Une histoire avec une fin

danae

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi.

Je me retrouvais dans cet intérieur chaud autrefois, mais tellement impersonnel maintenant. Que s’était-il passé ? Qui avais-je abandonné ? Moi ? Ou peut-être m’étais-je tout simplement égarée dans un méandre sans fin de voies sans issue.

Oui c’était ça, je m’étais égarée. Mais cet égarement m’avait transformée. Il m’avait faite sortir des eaux, telle une Aphrodite à sa naissance. La femme qui se tenait recroquevillée sur elle-même  avait été reconstruite par cette renaissance.

Cette femme timide dans le passé avait disparu à tout jamais, laissant derrière elle les peurs et les craintes que la vie lui déposait chaque jour à ses pieds.

Et aujourd’hui, cette femme nouvelle ne demandait qu’à vivre, revivre.

Mais cette chrysalide rousse aux yeux verts serait-elle sortie de son cocon seule ? Non, cela lui aurait été impossible. A son insu, un homme était tapi dans l’ombre. Il était là, et la regardait se débattre. Combien de temps resta-t-il ainsi ? Suffisamment pour qu’il puisse prendre enfin son courage et se lancer dans la bataille. Car la bataille était de gagner son cœur et cela était un parcours semé de cailloux….

Dans un geste d’une infinie tendresse emplit de délicatesse, il lui tendit une main pour l’aider à s’extraire de son carcan de solitude et d’embûches.

La main tendue fut happée par les siennes fines et tremblantes, et très vite elles se refermèrent dessus sans avoir aucune intention de les lâcher. Il avait été présent chaque jour, à chaque épreuve de ma vie.

Cinq ans se sont écoulés dans le sablier du temps et j’ai 40 ans aujourd’hui.

Je me retrouve seule dans mon appartement de Saint Raphaël, ma ville natale. J’ouvre la porte fenêtre de mon salon et sors sur la terrasse. Je m’assois sur un transat vert et blanc à l’abri du soleil qui inonde ma vue. Le ciel est bleu et sans nuage. L’air est chaud. Nous sommes au mois de juin.

Le cri des mouettes m’interpellent et me rappellent que la vie est comme la mer : en perpétuel mouvement. Je crois entendre sa voix, mais bien vite le présent  me ramène à lui et m’invite  à regarder devant moi. On ne peut vivre dans le passé.

Je suis dans le présent aujourd’hui et je suis revenue dans ma ville baignée de soleil afin de prendre une décision à l’un des carrefours de ma mie.

La décision est difficile à prendre, mais j’ai changé, j’ai évolué. Je n’ai plus ce collier de peurs et de craintes autour de moi. Je ne redoute plus l’abandon et les conséquences que cela entraînent.

Tient, le temps a changé pendant mes pensées. Le mistral s’est levé accompagné de nuages. La Méditerranée s’agite au loin. L’eau de la baignade sera froide demain. Mais qu’importe, je suis libre, libre de toutes attaches.

Je passe une nuit agitée dans mon ancienne chambre. En me réveillant, je prends conscience de son état. Il faut changer ce décors, changer les rideaux et remplacer le papier peint à rayures par de la peinture. 

Je tourne la tête vers le réveil posé à côté de moi sur un djembé ramené d’Afrique. Il est 08h30.

Je m’étire longuement comme un chat qui a passé son après-midi au soleil et je saute du lit. J’enfile rapidement mes chaussons orange Isotoner et me dirige vers la cuisine afin de me préparer mon petit-déjeuner. Mon café et mes tartines avalés, je me dirige vers le salon baigné de la lumière matinale. Je prends machinalement mon sac à mains posé sur le sofa et je sors de son ventre mon porte-photos. Je l’ouvre, son visage apparaît, souriant, heureux, confiant.

Il ne sait pas où je suis partie. J’ai simplement laissé un mot sur le piano lui disant que je l’appellerai. Il a l’habitude de mon attitude, il ne sera pas surpris. D’ailleurs, il est rarement surpris par mes caprices. Il ne s’inquiètera pas.

Je referme la boîte de Pandore. Je plonge à nouveau ma main dans mon sac et en ressorts mon répertoire téléphonique. Je trouve un numéro, le compose et j’entends au bout du fil le nom du salon de coiffure. Une nouvelle vie commence toujours par des changements, et le premier sera ma coiffure. Je reste rousse mais avec des cheveux courts car il les aimait longs. Je garderai une mèche que je rangerai avec mes souvenirs afin de me rappeler que dans la vie chaque jour, chaque minute est une perpétuelle évolution. Une évolution qui nous fait prendre des chemins et parfois nous éloigne de nos propres chemins où la sécurité s’était installée avec délice et bienveillance.

