une frite dans le café 4

johnnel-ferrary

UNE FRITE DANS LE CAFE 4

********************************

     Le sol craque sous nos pieds, l’air pue la charogne. De grands immeubles qui touchent le ciel gris, se laissent mourir en s’arrachant des blocs de béton qui s’écrasent sur l’asphalte dans un mugissement douloureux. On croirait presque que ces buildings sont vivants car ils hurlent lorsque des pans de façades se détachent d’eux. Des carcasses de voitures jonchent le bitume, mais aucun cadavre ni dedans ni même dans les rues. Pourtant, nous sommes bien le 16 Juin 1972 tel que nous l’avions prévu, mais hélas, j’ai peur de ne m’être trompé lorsque j’ai dis que si jamais des êtres vivants ne sont plus de cette époque dans la nôtre, nous ne trouverons qu’un tas de gravats ! J’ai vu juste, et nous voilà dans cette monstruosité qui n’est plus le passé ni même le futur. C’est un lieu quelconque qui se meurt au fil du temps, une terre sans vie, un espace de cruauté neutre ! Nous marchons lentement sur cette sorte de d’asphalte molle, et sur notre droite, débouche un ancien tramway. Il stoppe à notre hauteur, ouvre ses portes, puis après une bonne minute, il les referme et repart. Il n’y a personne qui ait descendu ou monté puisque le convoi était… vide ? Sorti d’une voie sans issue, un taxi s’approcha de nous, ralentit et après plusieurs secondes d’hésitation, reprit son chemin. Vide lui aussi ! Et  l’incroyable se produisit au-dessus de nos têtes. Souvenez vous des dirigeables gonflés par du gaz inflammable ? Je ne me souviens plus du nom que leur donnait la foule de cette époque, je sais que l’un d’eux prit feu et qu’il y eut de nombreux morts. Et en voilà quatre qui traversent le ciel d’un gris perle.

-      Nous sommes les seuls humains dans cette cité, nous lança Erno. Les seuls vivants au cœur de cet univers ? Et si nous repartions chez nous, ne serait-ce pas une excellente idée ?

-      Je ne suis pas contre, dis-je, et toi Yossef, serais-tu d’accord de repartir dans notre époque ?

-      J’ai décidé la date, je tiens à y rester, c’est tout.

-      Mais voyons, rien ne nous prouve que nous sommes le 16 Juin 1972… Ces immeubles gigantesques, ces tramways qui longent les façades et n’ont aucun voyageur à leur bord ? Est-ce bien Lutèce ce coin paumé ? Mais pourquoi cette date et non une autre, demandai-je au Tunisien.

-      J’ai mes raisons, je n’ai rien d’autre à dire.

Voici la réponse d’un tueur. Je n’ai rien d’autre à dire… Le silence, renoncer à la parole pleine au profit d’une muette convention ! Pourquoi cette date en sachant bien que toute forme de vivants de cette époque choisie ne se retrouvait en celle qui est nôtre ? Que cherchait ce tueur en cavale au sein de ce paysage caricatural de mort ? Erno et moi-même devrons nous en contenter car le silence prometteur nous annonce des difficultés à venir si jamais nous n’abandonnons pas ces questions fustigeant nos esprits ? L’odeur, le climat, l’air légèrement gras, nous respirons avec difficultés. Je me décide de faire demi-tour afin de regagner la sphère.

-      Je regagne le MOGLOV, dis-je aux deux autres. Si nous continuons, le risque de mourir devient de plus en plus présent. J’ai beaucoup de mal à respirer normalement. Si vous décidez de continuer, c’est votre choix, le mien est de rentrer au bercail.

-      Non, me défie le Tunisien. Tu continues avec nous, je ne suis pas venu ici pour repartir et me retrouver en face de mes bourreaux que je viens de quitter. Ici, j’ai la chance inouïe de renaître à ma vie. Je connais un endroit où nous pourrons nous reposer.

-      Mais tu connais ce monde, s’inquiète Erno.

-      Mais je suis né ici avant la destruction par des êtres dont nous ne connaissions pas l’existence. Il y en eu de partout, et malgré la défense et l’union des individus, ils ont massacré des populations entières avant de laisser à l’abandon cette cité. Avant, cette mégalopole avait pour nom Paris. D’ailleurs, regardez là-bas ce qui reste du symbole qui en était le sien ! Il s’agissait de la Tour Eiffel, du nom de son créateur. Regardez là, elle sombre à cause de la rouille qui la mine depuis des siècles ! Oui, je suis venu ici afin de retrouver ces lâches dont la technique supplantait la nôtre. Oui, je suis venu dans ce monstre pour venger ma famille et mes amis car je sais qu’il y a toujours une base de ces visiteurs inconnus quelque part dans la cité. Vous comprendrez le pourquoi de ma présence en ces lieux impropres et dévastés. Dans votre monde j’étais un tueur sans pitié, mais ici j’étais un homme politique. Yoss BELMON, candidat à la présidence royale de 2020… J’ai grandis à Lutèce avant qu’elle ne devienne Paris. En 2020, alors que la bataille du règne battait son plein, ils sont arrivés pour nous évincer de la planète. Ils ont réussi, mais je me dois venger ce monde qui est mien. Je ne retournerais pas en arrière, j’ai appris que la vengeance lave toujours le sang de l’innocence. J’ai espéré votre soutien à l’un comme à l’autre, mais je crains de m’être trompé ?

Est-il en train de nous mentir, de nous dévoiler la réalité de sa mission ? Alors que je me décidais à lui répondre favorablement, une silhouette apparut dans le brouillard devenu de plus en plus intense. Lui, c’était bien lui, je ne pouvais me tromper. Le vendeur de la machine à écrire en personne ? Monsieur DIMITRI ! Il souriait.

