Une dose de normalité, trois fois par jour.

sword

Tic-Tac fait l'horloge.

Tic. Tac. Tic. Tac. Tic.

Oui, j'ai rajouté un Tic en plus, je n'aime pas les chiffres pairs, ils me dérangent. C'est comme ça.
Revenons à l'horloge. Pourquoi Tic et Tac ? Pourquoi pas Tac puis Tic ? 
Et qui peut reconnaître un Tic d'un Tac ?
Étant donné qu'il y a soixante secondes dans une minute, l'aiguille fait donc trente Tic et trente Tac. Intéressant.
Mais quel bruit peuvent donc faire les horloges russes ? Ou thaïlandaises ? 
Et comment la population locale retranscrit-elle cette onomatopée ?
Beaucoup de questions, juste pour un son. Ou deux plutôt. Tic, et Tac. Hum, c'est pair. 
Je n'aime pas ça. Vraiment pas.
Pourquoi ne pas faire Tic, Tac, Toc ? Ou Tec ? Parce que oui, l'horloge, elle pourrait très bien faire Toc, Tec, Toc, Tec, Toc. Non ?

Vous n'êtes pas d'accord ? Mais je m'en fiche de votre avis très cher, vous n'existez pas. 
Du moins, pas concrètement.
Oh, je voulais dire que vous n'étiez pas de ce monde, n'allez pas encore bouder allons, faites moi un joli sourire plutôt ! Non ? Bon, tant pis.

Ils m'ont enlevé mon horloge. Elle était petite, ronde. Mignonne comme tout.
Et même si son Tic-Tac était pair, je l'aimais bien quand même. J'entendais le temps passer. Oh, très lentement, mais quand même.
Ils l'ont remplacée par une horloge qui ne fait aucun bruit. Son aiguille tourne sans s'arrêter, inlassablement, dans un silence assourdissant.
Je peux la fixer et suivre sa trajectoire si fluide, si similaire à la précédente, à la suivante, à l'actuelle.
Pour ne pas me perturber. C'est ce qu'ils ont dit. Ils ont pris mon horloge et l'ont bâillonnée pour qu'elle ne puisse plus me parler.
Me dire que le temps passe, que chaque Tic, Tac, Toc ou Tec me rapproche un peu plus d'une fin, quelle qu'elle soit.
Ils lui ont fait la même chose que moi. Il a toujours été plus facile de faire taire plutôt que d'écouter.
Ce qu'ils ignorent, c'est qu'elle continue à me parler, dans ma tête.
Oui, comme vous, vous avez tout compris. 
Eh bien, quelle est donc cette petite mine ? Seriez vous jaloux, à tout hasard ?
C'est une horloge mon ami, les horloges ne parlent pas, qu'on se le dise.

Et elles ne m'attirent pas des ennuis, contrairement à vous.
Ah mais râlez, râlez donc tout votre saoul, vous ne changerez rien au fait que vous avez votre part de responsabilité.
Roh, ne pleurez pas si facilement, ce n'était pas un reproche, seulement... Je suis désolé, voilà.
Mais cessez, ne pleurez pas s'il vous-plaît, aidez moi plutôt à trouver une solution, voulez-vous ?
Merci, merci, j'aime quand vous êtes aussi conciliant. Si vous l'étiez tout le temps, nous aurions pu devenir les meilleurs amis du monde.
Pourriez-vous me rendre un service ? Oui ? 
Eh bien, comment dire... Auriez vous l'extrême amabilité de... me prendre dans vos bras ?
Juste un instant, une seconde, le temps d'un Tic ou d'un Tac si vous le désirez.
Mais je voudrais tellement, tellement recevoir une étreinte à nouveau.
Cela fait si longtemps qu'on ne m'en a pas fait, j'ose espérer que je sais encore comment m'y prendre...
Oh vous voulez bien ? Je vous en serais redevable à jamais, quand j'étais petit, j'étais un adepte des câlins, surtout ceux de ma maman.
Maman. Elle sentait bon le jasmin, mais elle est morte maintenant.
Pardon, je vous fais attendre. Alors oui, donc voilà, les bras comme ça et... Vous me passez à travers. C'est regrettable.
Non, non, je sais bien que vous ne faites pas exprès voyons.
Non, je ne suis pas en colère, n'angoissez donc pas de la sorte bon sang! 
Ce n'était qu'une simple étreinte, rien de plus.
Non je ne suis pas triste, arrêtez donc de vous en faire.

