Une histoire de train

Eric Rktn

J'attendais un train qui me conduisait d'un trou du cul du monde à un autre trou du cul du monde, mais plus grand.


Pour patienter, je fis un tour au bar-tabac une rue plus loin. Le genre de boui-boui illuminé par des néons de marques de bières mauvais prix, aux murs de couleurs douteuses, violet et blanc cassé que seul un magasin d'ameublement suédois aurait le culot de proposer dans son catalogue. Bref, on était loin de mon cher Gigi du 18e, de ses guirlandes accueillantes qui serpentaient entre les assiettes peintes à la main et les petits chalets souvenirs en bois ramenés de séjours au ski. Nostalgie des années 90.


Le barman bourru s'arrêta à ma hauteur, grommelant ma commande, deux paquets de blondes, sans filtre parce que je ne suis pas un cow-boy. Il baragouina une phrase que je ne saisis pas tout de suite.


- [intraduisible]

- Quoi?


Il répéta à nouveau, et à nouveau je ne pipais toujours pas mot, peut être l'effet de l'alcool, enfin de son côté, pas du mien.


- C'est du laosien.


Il m'en expliqua le sens. Ce n'était pas important. Mais il m'avait pris pour un laosien avec son idiote idiome de mes deux. Peut être que ça lui donnait de la contenance, comme ces gens qui lancent des proverbes en latin, se prenant pour le Pape à haranguer les foules Place St Pierre pour souhaiter un joyeux Noël en 36 langues.


Au fond du bar, si fusionné à un des canapés de sorte que personne ne remarquait sa présence, une casquette du tour de France avec un vieux en dessous beuglant pour un Ricard. Qui des deux était le plus ancien? Lui ou le sofa en skye que l'on ne trouvait plus que tendu sur les fesses vergeturées de strip teaseuses de Pigalle? Ma question resta sans réponse, le buraliste rattaqua.


- Des mandarins.

- Pardon?

- Oui, parce qu'au Laos, ce sont les chinois qui tiennent le pouvoir.


Le vieux du canapé en peau de string commençait à se gargariser à l'anis. Et l'autre me parlait géopolitique. Je faisais mine de l'écouter en observant sa brioche qui tentait de se faire la malle hors de son pull trop serré. Non pas une brioche, c'était toute la boulangerie.


- Tiens, prends toi un verre et suis moi.


Je me servis une grande mousse en prenant soin de la remplir à ras-bord, comme si je savais que ça allait durer et suivis ses pas jusque dans l'arrière-boutique. Au milieu des cartons entassés, il me tendit un bang. J'en tirais une large bouffée. De l'opium. Cataclysme de fulgurances transcendantes, vitamines molles vivaces, cascades assourdissantes avec des dauphins en plastique, Lucy dans le ciel qui ouvrait une joaillerie.


Je, n'étais pas, très, bien à ce moment. Et l'homme-boulangerie continuait de déblatérer sur le PIB du Laos.


- J'ai la bédale interrompis-je.

- Quoi? 

- La bédale, la faim quand tu as fumé, tu as un truc à grailler ?

- Mais tu t'es cru où?


Sans prévenir, il tenta de m'en mettre une dans les gencives, j'esquivais dans un demi-tour à la Brian Joubert (mais sans tomber) et le frappa avec le bang qui se brisa sur son crâne. Il s'effondra inconscient sur les étagères, emportant avec la la moitié de son arrière-boutique dans un tremblement de magnitude raisonnable.


Le petit vieux n'avait rien entendu et riait devant les publicités qui passaient sur le petit écran, pastis tranquillement descendu. Il était temps de filer. Je passais devant lui.


- j'adore ce que vous faites, ne changez rien.


Il glapit l'air content et m'offrit son plus beau sourire édenté. Je laissais ce que je devais sur le bar, et fonça fissa à la gare. Pour rien. Le dernier train venait de passer. j'en prendrai un autre demain.

je mis le double du temps habituel pour rentrer chez moi, parce que j'imitais le parcours d'une sinusoïde sur le trottoir humide, résigné, mais au moins je n'avais pas oublié mes cl...MES CLOPES !

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