une frite dans le café 3
johnnel-ferrary
UNE FRITE DANS LE CAFE (3)
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J’ai oublié la machine à écrire et les feuilles blanches ! Je n’ai pas le choix, il me faut retourner dans l’appartement.
- Ecoutez, dis-je à mes compagnons, si vous avez envie de chier et de pisser, c’est le moment car dans la sphère, pas question de se vider ni la vessie ni l’intestin ! Aussi, avant le départ, on remonte pour chercher la machine à écrire et des feuilles blanches, et on en profite pour la vidange naturelle.
- Pas mauvaise ton idée car hier soir, je me suis envoyé une boite de chili con carné, me répond Erno. Et je crois que notre voyage sera long je pense ?
- D’accord les gars, mais celui qui ose foutre le camp, je descends celui qui reste, vous m’avez compris ? je veux que l’on soit à la date indiquée au plus vite, je ne tiens pas à ce que nous perdions du temps, vu ? Et si vous tentez quoi que ce soit pour vous me rendre inoffensif, je vous jure que je tire comme des lapins dans un champ de luzerne. Je ne suis pas comme vous, moitié bonhomme moitié boite de conserve. J’en ai flingué des types de votre espèce, çà pue et çà dégage de la fumée noire à cause des pièces électroniques que l’on vous a enfoncé dans la bidoche ! Ok, nous allons tous ensemble remonter dans ton appartement à toi, l’écrivain, et nous irons chacun notre tour faire nos gentils petits besoins avant la grande excursion. Mais attention, avant que je ne mette le pied dans les chiottes, vous allez vous allonger sur le sol que je puisse avoir un œil sur vous. D’accord les comiques ?
- Bien sûr, car nous n’avons pas l’intention de vous échapper, n’est-ce pas Sand ?
- Non, et puis c’est une sacrée aventure que ce voyage dans un au-delà qui va nous permettre de remonter dans le temps ! Mais une fois là-bas, nous serons trois face au danger si jamais des évènements particuliers nous rendent otages d’un passé inconnu ? Car malgré tout, le passé reste une dimension inconnue, il a existé mais il a disparu, ne l’oublions pas. Personne n’a encore osé avoir l’audace de se retrouver des années en arrière, surtout que les vibrations viennent du vivant. Et si le vivant n’est plus, qu’allons-nous rencontrer ? Le vide, des êtres qui ne sont pas de la même nature que la nôtre ? Sachez bien, Monsieur BELMONY, que si dans ce bas monde nous sommes vos prisonniers, dans l’autre nous sommes tous les trois confrontés au danger inconnu ? De ce fait, devenons partenaires dès maintenant, car une fois dans cet espace inconnu, trois prisonniers du temps et non deux seulement d’un tueur en cavale. Il nous faut nous associer Monsieur BELMONY, car là où nous allons, il ne sera nullement question d’un trio débonnaire, mais de trois voyageurs qui devront se poser en méfiance à chacune des secondes passées. Le 16 Juin 1972, que c’est-il passé dans le monde ? Et dans quel endroit du globe, voire de l’univers, nous risquerons de poser le MOGLOV ? C’est pourquoi il me faut la machine à écrire et une corbeille afin de définir l’endroit exact où nous allons nous poser ! Je pense que vous comprenez, Monsieur BELMONY ? Dans le cas contraire, nous serions prisonniers tout les trois d’une époque que l’on peut considérer comme particulièrement mortelle pour nous !
- Bon, écoutez les gars, il est vrai que je suis méfiant, et vous comprenez le pourquoi ? Vous pratiquez votre expérience sur le temps, votre ami me fait son entretien, moi je reste dans un monde nouveau où je suis inconnu. Ok, on fait trio.
Erno et moi on se regarde. Ouf ! Nous l’avons échappé belle.
