via son casque : ce fut Nelson. Ils étaient assis l'un derrière l'autre, sans même qu'ils s'en rendent compte. Lui sur les sièges à quatre places, et elle sur l'un des sièges à bascule près des portes coulissantes. Le volume élevé de son casque «Beats » l'avait complètement plongé dans une bulle, et il n'avait de ce fait pas du tout conscience de ce qui se passait derrière et autour de lui. Le destin sembla cette fois-ci être passé incognito, faillant a ses responsabilités séculaires inhérentes, du moins concernant ses deux-là. Mais il les rattrapera forcément un jour tôt ou tard !
****
Dans la soirée, la jeune femme noire fut enfin rentrée chez elle et se trouvait dans la salle à manger, attablée, pianotant frénétiquement les touches de son ordi portable. Elle rédigeait un document lambda sur WORD. Elle avait pris soin néanmoins de faire rétrécir le célèbre fichier susmentionné, pour jeter quelques coups d'œil furtifs sur une fenêtre qui fut juxtaposée à côté, et qui donnait sur Facebook et son fil d'actualité. Et ce, afin de montrer qu'elle était connectée...et disponible ! Au cas où...
Alors qu'elle continua de promener ses doigts sur les touches de son clavier, elle vit Nelson se connecter contre toute attente, sur le célèbre réseau social.
« Ah te voilà enfin toi », songea-t-elle en se mordillant légèrement les lèvres.
Elle eut une idée pour tenter enfin de le faire réagir et de lui montrer conjointement son intérêt pour lui.
... «Je vais le poker » se dit-elle dans l'esquisse d'un sourire.
À peine cette initiative lui avait traversé l'esprit qu'elle s'exécuta aussitôt, en s'empressant d'aller sur le profil de Nelson et de lui envoyer «cette marque d'attention numérique »,ayant tendancieusement des allures d'appels de phare. A l'autre bout de son portable, Nelson, allongé confortablement sur son lit lui poka en retour, en guise d'approbation.
-Aah enfin, se réjouissait la jeune femme noire. Il serait temps d'embrayer maintenant et de passer à la vitesse supérieure.
Mais le miracle ne se produisit pas. Et Nelson n'alla pas plus loin que son poke de courtoisie, au grand dam de la jeune femme noire. Cette dernière se mit à soupirer derrière son ordi. Voyant Nelson toujours connecté elle se résolut à publier sur le fil d'actualité, ce post évocateur et plein de sous-entendu. Comme un avertissement...et une bouteille à la mer :
«Le destin n'est jamais en retard ni en avance. Il a juste un compte à rebours. » .
A la vue de ce post qui apparaissait entre deux vidéos animalières (l'une montrant une sélection d'animaux affectueux envers les hommes ; et l'autre révélant une cruauté envers un chien maltraité par un asiat de Chine) Nelson resta quelques peu perplexe, mais néanmoins confiant.
Voyant le mutisme assourdissant de ce dernier, la jeune femme noire toujours dans son salon, légèrement vexée (elle faisait la moue), lui adressa mentalement un ultimatum.
« Je peux aisément comprendre que tu hésites de me parler de peur de te prendre un râteau, ce qui ne sera bien sûr pas le cas si tu me gères bien, mais si au plus tard demain tu ne me parles pas concrètement ça sera définitivement mort, mec. Je tirerai définitivement un trait sur toi, sois en sûr. Je ne serai même plus ta petite amie...Facebook ! Je n'vais pas t'attendre éternellement. », Songea-t-elle en voyant Nelson toujours connecté sur le Messenger du réseau social.
De son côté, ce dernier faisait retentir dans sa tête, un autre son de cloche.
-Bon allez, j'la fais galérer encore un peu ce soir et je la contacte pour de bon demain, et lui fais du rentre-dedans pour un rencard », songea ce dernier au même moment en la voyant également connectée sur Messenger. Il en profita néanmoins pour ne plus se montrer visible de la soirée, en s'y déconnectant.
