Une heure

Caroline Morello

3h47 : Il est là, allongé près de moi. Il dort, paisible, trop paisible. 78kgs affalés sur le dos. Il ronfle et ça résonne dans ma tête, c’est insupportable.

3h49 : Je tourne et je vire dans ce lit glacial. Ou bien c’est moi qui ai froid. Tout mon corps tremble . On est en été pourtant.

3h53 : J’ai chaud ! J’ai du mal à respirer. Et ces palpitations qui n’en finissent pas. On dirait que mon cœur va sortir de ma poitrine.

3h55 : Elle est tombée toute à l’heure, comme un couperet, juste après le dîner. La phrase qui a détruit ma vie : « Je t’ai trompée ma chérie, c’était une erreur. Je regrette, je t’aime. Pardonne-moi. Tu es la seule qui compte pour moi.»

3h58 : Seule ? Oui, je suis seule cette nuit, avec mon dégoût. Quelques centimètres nous séparent mais ils me semblent être un gouffre creusé par ces quatre mots : « Je t’ai trompée ». La suite n’importe peu. Il m’a trompée.

4h00 : J’imagine leurs baisers, ses caresses à lui sur son corps à elle. Il l’a pénétrée, a transpiré sur elle. Je peux même entendre le rythme de sa respiration lorsque ses sens s’emballent avant l’extase. Celle-là même qu’il me réservait, à moi, sa vie, son autre comme il dit.

4h07 : Je sursaute. Sa main vient de se poser sur ma cuisse. Sa main autrefois si douce est désormais rugueuse,  elle m’irrite la peau. Je ne supporte pas ce contact si désagréable, ça me brûle. Je dégage ma jambe, lentement…

4h09 : Et ses ronflements incessants. Je suis sure qu’il le fait exprès. Il ne dort pas, il fait semblant. Il veut m’empêcher de dormir, pour que j’y pense, encore et encore. Il ne dort pas et jubile de me sentir agitée. Ça le conforte dans sa certitude que je souffre pour lui, il aime ça.

4h11 : Elle ne va jamais se terminer cette nuit ? Le temps s’écoule au ralenti.

4h14 : L’atmosphère est lourde. Je la sens, là, peser sur ma poitrine, m’oppresser, comme pour me maintenir allongée, près de cette homme que je ne connais plus.

4h17 : Je retiens mes larmes, mes cris restent bloqués dans ma gorge, j’ai envie d’exploser, mais j’ai ma fierté. Je ne veux pas qu’il me sache faible. Si faible que même couchée, ma tête tourne, j’ai des vertiges. Chaque fois que mon esprit, fatigué, me somme de m’endormir, je suis réveillée par une sensation de chute.

4h23 : J’ai mal. C’est comme si un poignard fouillait inlassablement dans mon ventre à la recherche d’une douleur encore plus intense à chaque fois et qui se propage dans tout mon corps.

4h31 : Je l’aime, je le hais. La vision de leurs deux corps entremêlés me donne des nausées. J’ai envie de vomir. Vomir toute cette haine, toute cette rancœur, tout ce mal que je ne peux digérer.

4h33 : Je me lève, titube vers la cuisine. Un verre d’eau, un somnifère pour un peu de quiétude.

4h37 : Par la fenêtre, la lune dépose un rayon sur le service à couteaux. Un cadeau qu’il s’est fait car il aime cuisiner des petits plats pour sa petite femme. Comme ce soir d’ailleurs…

4h42 : Machinalement, je saisis le plus grand. La lame est aiguisée, elle brille dans la pénombre. Tel un automate, je marche vers la chambre.

4h47 : Il est là, allongé dans le lit. Il dort, paisible, trop paisible. Je lève mon bras, tenant fermement le couteau et je l’abats, d’un geste sur, précis, au fond de mes entrailles, à l’endroit même où pousse un petit être, l’enfant qu’il a tant désiré et qui se faisait tant attendre. Je l’ai appris aujourd’hui, une heure avant son aveu.

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