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Chacun son tour au confessionnal, douche avant le grand départ vers une époque définie de nostalgique. La machine à écrire et un paquet de feuilles blanches dans les mains, c’est Erno qui referme la porte. Puis direction l’ascenseur. Personne ne parle, quand à Yossef, il a rangé son arme dans la poche de son blouson. Nous ne sommes plus ennemis et encore moins son prisonnier, mais partenaires. Cela soulage nos méninges et fais s’effacer nos craintes. Mourir pour mourir, pas de la façon dont il voulait nous prédisposer à cette mort sans fard. Etage quatre bis, la clef tourne et la porte finit par s’ouvrir. De nouveau, nous revoilà dans l’antre de la machine infernale. Celle qui mènera à la gloire ou alors au plus effroyable désespoir avec une peine de mort à la clef ? Marcher vite, et la voici, ronde, gigantesque, plus noire qu’un ciel sombre d’une nuit sans lune. La porte qui sert aussi d’escalier, s’ouvre, et nous montons à l’intérieur. Je ne reconnais pas vraiment les trois fauteuils que nous avons quittés. Par contre, une banquette circulaire s’est installée le long de la paroi d’un gris bleuté. Et au centre, une seconde sphère plus petite évidement, et qui se met à scintiller. Et cette voix qui nous glisse dans les oreilles.
- Soyez les bienvenus mes chers amis. Désormais, je décide de vos destins.
Et la passerelle se referme derrière nous. Un clic, et nous voilà les prisonniers d’une convention entre un esprit diabolique et trois fuyards cherchant trois chemins. Le premier serait celui de la liberté, le second celui de la connaissance, le troisième un scoop qui le hisserait en haut lieu du journalisme. Je me lève, j’essaie d’ouvrir le sas, mais impossible. Cloitrés dans la sombre machine, dans les rouages du démon qui ose manipuler le temps et le destin des hommes ! Simples marionnettes, pantins de chair dont l’incrédulité fera perdre tout espoir de vaincre cet Eternel sans visage. Je me rassois. Il est vrai que cette banquette est confortable, et voilà que soudain une boule étincelante, surgit de nulle part. Et la voilà que se pose au creux de ma main droite. Je ressens une légère décharge électrique, pas vraiment un voltage important, et ma bouche laisse poindre les mots suivants :
- En avant toute Commandant, hissons le drapeau noir de la rébellion. Hue aux soudards et aux soldats qui corrompent la Royauté. Avanti per favor, we are the leaders chips…
- Tu parles de quoi mon pauvre Sand, me dit Erno avec une sorte de fou rire. Yossef et moi, si cela continu, nous allons débloquer fissa je crois ?
Il est vrai que mon attitude désinvolte porte à rire, et mes deux compères ne s’en privent pas. Malgré cette désinvolture, je me pose la question suivante : et si jamais nous sommes à la merci d’un esprit savant et mécréant, une sorte de joueur qui est là dans une folle partie d’échec ? Ne sommes alors que de simples pions ? Et si la règle du jeu change à chacune des minutes passées dans la spirale temporelle, qu’allons nous devenir ? Je sais que la mort est pour chacun de nous inéluctable, seulement mourir sans bien savoir pourquoi, cela me donne un sentiment d’une amertume aigre-douce. Mourir sans savoir et naître pour savoir, telle est sans aucun doute, la loi humaine ? Alors que je me laisse bercer par ces songes qui n’ont rien de romantique, la sphère se met à vibrer sauvagement, et c’est à peine si nous restons assis sur la banquette. Je pose insidieusement la main sur la boule qui se trouve sur mon coté droit, et voilà que le tangage stoppe immédiatement ! Je regarde mes deux comparses.
- Est-ce bien moi qui viens d’arrêter ce tremblement extrême ?
Je me demande si c’est à moi et non aux deux autres que je viens de poser cette question ? Le doute s’est installé en moi depuis le début de la narration, et je savais bien qu’il me fallait me soustraire aux exigences d’un contrôle par un tiers. Et cette tierce personne, je l’avoue, à un nom ? Hélas, j’ignore lequel, quoique le Diable ne soit pas un nom mais une fonction, celle de foutre en l’air la réalisation du Divin Créateur, si j’en juge les saintes écritures qui désormais, ne le sont plus depuis des siècles. Pourtant, faut-il le reconnaître, quel est le sens donné par cette incartade dans une dimension inconnue du grand public ? J’écris une histoire sur une machine à écrire achetée sur une brocante, puis je déchire les feuilles où est née ladite fable, et la voilà qui surgit dans la réalité matérielle ? Mais pas vraiment, hélas, telle que j’ai pu la concevoir ! Et ma tourmente insidieuse viendrait sans doute de là, je ne maîtrise absolument pas mon sujet. Je pars à l’aveuglette, je me dirige vers la gauche et il se trouve que celle-ci est devenue la droite. Je crois m’élever dans le ciel et je me retrouve le cul posé sur une pierre au fin fond d’une caverne ? Ce n’est plus une frite dans le café à laquelle je me confronte, mais la friteuse remplie d’une huile grasse et lourde ainsi que des centaines de litres de jus de chaussette macéré dans un vieux percolateur… Nous nous accrochons éperdument à cette banquette car ce mouvement spasmodique est revenu dès que j’ai enlevé la main de la boule. Et pour ne pas se retrouver sur le sol, je m’accroche à la banquette et je me mets à hurler.
