une frite dans le café 2

johnnel-ferrary

UNE FRITE DANS LE CAFE (2)

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J’aime beaucoup la souplesse d’écriture de cette machine à écrire. La frappe en est régulière, la frappe un ronronnement. Lorsque j’écris, je me croirais dans une autre galaxie, une autre dimension. Je suis comme qui dirait hypnotisé par ce mécanisme ancestral ! Evidement, j’ai donc continué d’écrire sur des mondes imaginaires, à l’exception faite de ne pas déchirer les feuilles après un tel exploit. Car s’en est un d’exploit, savoir que l’on joue avec des allumettes entouré par des barils de poudre, faut le faire ! je me suis souvenu de mon amour d’enfance, elle s’appelait Nelly, nous n’avions que nos dix sept ans à nous offrir, et le jour de mon anniversaire, alors que je buvais mon café, elle m’avait balancé une frite qui est venue se loger dans ma tasse. Comme petit déjeuné, une frite dans le café, ce n’est pas tellement un cadeau que l’on propose à ceux que l’on aime. Sauf que nous avions bien ris ensemble ! C’est une anecdote que je ne pourrais jamais oublier, pas même le doux visage de cette aimée dont le souvenir me hante les circuits analogiques ou non. Tiens, qu’est-elle devenue aujourd’hui ? Et si je me décidais d’écrire nos retrouvailles à elle et moi ? Un bar de l’avenue, deux tasses de café, nos regards échangeant des mots d’amour cachés dans l’ombre de l’éternité ? Oui, après tout, je peux très bien construire cette rencontre puisque j’ai la machine à structurer des mondes imaginaires ? Et qui une fois détruits via la feuille blanche, se recomposent dans la réalité matérielle ? Oui, c’est cela, écrire notre ultime rencontre sur la place d’Italie, non loin du centre commercial, et qui sait si la magie de l’amour fera renaître l’étoffe de nos étreintes d’antan ? Alors mon vieux, au travail, et saches écrire sans faute de frappe et sans excès de conjugaison hasardeuse. Alors que je m’apprêtais à m’installer confortablement face à la diabolique machine, quelqu’un frappa à ma porte. Mon ami Erno sans doute ? J’allais ouvrir. C’était bien lui, sauf qu’il était accompagné par un type dont le visage m’était familier.

-      Allez entres, hurla le type à mon ami. Et toi, refermes la porte et fermes ta gueule si tu ne veux pas finir ta vie avec la tête en pâté de clown !

Et oui, le type en question s’appelait Le Tunisien, mais je ne me rappelais plus son vrai nom. Un tueur, un vrai, la pire des canailles dans le milieu urbain. Je regardais mon ami, incrédule.

-      Ne m’en veux pas, Sand, mais Monsieur BELMONY aimerait connaître la vérité de ta machine à écrire. Dans le cas où il s’avèrerait qu’elle fonctionne tel que tu le dis, Monsieur BELMONY veut te faire part de son idée.

-      Et bien, tu jactes comme une gonzesse toi, lance le tueur à mon ami. Quant à toi, écoutes bien. Je suis plombé par tous les flics de la galaxie, alors tu vas me provoquer un voyage dans le passé. Je veux me retrouver en l’année mille neuf cent soixante treize lorsque j’étais un morpion, un vrai gosse en quelque sorte. Et la flicaille ignorait tout de ma personne, donc à toi de jouer. Surtout que ton pote et toi allez m’accompagner, ok ? Alors fais en sorte que tout se passe bien, sinon vous êtes morts l’un comme l’autre. Me suis-je bien fait comprendre les filles ?

J’ignore pourquoi, mais j’ai pensé à la frite dans le café, une bévue que nous prépare souvent le destin. D’ailleurs, ce n’était plus une frite mais carrément la friteuse qui venait de nous balancer son huile chaude sur la tête ! Le tueur à la solde du plus offrant, nous mettait en joue avec son arme Erno et moi. Que dire, que faire si ce n’est éviter toute résistance face à un tel ennemi ?

-      Ecoutez, osai-je lui dire, où désirez vous que nous allions ? Les années soixante dix aucun problème, mais si vous me demandez les années trente, c’est impossible.

-      Pourquoi non, fulmina le type qui pointait toujours son arme dans notre direction.

-      Je vous explique le mécanisme du temps. Il s’agit de vibrations particulières, mais si jamais les sujets qui peuplent chacune des vibrations ne sont plus vivants au moment de notre départ, l’époque où nous irons ne sera qu’une plaine déserte. Pas une seule âme qui vive ! Si nous allons en mille sept cent quatre vingt neuf, nous ne trouverons que ruines ! Alors que si nous nous retrouvons en deux mille douze, et bien nous avons de la chance puisque les gens ne sont pas encore morts à notre départ.

-      Cela, lance le gangster, c’est la lubie des scientifiques, voilà tout. Je veux me retrouver en mille neuf cent soixante dix, un point c’est tout !