*****
Le lendemain en fin de matinée, Nelson se trouva dans la célèbre librairie panafricaniste du 5e arrondissement : PRÉSENCE AFRICAINE. Il avait planifié d'y aller la veille, afin de se procurer certains livres inspirants sur l'intelligentsia, le génie, le paradigme et l'historicité des noirs, tant sournoisement obscurantisé par l'oligarchie occidentale. A cet instant, il n'avait pas encore contacté «Choco BN », la jeune et belle femme noire. Mais cela lui était indéniablement à l'ordre du jour. Il feuilletait, survolait et lisait religieusement quelques passages d'un énième livre sur THOMAS SANKARA, pendant qu'il bloquait conjointement sous son bras gauche un des ouvrages de CHECK ANTA DIOP « nations nègres et cultures. » Au même moment une vieille femme noire ayant les cheveux grisonnants et la soixantaine bien affirmée, se dirigea vers la sortie et vit en chemin Nelson, captivé par le bouquin relatant la vie de l'ancien chef d'état de la république de Haute-Volta.
-Je l'ai lu. Il est passionnant. C'est un très bon bouquin, lui lança-t-elle en le croisant.
Nelson détourna légèrement son visage pour voir son interlocuteur, et lui esquissa un sourire en voyant la vieille dame se diriger vers la porte.
-Oui, il a l'air, rétorqua-t-il tout sourire.
-Si la France aux français, alors l'Afrique aux africains. Et à mort la francafrique et le franc CFA, dit la vieille femme d'un point rageur avant d'ouvrir la porte et de quitter les lieux.
Nelson acquiesça de la tête tout en rigolant.
-Pffiou...Une guerrière la mamie, se dit-il en secouant légèrement sa tête tout en écarquillant ses yeux.
Il jeta un dernier coup d'œil sur son livre, puis se dirigea en direction de la caisse afin de régler ses deux achats. Il prit sa carte bancaire, régla la somme, mit ses livres dans son sac en bandoulière, puis sortit de la boutique.
Dès lors qu'il fut à l'extérieur Nelson s'arrêta quelques secondes sur le trottoir, juste devant la porte de la librairie. Il sortit son smartphone de la poche, afin de voir quelle heure il était. Mais...stupeur ! Ses yeux s'écarquillèrent d'étonnement. Une notification Facebook venait d'apparaître sur son portable :
«Choco BN est à proximité. Envoyez-lui un message et découvrez quels autres amis sont à proximité. ».
Nelson était agréablement surpris. Il s'empressa de balayer du regard autour de lui, pour voir s'il pouvait l'apercevoir. Il ne la vit pas.
Elle ne doit pas être bien loin, songea-t-il. Je vais lui envoyer un message de suite.
Il déverrouilla son smartphone. Puis à l'aide de son pouce appuya sur l'application « MESSENGER », pour enfin ouvrir la boîte de messagerie de «Choco BN ».
-Génial, elle est connectée. Je vais lui envoyer un message, songea Nelson plein d'enthousiasme. Pendant qu'il reprit machinalement la marche en se dirigeant du côté droit, il lui envoya ce message suivant :
@Slt Choco BN. Je vois que t'es à proximité. Ça te dit qu'on puisse se capter :-) ?
A peine avait-il envoyé son message, qu'une dame venant de derrière l'interpella. Elle était blonde, la quarantaine, les cheveux coupés courts et semblait affolée.
-Bon...bonjour monsieur. Excusez-moi de vous avoir interpellé de la sorte. Je...
-Euh non...c'est...c'est pas grave. Que se passe-t-il ? Que puis-je faire pour vous madame ?
-Y'a une personne qui vient d'avoir un malaise pas très loin. Elle se trouve dans la rue Valette, là tout de suite à gauche. Vous...avez-vous à tout hasard des compétences dans le secourisme ? Les personnes présentes autour d'elle ne s'y connaissent pas. C'est pour ça que je suis venu vous voir à tout hasard, espérant trouver du secours.
-Euh...oui j'ai...j'ai des compétences dans ce domaine. Je travaille bénévolement pour LA CROIX ROUGE de temps à autre. Mais là je...
Nelson était quelques peu confus. Il était face à un dilemme. Avoir la possibilité de voir Choco BN ou de tenter de sauver une personne. Il se mordit légèrement les lèvres.
-S'il vous plaît monsieur. La personne est peut-être sur le point de mourir, supplia la dame d'un air désespéré.
-Ben... je...Tchiiiiip... (il souffla)...Bon, okay. Ou se trouve-t-elle ?