Essayez plutôt autre chose, si vous le voulez bien. M'appeler par mon prénom ?
Oui je sais bien que vous le faites tout le temps, mais je voulais dire... Pas comme ça, pas dans ma tête.
Mais là, dans cette pièce, comme l'horloge d'avant. Je n'ai besoin de rien d'autre, juste de ce mot, mon mot, mon prénom. A haute voix.
Vous ne pouvez m'accorder cela non plus ? Cela vous est donc impossible ? Je comprends. 
Tant pis, ce n'est pas grave.

Eux, ils ne m'appellent que par mon nom de famille. Je l'aime aussi bien sûr, mais ce n'est pas pareil. Tout le monde a un prénom. C'est bien à cela qu'il sert non ? A être prononcé. Afin que l'on sache que l'on s'adresse à nous et à personne d'autre. Vous comprenez ?
D'ailleurs, je n'ai jamais eu la politesse de vous demander le vôtre... Ne voudriez vous pas me le dire aujourd'hui ? Oh... Vous n'en avez pas. Je suis désolé, je n'avais jamais pensé que... Mais si vous voulez, je peux vous en trouver un !
Et je pourrais vous appeler, moi.
Dans la réalité, et pas que dans ma tête. Vous êtes d'accord ? Vraiment ? Oh, merci. Merci.
Quelle est votre couleur préférée ? Le jaune ? Bien, bien.

Pourquoi cette question ? Je ne sais pas. J'essaie de choisir votre prénom, alors il faut qu'il corresponde n'est-ce-pas ?
Et puis ça me permet d'en apprendre plus sur vous, qui me suivez depuis si longtemps.
Mais pourquoi me suivez vous d'ailleurs ? Pourquoi moi et pas quelqu'un d'autre ? Et pourquoi suis-je le seul à vous entendre ? A vous voir ? Pourquoi me faites-vous cela, vous ai-je fait du mal ? Êtes-vous un fantôme qui ne peut quitter ce monde, avez vous besoin d'aide ? Répondez moi !
J'ai le droit de savoir ! Si je suis là c'est parce que je vous vois, et pas les autres, alors j'ai le droit de savoir ! Je veux savoir ! Il faut que je sache !
Je vous en supplie.
C'est impossible... Vous devez savoir, cela ne rimerait à rien sinon... Dites moi au moins si vous êtes mort... Vous n'en avez pas le souvenir ? Bien, bien.
Alors... Il se pourrait que je vous hante également ? 
Vivez vous actuellement, au moment où je vous parle ?
Êtes-vous dans une ville, un parc, une cellule ? Êtes vous seul, entouré ?
Avec moi ? Oh. Je vois. Merci.
Mais comment faites-vous pour lire les pensées des autres gens réels, s'ils ne peuvent ni vous voir ni vous entendre ?
Rien ? Vous les captez tout simplement ? C'est intéressant. 
Mais vous ne m'avez fait part que de quelques unes de ces pensées pourtant.
Elles étaient plus fortes ? Oh, je comprends. Enfin, je crois. 
Et les miennes, vous pouvez les entendre aussi ? Non ? Tant mieux.

Ils arrivent déjà ? Oh non. Non non non. Pas maintenant, pas là, pas tout de suite, non.
Je n'ai même pas encore trouvé votre prénom ! Ils ne peuvent pas faire ça, ils ne peuvent pas m'obliger à prendre ces médicaments, je n'ai jamais voulu, non jamais je n'ai voulu tuer cet affreux personnage, c'est lui qui voulait, c'est vous qui m'aviez dit... La petite fille du square, il voulait la... Il voulait la... Je devais réagir ! Ses pensées étaient claires n'est-ce-pas ? Si je ne l'avais pas agressé, c'était lui qui aurait... Bon sang, mais pourquoi, pourquoi est-ce-qu'ils ne m'ont pas écouté, pourquoi...

Votre prénom, votre prénom ! Je dois le trouver avant qu'ils n'arrivent, il le faut.
Sinon les médicaments me feront tout oublier... Vous avez dit que vous aimez le jaune n'est-ce-pas ?
Le jaune, le jaune. Comme le soleil...
Ah mais oui, mais oui, je pourrais vous donner mon propre prénom ! 
Il veut dire "soleil" en anglais, je suis sur que vous allez l'aimer !
C'est Sun. Sun ! Vous l'appréciez, vous l'acceptez, qu'en pensez vous ? Allez, dites moi ! Vous le voulez ? Vraiment ? Ah, quel plaisir vous me faites... Quel soulagement, Sun.