- Putain bordel de merde, arrêtez ce manège pourrit !
Je sais, aucun compliment pour mon langage d’usurier, mais je le pense vraiment. De nouveau je pose la main sur la petite sphère, et ce mouvement aléatoire s’arrête brusquement. Tout redevient calme. C’est moi qui agis sur ce putain de fossoyeur qui agite la sphère ?
- Ne la lâche pas, me lance Erno. Tant que tu as la main posé sur ce globe, ce charivari semble se calmer !
Oui, en effet, ce chahut stoppe dès que j’ai la main sur la boule. Qui se trouve là je ne sais pourquoi, sauf justement, pour éviter toute forme de catastrophe à venir et qui pourrait nous entraîner vers une mort certaine ? Enfin, c’est ce que je suppute depuis !
- Dites les gars, ne serions nous pas dans un vortex dont les rugissements intempestifs nous obligent à nous cramponner à la banquette, demande Yossef ?
- Il me semble que oui !
Voici ma réponse, car il est certainement vrai que nous subissons les aléas d’un passage de vortex si jamais il y a vortex, car cela reste une question ? Et il ne me faut pas quitter de la main la petite boule qui me sert de contrôle pour la suppression d’un tel tangage. Surtout pas !
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J’ai oublié ma montre, et je ne sais pas l’heure qui se fait dans notre module. A vrai dire, notre horaire peut être compatible avec notre voyage temporel ? Qui sait, nous vieillissons peut-être ou alors, nous sommes ce que nous sommes depuis notre départ ? Toutes ces questions me trottent dans la tête, et je commence à en avoir marre vu que j’aimerai que cesse ce tumulte dans mon crâne. Et voilà que soudainement, la passerelle s’ouvre. Inquiétude pour chacun de nous, et croyez moi, nous n’en menons pas large les potes et moi ! L’air ambiant se faufile dans le cockpit et une légère brume l’accompagne. Mais ce qui me perturbe en ce domaine, c’est cette odeur entre putréfaction de cadavres et de bitume chaud. En parlant de chaleur, j’ai l’impression que nous sommes en hiver coté monde inconnu ? Il fait terriblement froid, je suis certain que la neige recouvre le sol du paysage à découvrir. Je lâche la boule et heureusement, il ne se passe rien. Et je me lève suivis de mes deux compagnons. On se cherche d’un regard apeuré. Oui, nous avons une trouille effroyable conjuguée par le froid environnemental. J’ose regarder par l’issue béante que vient de laisser la passerelle. Oui, il neige, mais le brouillard ne vient pas du froid, il provient d’une usine dont les crachats de larves retombent sur le bitume creusé tel un morceau de gruyère. En pensant fromage, je me dis que nous n’avons pas emporté des vivres en cas de miam miam ! Erno suivit de Yossef me rejoignent. Eux aussi ont un haut le cœur. Sommes nous sut Terre où sur une planète qui lui ressemble mais à des années lumière de celle-ci ? Et cette putain de voix qui rugit dans l’habitacle…
- Bienvenus en enfer mes chéris, bienvenus…
J’ose à peine y croire, mais « IL » nous a bien eus ! Ce paysage me fait penser à celui d’une ville abandonnée dont les occupants sont morts, surtout avec cette odeur de cadavres et de pourrit. Et cette brume qui plane dans cet espace confiné, ne serait-ce pas le sang des derniers humains ? Nous sommes donc bien arrivés, mais où sommes nous exactement ? Est-ce l’enfer qui attend nos pas désœuvrés ? Je crois que nous ne reverrons jamais plus « nôtre » Terre, hélas…
Johnnel B.FERRARY (à suivre)
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