Une frite dans le café ? Pire ! Je me suis dis qu’après tout, si nous nous retrouvons en mille neuf cent soixante dix alors que tout les gens qui peuplent cette vibration sont morts depuis longtemps, et bien tant pis, mourir pour mourir, allons y, GO !

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Elle est belle, on la croirait sortie de l’usine ! Premier mot sur la page, je sens des frissons dans tout le corps. Une vibration, celle de l’osmose entre l’homme et la machine. Imaginons « un engin capable de traverser le temps, déjà le nom : MOGLOV-5… Ronde, cinq mètres de diamètre, aussi noire qu’une nuit sans lune. A l’intérieur, trois fauteuils dont l’un d’eux est relié à un mécanisme particulier. Elle campe sur ses trois pattes au sous-sol numéro quatre de mon immeuble. Le numéro quatre est fermé depuis des lustres, mais pour moi, il m’est possible de m’y rendre facilement. La sphère se déplace d’après ma volonté, car après tout, je fais fi des conventions mathématiques et des lois de la physique. Il suffit de s’asseoir sur l’un des fauteuils, et de penser à une date qui est en fait, une vibration mentale. Et la boule se déplace je ne sais comment, et lorsque la porte s’ouvre, je suis à l’endroit et à l’époque désirés. Je n’ai plus qu’à sortir et analyser le paysage. Voilà, c’est simple, il faut seulement que nos trois esprits se placent en synergie pour que nous puissions nous retrouver à la date précise »

 J’ai donc écris cela sur une feuille blanche, et je l’ai détruite. Bien évidement, l’original étant façonné par un stylo bille, il me fallait ne pas oublier le schéma inducteur qui nous permettrait de nous investir dans ce voyage unique.

-      T’es vraiment sûr de toi mec, me dis le Tunisien.

-      Je vous propose de nous retrouver au quatrième sous-sol en utilisant l’ascenseur. Je sais où se trouve la sphère, la porte sera ouverte, il suffira de nous installer à bord et de définir la date à laquelle nous poserons la machine.

-      16 Juin 1972… lance le tueur.

-      D’accord, répond Erno, puisque c’est toi qui décide !

-      Oui, c’est moi qui décide, c’est moi qui ordonne, et c’est moi qui ai une arme dans la main. Allez gamins, on y va.

Et nous y allons, nous devant et lui derrière comme disait un vieux chanteur qui est resté jeune dans sa prose. L’ascenseur arrive, la porte s’ouvre et nous entrons. Je n’aime pas ce type, je le trouve froid, calculateur comme les assassins aux grands couteaux. Un regard noir, brillant, étincelles avec des gouttes sanguines sur la lèvre inférieur. Soudain, je remarque un détail qui en dit long : il tremble. La porte s’est refermé, j’ai appuyé sur le bouton marqué quatre tout en mettant une clef dans une sorte de serrure et j’ai tourné celle-ci de la droite vers la gauche. L’ascenseur s’est arrêté au quatrième étage bis.

-      J’ignorais que le quatrième bis existait, me dit Erno.

-      Je sais, je l’ai créé moi-même avec la machine à explorer le passé, je lui réponds.

-      Les gars, vous me faites chier avec vos bavardages de gonzesses. Où est la sphère ?

-      Suivez-moi, proposai-je. Elle est cachée dans un coin sombre afin que nul ne la voit. D’ailleurs, vous le constatez, aucun véhicule ne se trouve dans ce parking, mais on ne sait jamais, une frite dans le café peut très bien se glisser dans le breuvage !

-      Cà veut dire quoi cette connerie, lance Yossef en me regardant.

-      C’est une façon de dire qu’une bévue peut arriver sans que je puisse l’effacer du circuit, je lui réponds.

Nous marchons quelques minutes et là, dans l’ombre, une sphère noire nous attend. La porte est ouverte, une lueur verte s’est installée à l’intérieur. Détail que je n’ai pas écris. Surprenant ? Oui, cela signifie que je ne suis pas tout à fait le maître des évènements, et je suppose que l’esprit guidant la machine doit sourire en tapinois ? Que va-t-il se passer puisque malgré ma décision, cet écrit sur la feuille blanche déchirée, notre équipée entre deux types sans arme et un tueur armé, peut très bien se terminer en eau de boudin ? Voire deux morts et un assassin en fuite qui va se perdre dans le labyrinthe du temps ? Car si jamais il nous tue, rien ne prouve qu’il puisse revenir au présent dont nous sommes la vérité ? Et si jamais il aura décidé de ne plus revenir, de nous tuer pour que nous ne puissions témoigner si jamais nous serions à même de retrouver le chemin du retour ? Par contre, erreur de ma part, j’ai oublié la machine à écrire et une pile de feuilles blanches ! Erreur que je vais sans aucun doute payer de ma vie et de celle de mon ami qui aura la stupidité de vouloir enquêter sur la vie d’un tueur à gages. Et pas n’importe lequel, le pire de tous…

Johnnel B.FERRARY    (à suivre)

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