une frite dans le café 1
johnnel-ferrary
UNE FRITE DANS LE CAFE (1)
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La nuit bleutée n’est plus qu’un rêve, une sorte de limace qui pend le long de vos souvenirs. Ne rêvez plus, gens de mauvaise foi, celui que vous nommez Dieu n’est rien d’autre que cette mélancolie infestée par le désespoir. Je sais, on m’en veut, on me déteste pour dire cela, mais je m’en fiche bien car la vérité est là, dans ce ciel rougeâtre qui nous fait mourir chaque nuit. Pourtant, il parait qu’autrefois le ciel se pâmait d’un bleu limpide, ruisselant de mille photons gracieux. Et les plages s’en souviennent, le sable brûlant mordait la chair tendre des baigneurs. Je n’ai rien connu de tout cela, je l’ai imaginé sur des feuilles blanches, sur un tube cathodique, un écran plat d’ordinateur. Je l’ai voulu ainsi, et lorsque je suis allé dans cette putain de brocante, qu’elle idée de diable ai-je eu pour acheter une machine à écrire mécanique ? Poussé par le désir ardent d’une canaille de mon espèce, à cause de ce type qui me regardait avec un sourire de compassion ? C’est lui le vendeur de cette maudite bestiole encore plus vivante que jamais ! Il disait s’appeler Monsieur DIMITRI, costume cravate et mocassins beiges. Tout en lui puait la conspiration, la malédiction des Anciens. Et c’est à moi qu’il devait la vendre sa satanée soupière de conjugaisons surannées. J’ai donc acheté sa machine, ruban neuf, pile de feuillets blancs linceul. Il me souriait l’hypocrite, et moi aussi con que le premier des mortels, je n’ai donné qu’une carte de crédit en échange de ses paroles angevines.
- Vous en serez content, cher Monsieur, elle appartenait à l’un des plus grands écrivains de l’ouest dit autrefois les Etats-Unis d’Amérique ! Juste deux cent cinquante iotis, et vous deviendrez l’un des plus brillants écrivains de votre génération. Grâce à elle, les mondes imaginaires se font réels, tout ce que vous écrirez une fois détruit, deviendra un monde quelque part dans l’univers. Ne gâchez surtout pas votre talent, n’écrivez que des structures simples. Et bonne chance pour le grand prix des écrivains…
Deux cent cinquante iotis, et je sentais bien que mon âme devenait peu à peu, celle d’un moribond. Elle ne pouvait plus m’appartenir, elle n’était plus qu’un sujet de cette immonde créature diabolique. Mais pour deux cent cinquante iotis, pouvais-je vraiment refuser ? Surtout que mon vieil ordinateur persifflait à qui mieux mieux ! Alors, écrire avec ce vieil engin comme à l’époque de mes quatorze ans, un retour vers ce futur antérieur où j’esquivais les moqueries de mes amis. Toi, un écrivain, fais nous rire mon pauvre Sand, fais nous rire ! Alors ils riaient à gorge déployée, puis vint le moment où mon premier roman se retrouva dans les kiosques de gares et les bonnes librairies. Et les moqueries s’estompèrent, on me congratula, on me demanda des autographes… Et la gloire devint de plus en plus moite. J’étais devenu un sbire dans le moule des auteurs reconnus. Des lettres, des mots, des phrases, l’attirail du bon bricoleur estampillé grammairien. Ma première machine à écrire est devenue la momie du grand désert d’un musée, remplacée par une machine sophistiquée : Un ordinateur. Et me voilà remontant l’avenue d’Italie avec sous le bras une machine à écrire diabolique ! Que je sentais seulement, bien que ne possédant nullement les preuves nécessaires afin d’ourdir ces mots. Cinquième étage, ascenseur, couloir de trois appartements. Un quatre pièces, trop grand pour moi certes, mais qu’importe dès que l’argent s’imagine fleuve déferlant ! J’ai posé mon achat sur le bureau où dormait cette autre machine devenue muette et inutile, puis j’ai appelé mon ami Erno BARNE. Pour lui narrer cette aventure.
- Je viens d’acheter une machine à écrire mécanique tu sais, comme celle que nous utilisions toi et moi lorsque nous étions adolescents.
- C’est vrai ? Mince, je veux la voir, et quelle marque cette babiole ?
- UNDERWOOD, deux cent cinquante iotis…
- Un peu cher je trouve, répondit Erno.
- Je sais, une folie passagère, je n’ai pu résister. Et si tu avais vu la gueule du type qui me l’a vendu, un diable de chair et d’os.
- Mais pourquoi cet achat si tu le trouvais aussi diabolique tel que tu me le décris ?
- Je n’en sais rien, dis-je, une folie, une pulsion d’achat, une goutte d’eau dans une jarre pleine et qui déborde ?