-      Enfin mes amis, vous voici. Je suis très heureux de votre présence, vous allez pouvoir nous aider. Grâce à vous, Monsieur BELMON, nos deux invités sont présents à nos cotés. Le combat est rude ces temps-ci, ils ont envahi le centre de Lutèce, beaucoup de nos compagnons morts, nombreux les blessés ! la machine est prête, seuls nos amis peuvent se mettre en contact avec elle. Les fréquences de leurs deux esprits se conjuguant, ils pourront se connecter à celle de la machine. Et là, nos ennemis devront quitter la planète ! Messieurs, vous êtes les bienvenus en ce siècle trente. Nous sommes le 16 Juin 3025, et une attaque hors notre galaxie, tente de nous évincer du monde des vivants. Mais nous possédons leur machine capable de les rejeter en dehors de notre système solaire, sauf qu’il nous manque vos deux fréquences à vous, Messieurs BARNE et CORNEL ! Les trois fréquences réunies n’en feront qu’une, celle capable de repousser l’ennemi.

Nous sommes en 3025… Pourtant, d’après nos sciences, il est impossible de s’aventurer dans le futur puisqu’il ne peut exister… J’en fais part à Monsieur DIMITRI et à mes deux autres compagnons. La réponse est simple.

-      Nous ne sommes pas dans le futur, Monsieur CORNEL, mais dans le lointain passé… Nous sommes bien en 3025… Avant le premier pas de l’homme sur la Lune ! Un mois de juillet 1969 de votre ère qui commence par la naissance de l’une de vos divinités bibliques… Et si nous ne réussissons pas à détruire les entités d’invasion, votre ère ne pourra exister. Seuls vous deux êtes capables de combattre ces envahisseurs.

-      Je comprends, dis-je, mais où se trouvent-ils, comment sont-ils ? J’aimerai les voir…

-      Ce sont des organismes biologiques couplés à des infrastructures électroniques et mécaniques. Un peu comme vous d’ailleurs… C’est pour cela que vos fréquences sont capables de les repousser dès qu’elles seront couplées à celle de la machine que nous avons récupéré à nos ennemis.

-      Certes, mais je tiens à connaître ces ennemis qui tentent de vous détruire. Je dois les voir, les jauger afin de mieux les cerner.

-      Pourquoi, la parole de Monsieur DIMITRI ne te suffit pas, me dit Yossef.

-      J’ai ma propre analyse du terrain, je ne m’aventure jamais à l’aveuglette. Montrez moi les et je veux aussi voir la machine en question. Qu’en penses-tu Erno ?

-      Je suis en accord avec toi, mieux nous connaîtrons l’ennemi, mieux nous le combattrons !

-      Je sais que vous désirez de connaître cet ennemi, mais il faut que je vous prévienne ! Si jamais vous rencontrez son regard, il vous possèdera corps et âme, je tiens à vous prévenir.  

 Et voilà que notre homme disparait ! Tout autour de nous s’installe des silhouettes qui peu à peu, deviennent des êtres de chair et de sang ! Oui, les voici nos ennemis, car nous sommes nous-mêmes nos ennemis. Nous nous détruisons les uns les autres, et cela, sans réfléchir vraiment. Je regarde Erno.

-      Cela veut dire qu’il nous faut disparaître ?

-      Oui, répond Yossef. La guerre fratricide, le meurtre, oui, ma famille est morte à cause de vous. Je veux que vous sachiez combien ma haine est grande, je veux que cette vengeance depuis des années fasse de vous mes premières victimes. Regardez autour de vous. Cette cité était la plus belle de l’univers et la voilà sans aucune miséricorde de Notre Divin Créateur. Une cité pleine de richesses, des enfants heureux qui jouaient au ballon, des femmes si belles sous le soleil radieux des étés prometteurs.

-      Tu sais, dis-je, Erno et moi-même ne sommes en aucun cas les responsables de cette hécatombe. Bien au contraire, nous avons proclamé la paix universelle et non la guerre diabolique entre humains. Par contre, si vous l’acceptez, je peux réécrire le passé qui est votre présent, c’est-à-dire avant la destruction finale ? Il me suffit d’utiliser la machine à écrire et remettre de l’ordre dans ce qui est le désordre invariable ?

-      Alors dépêchons nous, me lance le Tunisien, retournons à votre bulle temporelle.

-      Cette bulle à un nom, il s’agit du MOGLOV-5. Je vais de ce pas vous rendre la cité avant le déluge.

Des hommes, des femmes, des machines gloutonnes de carburant énergétique, d’électricité nucléaire, et cela, tout autour de nous. La vie revenait peu à peu alors que nous approchions de la bulle temporelle, comme le dit Yossef. Là, toujours présente sur ses pattes, elle nous attendait avec pour gardien, notre Monsieur DIMITRI.

-      Je vous attendais, dit ce dernier. Cela fera maintenant trois siècles que je suis là, à vous attendre. Nous sommes désormais trois siècles avant le déluge, et il vous faut agir très vite sinon le chaos va revenir. Montez, votre machine à écrire vous attend Monsieur CORNEL.

Nous sommes montés dans la machine ronde, et sur une table ronde elle aussi, une pile de feuillets blancs et la machine à écrire. J’allais devoir réécrire le passé en sachant que vu la courbure du temps, j’allais écrire le futur… Mais là, c’est déjà une autre histoire. Par contre, dans ma tasse de café se trouvait une frite. Pied de nez de la part d’un Dieu omniprésent ? Sait-on jamais ?

Johnnel B.FERRARY

****************************************************************

Signaler ce texte