« Désolé Choco BN, j'ai une urgence la » songea-t-il en soupirant. Guidez-moi auprès de cette personne svp.
La dame s'exécuta aussitôt.
Cette dernière s'empressa d'un pas alerte de guider Nelson sur le lieu où se trouvait la victime, dans la rue adjacente : la rue Valette. Dès qu'ils furent enfin arrivés à proximité, quelques badauds curieux furent déjà regroupés autour de la personne et empêchaient conjointement Nelson de la voir. Ce dernier en écarta quelques-uns, afin de se rapprocher et d'identifier la victime. Puis...stupeur. Ses yeux s'écarquillèrent. La personne couchée sur le sol et inanimée, n'était rien d'autre que ...Choco BN. Surpris, l'air terrifié, Nelson tomba des nues et fut pendant quelques secondes perclus d'étonnement.
C'est...c'est pas vrai...c'est pas elle, murmura-t-il d'une voix chevrotante.
Reprenant vite ses esprits, il commença à lui prodiguer les premiers gestes de secours, après s'être s'assuré qu'elle ne respirait plus.
Il s'agenouilla près de la jeune et belle femme ; et plaça le talon d'une de ses mains au milieu du thorax, sur son tee-shirt blanc qui portait en noir la mention « Mon afro est une couronne ; et ma peau noire une parure». Puis il plaça le talon de son autre main au-dessus de sa première main, déjà posée sur elle. Ce qui ne manqua pas quelque peu de le faire déglutir, vu le contexte et la personne qu'il fut en train de secourir.
-Quelqu'un à t-il déjà prévenu le SAMU ? Demanda-t-il à la cantonade aux gens qui l'entouraient, alors qu'il fit ses premières compressions thoraciques sur la jeune femme inconsciente.
- Oui, ça fait 2 minutes Monsieur, répondit l'un des badauds.
-Très bien...Ils ne devraient plus tarder.
« Allez, réveille-toi Choco BN. Pas maintenant, songea-t-il en rythmant ses compressions.
A l'idée de devoir faire ses premières insufflations intrinsèques, Nelson déglutit en tressaillant subrepticement.
-Bon sang, je n'aurai jamais cru pouvoir t'embrasser dans de telles conditions aussi morbides, songea-t-il de nouveau.
D'une main, il bascula la tête de Choco BN et de l'autre il fit maintenir son menton, de telle sorte que sa bouche puisse s'ouvrir. Puis, non sans émotions, Nelson commença à lui faire ses premières insufflations, en apposant ses lèvres sur les siennes. Un cœur ne battait plus tandis qu'un autre battait la chamade.
Après trois bouche-à-bouche, Nelson reprit ses compressions thoraciques.
-Allez ma belle, réveille-toi, songea encore Nelson. Tu ne peux pas me f...
Quelque chose interrompit ses pensées...Une main venait juste de se poser sur son épaule gauche. Ce fut un agent du SAMU qui venait juste d'arriver. Un médecin urgentiste chevronné, accompagné par deux de ses collègues qui se tenaient légèrement en retrait. Ils portaient tous les trois un gilet blanc estampillé « SAMU de paris ». Un des badauds présent sur les lieux, s'était empressé de les appeler pour leur révéler la localisation de la victime, afin d'intervenir au plus vite.
-C'est bon Monsieur. On va prendre le relais, lança-t-il à Nelson. Cela fait combien de temps qu'elle ne respire plus ?
-Cela fait maintenant plus de 8 mn.
Le visage de l'agent secouriste se rembrunit légèrement.
-Okay. Faut...faut faire vite, lança ce dernier en se ressaisissant aussitôt. Passez-moi le défibrillateur, ordonna-t-il à ses deux collègues derrière lui. Ceux-ci s'exécutèrent promptement. Après avoir soulevé au préalable le Teeshirt de Choco BN jusqu'au niveau de ses épaules, le médecin urgentiste plaça méthodiquement les électrodes sur le haut de son corps. Puis, il lui délivra une décharge électrique qui la fit sursauter, tel un spasme. La jeune femme demeura toujours inconsciente et inanimée, sous le regard inquiet de Nelson et des badauds médusés. Injonction d'adrénaline, intubation, sonde gastrique, les secouristes s'affairaient activement tour à tour auprès de Choco BN en déployant tout leur attirail de survie, comme s'ils abattaient leurs dernières cartes.