- Je crois que ce type t’a manipulé ! Il y a de nombreux manipulateurs cervicaux en ce monde de cyberpunks qui tentent le tout pour le tout afin de survivre. C’en est un, à coup sûr ?
- Je dirais plutôt un envoyé ou émissaire du Diable depuis que nous avons la connaissance du fait qu’il existe. Depuis l’exploration du système solaire, et surtout notre arrivée sur la planète Pluton, notre Terre est devenue l’antre des démons.
- Oui, je suis au courant mon vieux, et plus que tu ne l’imagines. Entre la manipulation génétique avec des machines et des humains, rien ne saurait devenir comme avant. Même les relations ambigües le sont de plus en plus, j’ai fais l’amour avec deux femelles cyborgs, et je ne m’en suis pas rendu compte sur le champ. Ce n’est qu’après…
- Et alors, questionnai-je mon ami.
- Une femelle humaine ne fait pas mieux. Mais voyons cette machine à écrire. Tu crois réellement à son pouvoir maléfique ?
- Par rapport à sa dernière phrase qui en fait, cachait une vérité inconnue. Il m’a dit « tout ce que vous écrirez une fois détruit, deviendra un monde de réalité » ou quelque chose dans ce sens. Imagines que j’écrive un monde déstructuré, puis que je déchire la feuille sur laquelle je viens d’écrire un tel monde, que va-t-il se passer ? D’après sa réflexion, naîtra un monde déstructuré dans un coin de l’univers ?
- Sans doute, mais si tu décide de créer un monde meilleur que le nôtre, ou mieux encore des machines savantes pour le bien-être de l’humanité, tu peux toujours essayer ? Tiens, su tu créais une machine à explorer le temps ? C’est une bonne idée çà, non ?
- Tu sais bien que le futur n’existe pas et que le passé est synonyme de vibrations moléculaires.
- Justement, créée une machine à induction vibratoire et nous irons nous balader dans le vingt et unième siècle lors de la destruction terrestre du 21 décembre 2012…
- Je n’ai pas envie de mourir ce moment là lorsque la nuit bleue est devenue déserte. Une nuit en plein jour, le paroxysme de l’épouvante !
Lorsque j’ai raccroché mon phonateur, j’ai regardé la machine à écrire. Qui pouvait imaginer que cet objet devenu inutile, conservait en elle l’esprit inquisiteur d’une démoniaque créature ? Dans ma seconde mémoire électronique en jonction avec celle humaine, les flux électrique se chevauchaient. La détruire ? La rendre au vendeur ? L’essayer ? Oui, pourquoi ne pas l’essayer avant l’apocalypse mugissante loin de notre galaxie ?
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Ecrire pendant la nuit, café fort aux premières lueurs du jour, regarder par la fenêtre et attendre la pluie et les photons rayonnants… Oui, j’ai écris tout cela sur une feuille blanche, et je l’ai déchiré. Pour voir, pour connaître, pour ne pas écorcher l’infini dans son spasme vindicatif. Ensuite, je me suis allongé sur mon lit pour écouter le chant de la cité. Bruissements des transways sur leurs rails, des autovilles glissant sur le bitume de la chaussée… Et soudain, grondements répétés dans le paysage urbain. Comme je l’ai écris, le tonnerre, la pluie, les éclairs qui déchirent les nuages sombres… Je me lève et me précipite à la fenêtre… Tout est là, en pleine nuit, l’orage gronde, la tempête fait rage, la flotte efface le pas des passants… Une autoville s’est retournée, un transway est là, bloqué au carrefour. Soudain, la luminosité fait se découvrir la cité de béton nu. Et pourtant, sur les horloges de la ville s’est installée la nuit. Deux heures du matin, la lune pose un regard sombre sur ce qui reste son territoire. Les photons égrènent des minutes ensoleillées, des individus se plongent dans la perplexité la plus effarante ? Le jour en pleine nuit alors que la bourrasque fait place au calme d’une journée de printemps ? Je me suis retourné. La machine me parait vivante, on croirait cet animal gracieux après un frugal repas qui repu, pourra s’endormir apaisé. Seulement et pour ce qui me concerne, je ne suis pas du tout apaisé. Mes craintes sont devenues réalité, alors je me décide à recouvrir la mécanique de son capot, et la ranger dans un endroit de ma bibliothèque. Bien cachée, je ne veux plus la ressortir, elle dormira ici, dans ce tiroir comme une boite de pandore cadenassée. En souhaitant que nul n’en rouvre la démoniaque saison bien évidement !
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J’ai ouvert ma porte. Il était là, mon ami Erno BARNE. Disons que trente années d’amitié ne s’effacent pas, et nos chemins ne se sont jamais trop éloignés.
- Salut, entre dis-je. Café ?
