Une autre fin du monde.

pascaldinot

A choisir, j’aurai préféré un astéroïde…

Un balèze.

Des milliards de mégatonnes à l’impact.

Une explosion sans précédent.

Une gigantesque vague de flamme brulant tout sur son passage.

Une monstrueuse onde de choc soufflant tout sur son passage.

Oui, j’aurai préféré un astéroïde.

Cela aurait été plus simple. Mais non…

La nature est facétieuse.

La fin de notre monde est bien arrivée.

Autrement…

Au commencement, nous pensions souffrir de trouble de la vision. Certainement à cause de la fatigue. Mais les symptômes étaient tous les mêmes, ceci simultanément et sur toute la surface de la terre. Les scientifiques conclurent à une modification de la perception optique sur une certaine fréquence de couleur.

Mais non.

Ce que les médias appelaient le syndrome de la transparence pour l’esbroufe s’avérait finalement être vrai. Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous devenions transparents. Ceci à cause d’une mystérieuse émission de radiation cosmique, qui altéra notre composition atomique. En moins d’une semaine, nous étions tous devenus invisibles

C’était la panique.

Quelle abomination de se voir disparaître.

De voir disparaître les siens, ses proches, sa famille, sa femme ses enfants.

Une semaine de recueillement, de tristesse, de larmes, d’au revoir et d’adieux.

Jamais je n’ai étreint ta mère aussi intensément.

Et tous les humains disparurent sans exception.

Nous ne pouvions même plus être les ombres de nous-mêmes.

Nous en avions été dépossédées par la nature.

En deux jours, tous ce qui faisait la civilisation humaine chancela sur ses bases.

Et puis ce fut le chaos.

Aucune hiérarchie, aucune organisation, aucun pouvoir ne pouvaient prétendre à assurer le bien des personnes, car n’importe qui pouvait désormais prétendre à n’importe quoi.

Beaucoup comprirent que l’invisibilité, c’était l’impunité.

L’identité avait disparue. Impossible de désigner une personne avec certitude.

Seuls les vêtements suggéraient être portés par une personne, mais l’intérieur restait vide.

Les tenues vestimentaires ne valaient que par leur surface sur laquelle les propriétaires en crise d’identité, inscrivaient leur nom, prénom, date de naissance, caractéristiques physiques. Ils épinglaient des photos d’eux sur toute la surface de leur veste, de leur pantalon, clamant ainsi au monde leur besoin d’exister.

Leur besoin d’être unique.

Je suis…

Ou plutôt j’étais.

Un vent de paranoïa souffla sur toute la terre.

Suis-je seul ou entouré d’un millier de personne silencieuses, qui se posent la même question que moi ? Est-ce que quelqu’un m’observe ? M’épit ? Me guette ?

Jamais on n’avait tant nourrit de peur d’être seul, abandonné.

Sans l’expression du visage et sans les gestes, les paroles prennent plus d’importance. Ce qui nous obligea à plus d’attention, à plus de mesure dans les propos, et forcément à plus de sincérité. On parlait plus lentement, on écoutait vraiment les paroles des autres, sans s’interrompre.

Il y eut un bouleversement dans l’échelle des valeurs. Les métaux et pierres précieuses ne représentaient pas plus que du vulgaire métal et des cailloux sans importance. Seule la beauté des femmes qui les portent leur donnaient véritablement de la valeur.

L’idée de possession, de patrimoine et de capital commencèrent à disparaître pour faire place à l’indispensable, puisque l’argent n’avait plus cour. Assurer l’avenir devint la principale occupation des êtres humains en cultivant et en élevant.

La richesse perdit son sens de fortune. Les hommes et femmes riches étaient ceux et celles qui pouvaient se souvenir et transmettre la mémoire.

Les mères pleuraient de ne plus voir le visage de leurs enfants.

Les photos de famille devinrent sacrées.

Des millions de personnes passaient des heures à les regarder, de peur de ne plus s’en souvenir.

Les chaînes de télévision passaient en boucle les photos que leur avaient adressées les familles dans l’unique besoin d’être présent dans l’esprit de quelqu’un.

L’oubli était pire que la mort.

Les enfants nées après l’événement, regardaient stupéfaits à quoi ressemblait un homme, une femme, un enfant.

Plus rien n’avait d’intérêt.

Plus rien n’avait d’importance.

Plus rien n’avait de sens.

Plus de guerre, plus de racisme, plus de frontières…

Pour tous, c’était vraiment la fin d’un monde.

Et cela aura duré vingt ans.

Vingt années durant lesquelles les hommes convergèrent vers un seul et même idéal, parce qu’il fallait retrouver un sens à la vie. Parce que les hommes durent se faire une absolue confiance sans se baser sur ce qu’ils voyaient, mais uniquement sur ce qu’ils ressentaient.

Et la paix arriva.

Le seul intérêt commun devint celui de faire entièrement confiance à un inconnu animé par le même besoin, sans le juger. 

Plus d’intolérance

Plus d’égoïsme.

Un seul peuple uni.

Cela aura duré vingt ans. Vingt années de paix globale et d’entraide mutuelle.

Et puis le phénomène s’est estompé peu à peu.

Nous retrouvions de la consistance physique.

Les anciens se découvrirent plus vieux de vingt ans.

Ceux qui ne s’étaient jamais vu auparavant furent terrifiés de leur reflet dans le miroir.

L’apparence reprit peu à peu ses droits.

Et tout ce qui en découle…

Personne ne retient les leçons du passé.

Alors mon fils, quand je vois ce qu’est redevenu ce monde égoïste et hypocrite

Oui, j’aurai préféré un astéroïde…

Un balèze.

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