Je les entends marcher dans le Hall.
Clac-Clac font leurs chaussures. De plus en plus fort. Ils arrivent, ils reviennent toujours...
Pourquoi reviennent-ils toujours, pourquoi ne me laissent-ils pas... Je le sais bien qu'ils ne m'aiment pas, quand ils me parlent ils ne disent jamais mon prénom et s'adressent à moi comme à un petit enfant, comme si je n'avais pas toute ma tête, comme si j'étais stupide et incapable de comprendre...
Et quand ils me touchent, c'est toujours pour m'immobiliser et m'injecter ce... cette chose ignoble...
C'est elle, c'est cette chose qui détruit mon cerveau, pas moi.
Et l'unique personne qui était douce, chaleureuse avec moi, elle est partie. Ou ils l'ont virée. Peut-être parce qu'elle me croyait. Un peu.
Ou alors elle a menti.
Mais non, sinon ils ne l'auraient pas virée...
Elle m'apportait des fleurs... De beaux jasmins... Qui avaient la même odeur que Maman...
Ils sont devant la porte. Il est trop tard.

Oh non pas lui, c'est le pire de tous... Et l'autre aussi, et leur chef... Mais que fait-il ici lui ?
Il reste dans son cabinet normalement. Ce n'est pas normal. Non ce n'est pas normal.
Je dois leur dire, ils faut qu'ils sachent, il faut qu'ils comprennent, il faut qu'ils me laissent tranquille maintenant...

- Attendez, attendez s'il vous-plaît !

Ils ne s'arrêtent même pas, pourtant j'ai dit s'il vous-plaît, je suis poli, j'ai toujours été poli, Maman m'a bien élevé...

- Écoutez moi, écoutez moi juste ! Je ne suis pas fou, je ne suis pas un meurtrier ! C'est Sun... C'est Sun qui m'a dit qu'il était mauvais, il fallait le tuer avant qu'il ne tue lui-même, vous comprenez ? C'est Sun, il l'a entendu penser ! C'est tout, je ne suis pas fou !

Pourquoi est-ce-qu'ils me regardent comme ça...

- Pourquoi est-ce personne ne m'écoute ? Vous n'avez pas le droit de faire ça vous savez ? Vous n'avez aucun droit sur moi, je ne vous appartiens pas, vous n'avez pas à décider à ma place, laissez moi tranquille !

Voilà que cet abject personnage s'allonge sur moi, les deux autres qui me martyrisent les bras ne suffisaient donc pas ?
Non, pas l'aiguille, pas l'aiguille, pas le liquide !

- Laissez moi, s'il vous-plaît, laissez moi... Non... Je ne veux pas... Je... ne veux... pas...

Ça recommence, ça recommence... Je ne sens plus rien, je ne suis plus rien...
Son visage... Que diable est-il en train de faire... Il change... Et la chambre aussi... Mais qu'est-ce-que...

Un zoo. Un zèbre.
Cet homme exécrable est devenu un zèbre.
Et ma chambre est devenue un zoo.
L'horloge a disparu, je ne l'entends même plus...
Pourquoi. Un zoo. Un zèbre.
Je ne suis pas fou, non, vraiment pas. Je le sais, j'en suis sûr.
Sun ? Où êtes-vous s'il vous-plaît ? Sun ? Sun ? Il n'est plus là. Serait-il parti ? Pour de bon ?
Il me laisserait seul au moment où j'ai le plus besoin de lui ?
Pourquoi un zoo, pourquoi un zèbre ? Je n'avais rien demandé, vraiment rien, je ne comprends pas, je ne comprends vraiment pas...
Serait-ce un rêve ?
Il y a des gens partout mais ils ne semblent pas me voir.
Ce zèbre me regarde étrangement, mais il n'a pas le regard de l'homme qu'il était avant. Je vois de la tristesse, beaucoup de tristesse.
Un enclos me sépare de lui. Il se détourne, il regarde quelqu'un d'autre.
Un petit garçon à côté de moi, qui tend la main vers son museau. Mais... C'est moi. C'était moi.
Et cette belle femme au tailleur beige qui lui tient les épaules, c'est Maman.
C'est mon souvenir. Je revis mon souvenir.
Comment est-ce-possible ? C'est merveilleux. Vraiment merveilleux. Je me rappelle maintenant.
Voilà que mon ancien moi me fixe à son tour, comme le zèbre.

- Qui êtes-vous ?

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