- Yes, deux sucres dans un mug. Alors, elle est où cette machine à écrire ? Dans un coffre fermé avec des chaines ?
- Arrêtes de plaisanter, elle me fou la trouille.
- Commente c’est possible ? Tu as écris avec ?
- Oui, tu sais la nuit dernière, il y eu bien une sorte de phénomène particulier ? Le soleil en pleine nuit après une tornade de flotte sur toute la ville ?
- Effectivement, et il parait que cela peut arriver une fois tous les dix mille ans. Et justement cette nuit là…
- Tu sais, j’ai écris cela sur cette putain de bécane, et une heure ou deux après avoir déchiré la feuille sur laquelle était inscrit cet évènement, il est devenu réel. Cette machine est hantée par le Diable en personne, et nul ne doit l’utiliser.
- Elle est où ?
- Dans la bibliothèque, le tiroir de gauche. Laisses là dans cet espace restreint, elle est maudite.
- Et tu penses que ce phénomène est dû au fait que tu l’es écris sur une feuille blanche grâce à la machine ?
- Oui Erno, je sais que c’est complètement fou, que mes systèmes fonctionnent parfaitement, seulement elle est assujettie à une volonté suprême.
Soudain, mon phonateur vibra dans ma poche. Je le sortais pour répondre à cet interlocuteur dont le numéro masquait son propriétaire.
- Oui, allo ? Qui est-ce ?
- Je suis Monsieur DIMITRI, c’est à moi que vous avez acheté la machine à écrire. Je voudrais vous parler d’elle en quelques mots. Utilisez là sinon vous risquez de mourir, car elle doit travailler avec les mots afin de construire les mondes parallèles. Et si vous refusez, c’est votre univers qui disparaîtra. Monsieur CORNEL, un dernier conseil, n’écrivez pas n’importe quoi avant que de détruire les feuilles blanches. Ce sera mon ultime conseil désormais, car vous êtes libre de votre choix.
Il y eut le bip bip de la communication qui venait de s’interrompre. Je replaçais mon phonateur dans ma poche de pantalon.
- Que se passe t-il Sand ?
- C’est le type qui ma vendu la machine à écrire.
- Alors, il veut la reprendre ?
- Non, c’est pire…
Deux cafés bien forts, en face à face. Erno me regardait sans trop comprendre, du moins, je supposais qu’il refusait cette terrifiante vérité.
- Ainsi, murmura t-il perplexe, si je comprends bien, nous sommes dans une sacrée merde nous autres ! Si tu ne crée pas des mondes parallèles, c’est notre univers qui sera détruit ? Alors mets-toi au boulot mon vieux, car le type qui t’a vendu cette putain de mécanique, ne semble pas être un rigollot si je ne m’abuse ?
- Non, ce n’est pas un rigollot comme tu le dis. Mais par quoi commencer, surtout que je sais que si jamais j’écris des monstruosités, les mondes parallèles finiront par exister. Tu en es où avec tes enquêtes, questionnai-je mon ami.
- Je voudrais rencontrer le célèbre BELMONY, le tueur à gages surnommé « Le Tunisien » dans le monde des truands. Tu pourrais sans aucun doute, me préparer une rencontre possible avec le tueur ? Il te suffirait de l’écrire, et le lendemain, nous nous retrouverons lui et moi cote à cote ?
- Il m’a parlé de mondes parallèles alors que c’est la nuit dernière que le phénomène s’est produit ? Et ici en plus, chez nous, dans notre monde, sur notre cité ? Et si jamais il m’avait menti le bougre, juste afin de m’éprouver ? Je vais t’arranger cette rencontre, et tu ne seras pas déçu. Je sais qu’une chose : On ne peut se retrouver dans l’un de ces mondes parallèles, par contre, et d’après certaines équations scientifiques, nous pouvons voyager dans le passé puisque le futur n’existe pas !
- Comment sais-tu celà, me fixe mon ami en bafouillant la phrase.
- Le passé est une vibration particulière alors que le futur est vide, aucune vibration. Il suffit pour moi de créer une machine temporelle et la faire vibrer d’après les vibrations d’une époque, d’un endroit, d’une date ? je ne sais pas si cette vérité en est une, je l’ai écris il y a déjà une dizaine d’années. Que dirais-tu d’un voyage dans ton enfance à mes cotés ? Tu rencontres ton type, tu balances ton article à ton canard, et on file ?
- En es-tu sûr au moins ? Et si jamais çà flanche, qu’allons nous devenir ?
- Tu as peur de mourir, dis-je à mon ami ? Et bien moi non !
Que pouvais-je dire de mieux puisque je le pensais vraiment ? Ne faut-il pas mourir tôt ou tard ?
Johnnel B.FERRARY (à suivre)
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