Un zoizeau de la katastrophe, papillonnant au gré du vent.
Benjamin Rombeaut
(Article garanti zéro auto-flagellation, satisfait ou remboursé.)
Gasp.
Ai-je été éloigné si longtemps du monde humain, distant de la société, pour que même les oiseaux daignent s'approcher de moi comme si je n'existais pas ?
Allongé dans l'herbe fraîche, la migraine d'une nuit de quatre heures lacérant mon crâne, maux se fondant mielleusement dans une nappe de soleil m'aveuglant de tiédeur blanche ; et, au bout du bras, un chat avide d'aller s'empiffrer d'insectes si point de corde et de harnais pour l'en retenir. Le dos humide, le bras tordu en oreiller pour nuque souffrante et les jambes croisées, je remarque l'exception du geste. La dernière fois que j'étais allongé comme ça, c'était il y a une éternité.
Une éternité d'adulescent, qui préfère voir l'enfance comme un cap d'impuissance désormais passé dans la légende, le canevas perdu de quelque chose de mieux, plus moderne. Plus sage, moins bête, moins soucieux, paradoxalement moins heureux aussi.
Enfant, on se dit qu'on aimerait bien être pilote. On regarde le ciel sans véritable espoir, juste des souvenirs, et de l'ennui. Beaucoup d'ennui. Parce qu'après tout, si un gamin s'amusait, il ne serait pas en train de regarder le ciel.
Puis, petit à petit, l'œil change. Ou peut-être pas, car les souvenirs sont toujours là et se renforcent, renforcés par l'illusion de l'imaginaire... mais l'ennui disparait, et laisse place à l'admiration. Forme des nuages, nuances de couleur, le ciel n'est plus le symbole de l'ennui, il devient sa solution. Les pensées s'y fondent et s'y mêlent, et les heures passées assis sur un banc d'école ou un parking à vélo s'écoulent comme de longues minutes. Et on se prend à vouloir s'y fondre.
Voir le monde de haut, sans disparaitre dans l'espace comme un cosmonaute qui veut fuir la vie qui l'attendrait ci-bas. Pénétrer dans cette obscurité tapissée d'étincelles lointaines, mais rester aux côtés d'une planète qu'on aime finalement.
Et aujourd'hui, modestes représentants de cette profession qu'est le pilotage, ne v'là t-y pas qu'en une même journée, se sont posés successivement un papillon blanc sur mon nez, et un moineau à mes côtés. N'en déplaise à mon anti-égo, cet exploit d'homme des bois valait bien un article. Tarzan et son chimpanzé n'ont qu'à bien se tenir, Blanche Neige est probablement ma lointaine et irréaliste ancêtre.
Devant ce spectacle fort particulier, inutile de préciser que la bête à mes côtés était prête à bondir.
Tout ça était inspirant.
Et en parlant d'inspiration, ma respiration était coupée histoire de ne pas faire fuir les créatures, mais encore plus qu'à la fin du 5e élément, m'voyez (oui, parce que je retiens ma respiration à chaque fois pendant 20 secondes pour pas éteindre l'allumette qui sauve le monde, ça rend la scène plus intense) ?
Par ces envoyés aussi sylphides que sylvains, j'aurais pu réfléchir au sens même de savoir écrire quand les chances d'en tirer bénéfice un jour sont quasi inexistantes. Tout comme je l'avais fait le matin, la veille, la veille de la veille, le jour d'avant et tous ceux précédents. Mais non, même sous cette fructueuse stimulation de l'imaginaire, rien ne vint.
J'aurais pu me demander si j'avais bien choisi cette voie de publicitaire, et si mon bonheur ne se trouverait pas finalement dans celui des autres. J'aurais pu me demander si en d'autres temps, je n'aurais pas été empereur et conquérant parmi les femmes plutôt que chômeur et seul ; si en d'autres temps, j'aurais eu une chance d'être un jour lu et édité, de pouvoir écrire quelque chose de bien et tirer satisfaction du plaisir des autres. J'aurais pu comparer encore et toujours cette situation à celle d'un chirurgien paralysé des mains, et dont le seul talent concret se trouverait muselé par la réalité de la vie.
Mais rien ne vint.
Il n'y avait que le ciel bleu. Le froid de l'herbe. La chaleur des rayons. Un papillon aux ailes de soie et à la trompe en serpentin sur mon pif, puis plus tard un moineau gris à trente centimètres de mon visage. Et un félin prêt à les bouffer à côté, retenu uniquement par ma volonté de préserver un petit instant d'éternité.
Moralité : si vous avez un instant, sortez donc, et allongez-vous dans l'herbe...
Vous ne savez jamais quand un papillon ou un moineau viendra vous donner la paix.
sympa
· Il y a plus de 14 ans ·Remi Campana