Le rendez-vous est pris dans une heure. Il me reste juste le temps de prendre une douche et de m’habiller légèrement.

A la sortie du salon, je me sens toute autre. Cette coupe fait ressortir un peu plus l’éclat de mes yeux à moins que ce soit la décision que je suis entrain de prendre et qui mûrit doucement. Une décision où se mélange chagrin et réussite, larmes et joie.

Je passe devant une boutique de vêtements. Je rentre à l’intérieur et je m’achète plusieurs tenues. Le changement passe aussi par une nouvelle garde robe.

Et plus j’avance dans le temps et plus je suis sûre de moi. Je sais que tu m’aimes, mais vois-tu ton amour m’étouffe et m’empêche de vivre.

Je m’installe à la terrasse d’un café sur le port face à la me. Je commande un Perrier menthe. Et là, je commence à me réciter dans la tête ma future conversation avec lui. Comment le lui annoncer ? J’entame un monologue silencieux, comme une répétition théâtrale avant un spectacle. Etre prête, être forte.

Lui dire que je le quitte, lui dire que la vie avec lui m’étouffe. Mais lui dire aussi que sans lui je n’aurais survécu, ni pu réussir à sortir de mon ancien chemin. Lui dire que son amour sera éternel dans mon cœur, mais avec un côté plus paternel que charnel. Lui demander de me pardonner pour le chagrin que je lui fais, pour la douleur causée. Lui dire tout cela avec mes mots.

L’heure tourne, il est 11h30. J’appelle le serveur et paye l’addition de ma consommation. Je me lève et je prends la direction de mon appartement. J’arrive devant la porte du hall, je pénètre à l’intérieur et  j’appelle l’ascenseur. Je rentre dans cette cage à l’odeur renfermée et appuie sur le numéro quatre. Les portes se referment et je m’élève doucement vers mon étage.

L’ascenseur s’arrête, les portes s’ouvrent et je sors me dirigeant dans un couloir sombre, vers la porte d’entrée de mon refuge. Je suis prête. Une fois entrée, je l’appellerai.

Mon cœur tremble et bat à toute allure à cette idée, mais je ne reviendrai pas en arrière, ma décision est prise.

J’entends soudain au loin le cri du téléphone. Je presse le pas, mets la clé dans la serrure et ouvre la porte à toute volée. Je cours pour décrocher. C’est lui, c’est lui, il m’a retrouvée. Il s’est inquiété a interrogé nos amis, il m’a retrouvée. Mon cœur est moins solide que je ne le pensais…

Je décroche. Le combiné dans la main j’écoute. Il y a comme un silence, comme si la personne qui se trouvait à l’autre bout était devenue muette.

-      Allo, allo, qui est à l’appareil ?

L’angoisse me ceint le cœur.J’insiste à nouveau et là j’entends la voix de mon amie Judith. Sa voix si chaude et riante habituellement est comme éteinte et froide.

Elle prend son souffle, je l’entends.
-      Clémence ?
-      Oui
-      Clémence, il est arrivé un grand malheur…
-      Quel malheur ?
-      Alexandre
-      Et bien quoi Alexandre  ?
-      Alex est mort ce matin au volant de sa voiture.

Un coup de massue s’abat sur moi. En une minute mon état euphorique explose et à la place s’installe une immense incertitude.

Aucun son ne sort de ma bouche. Je crois que j’ai perdu toute la notion des mots ,Je me force à parler. Je n’en ai pas envie. Mais je le fais.

- sur la route ? Mais où sur la route ?
- sur l’autoroute A8 à la hauteur d’Orange, me répond mon amie.

Et elle continue

-      Il était descendu te rejoindre, il voulait te faire une surprise, il voulait t’annoncer quelque chose...

Je raccroche, interdite. Une surprise ? Mais quelle surprise ? M’annoncer quoi ? Je me dirige vers la terrasse. Je lève les yeux et fixement me regarde le soleil. Mais le soleil n’a plus pour moi sa chaleur rassurante. Non et j’ai froid.

Le soleil planté dans la hauteur du ciel est devenu un gigantesque trou béant dans lequel je me serais bien jetée.

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