Une balle perdue, une vie perdue

Laurent M.

Un témoignage de la guerre civile libanaise.

Ce n'est surement pas l'odeur du café ni du tabac froid qui attirait  mon père dans ce bar de la capitale libanaise. Étaient-ce  ces parties de cartes où les injures fusent de part et d'autre de la table ?Oui certainement. Une façon d'exprimer leur envie de vivre ou plutôt de survivre. Cette année de 1976, avait vu naître un nouvel épisode dans le conflit israelo-palestinien. Les différents protagonistes avaient cette fois-ci pris le soin d'entraîner dans cette tornade de violence, le Liban. 

Quoi de plus naturel, que d'inciter les multitudes de communautés composant la mosaïque politique et culturelle libanaise, à s'engager dans ce conflit. 

Quoi de plus naturel pour l'Egypte et ses rêves pan-arabiques que de profiter du sentiment d'injustice des  palestiniens? 

Quoi de plus naturel pour le Fatah et autres milices palestiniennes que de terroriser et racketter la population libanaise?

Quoi de plus naturel pour la Syrie, de "signer" tacitement une paix avec Israel et d'encourager les fedayins à user de la violence pour rendre inévitable leur intervention au Liban.

Quoi de plus naturel pour Israël que d'alimenter le sentiment d'insécurité des chrétiens face à la menace islamiste venu d’Afghanistan, relayée par les médias, comme une maladie contagieuse se propageant de façon pandémique.

Quoi de plus naturel pour l'ex-URSS et les Etats-Unis que d'exporter la guerre froide sur un nouveau territoire. 

Le Liban ne fut pas cette pièce d'échec que l'on sacrifie pour mater le roi adverse, ni ce pion gambité pour des compensations tactiques.. Il ne fut que la poussière que l'on retire parfois du jeu pour y voir plus clair. 

Dans ce moyen-orient pressurisé, il fallait une soupape permettant dissiper l'agitation grandissante.C'est ce rôle qui a été accordé au Liban sous la bienveillance de tous les états de la communauté internationale.

Dans ce Beyrouth qui perdait chaque jour un peu plus de sa splendeur, mon père  ne s'attendait surement pas à ce qui est survenu les quelques minutes qui ont suivi son entrée dans ce café, non loin de la place des martyrs.

A la vue de ce milicien, kalachnikov en bandoulière, accompagné de son fils, il s'était retiré  au fond de la salle. Un mauvais pressentiment. Le jeune garçon semblait fasciné par l'attitude de son père et la puissance qui se dégageait de son arme. Le défenseur autoproclamé de la liberté lui confia sa AK47.  Ce gamin, âgé de huit ans tout au plus, se laissant submergé par les rêves du grand ouest américain dans l'un de ces westerns offrant un spectacle d'une rare violence, appuya sur la gâchette. S'imaginait-il en duel avec Charles Bronson ou John Wayne? Santiags aux pieds,  il arborait fièrement une étoile de shérif accroché à sa chemise en jean. C'est sur qu'il avait fier allure.

Sous les yeux horrifiés des clients, mon père était le spectateur de sa mise a mort. La balle avait perforé l'artère fémorale. Cet efflux sanguin emportait  les rêves d'un homme, qui s’était tenu à l'écart d'un conflit qui lui était étranger. 

Il avait compris très tôt le sort que l'on réservait aux esprits indépendants et voila qu'une simple balle perdue venait de sectionner le fil qui le rattachait à la vie.

Paradoxalement, il resta calme, et s'empressa de retirer sa ceinture afin de réaliser un garrot. Il confia ses clefs de voiture à un ami qui le conduisit à l’hôpital. Sur la route, avec ce désintéressement qui le caractérise, il exécuta son testament oralement, soulignant l'importance de l'éducation à dispenser à ses frères et sœurs. 
Lorsqu'il reprit connaissance il eut du mal à distinguer le faciès des personnes qui s’étaient attroupées à son chevet. Bon nombre de ses anciens élèves avait fait le déplacement pour donner leur sang. Mon grand-père quant à lui avait déserté lorsque les médecins lui avait demandé le sien.

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