Décharge électrique...massage cardiaque...Décharge électrique...massage cardiaque. Les secouristes répétèrent inlassablement durant de longues minutes, ce ballet secouriste d'urgence. Le temps prenait de plus en plus des allures d'éternité et se suspendit à la moindre lueur d'espoir, à la moindre évaporation de soupirs. Au fil des minutes qui s'égrainèrent, Nelson ainsi que quelques badauds semblèrent se résigner.
L'électrocardiogramme affichait de manière morbide une ligne verte discontinue, depuis un bon moment. Quand Soudain...contre toute attente...il commença progressivement son activité graphique, laissant présager « un retour à la vie » de la belle femme noire.
-Elle...Elle revient, elle revient à la vie, s'enthousiasma un des collègues du médecin urgentiste, en voyant l'électrocardiogramme s'activer. Ce dernier soudainement revigoré, redoubla d'énergie sur ses massages cardiaques.
Nelson esquissa un sourire de soulagement.
« Ah, tu ne pouvais pas me faire ça. Merci d'être enfin revenue, songea-t-il. Nous avons je pense pas mal de choses à vivre ensemble. »
Le collègue du médecin regarda de nouveau l'électrocardiogramme et changea soudainement d'expression. Contre toute attente, son visage se rembrunit.
- Oh c'est Pas vrai. Elle...elle repart, lança ce dernier l'air inquiet.
L'activité graphique qui venait à peine de commencer quelques secondes plus tôt sur l'électrocardiogramme, diminua soudainement de manière progressive jusqu'à afficher de nouveau cette ligne verte de mauvaise augure.
-C'est Pas vrai. On l'avait presque, maugréa le médecin urgentiste qui continua ses massages cardiaques de manière plus intensive.
-Bon sang. C'est pas vrai, songea Nelson l'air abattu.
-Alors, que dit l'électrocardiogramme à présent ? Toujours rien ? Demanda le médecin urgentiste.
Son collègue lui répondit par la négative en secouant sa tête, tout en soupirant légèrement.
De longues minutes s'écoulèrent encore comme des couperets. Un ange ténébreux passa, lesté de vingt et un grammes. Malgré toutes les tentatives de réanimation mises en œuvre par le SAMU, le cœur de Choco BN n'était toujours pas reparti. Résigné, le médecin arrêta ses compressions, le cœur dépité.
-C'est bon, dit ce dernier laconiquement. C'est fini...
Les badauds tout autour étaient atterrés et Nelson se tenait le visage par la main.
Tandis qu'un de ses collègues procéda à l'extubation de la bouche de Choco BN, le médecin urgentiste prit des mains de son autre collègue qui se tenait debout derrière lui, une chemise bleue. Il l'ouvrit et en sortit un document officiel : ce fut un certificat de décès. Puis il fourragea dans le sac de la défunte Choco BN ; et en sortit un portefeuille dans lequel se trouvait sa carte d'identité. Il la sortit, la regarda quelques secondes, et commença à remplir le document officiel.
-S'il...S'il vous plait monsieur, pouvez-vous me dire son prénom ? Demanda Nelson.
-Elle se prénommait Destinée, rétorqua ce dernier pendant que ses collègues recouvrirent d'un voile blanc le corps inerte de la jeune femme.
Nelson baissa la tête en soupirant. La révélation de ce prénom était chargé de symbole, comme un poids de plus sur sa conscience, comme un pique que venait de lui lancer le destin. Comme si ce dernier venait de lui faire une leçon ou lui apprendre quelque chose d'essentiel. Ajouté à cela un trop-plein d'émotions qui le submergea, dû au caractère dramatique de la situation dont il fut témoin, Nelson laissa couler une larme vagabonde. Ce ne fut ni une larme de joie, ni une larme de tristesse, mais une larme de regret. Peut-être même la pire des larmes qui soit. Il pleura Destinée comme d'autres pleurent leurs sombres destins. Il la pleura comme si il l'avait toujours connu, comme si il l'avait toujours aimé, tel un être cher...qu'il n'aura jamais connu !
FIN