Une matinée de Noël
Christel Belle Des Champs
Il est sous la douche et regarde l'eau tomber sur lui, en plein visage. Il est immobile et il réfléchit. Il se laisse envelopper par la buée dans la cabine de douche et se sent protégé par la chaleur et le nuage opaque qui le rend invisible.Il repense au déroulement de la matinée. Les enfants levés tôt, tout excités à l'idée de découvrir les cadeaux apportés par le Père Noël. Ses parents et lui-même ont été réveillés par les cris des enfants et leurs pas sonores dans l'escalier. Lorsqu'ils sont arrivés au salon, Louise, sa nièce ainée, déballait déjà ses premiers cadeaux et dictait à son frère, Simon, quels paquets il pouvait ouvrir. Les enfants déballaient les cadeaux les uns après les autres, s'excitaient de leurs découvertes, les déposaient et prenaient aussitôt d'autres paquets. Les papiers multicolores s'amoncelaient autour d'eux.Lorsque Louise a découvert le jeu du solitaire qu'il lui a fabriqué à l'atelier de menuiserie, il a voulu lui expliquer les règles du jeu. Mais ses explications étaient trop longues ou trop confuses, et la fillette a fait comprendre d'un revers de main qu'elle verrait cela plus tard. Dans l'immédiat, elle s'enivrait des paquets qu'elle déchirait.Ses parents ont eu l'air content du week-end dans un relais château qu'il leur offrait. Il avait économisé depuis l'été, lorsqu'il avait eu cette idée de cadeau pour eux. Sa mère lui avait offert un joli pull jacquard « qui lui tiendrait bien chaud cet hiver », et son père un bon d'achat à la jardinerie.Puis Simon avait ouvert le gros paquet qui enveloppait la voiture rouge à pédales qu'il offrait à son neveu. Les grands parents avaient participé à ce cadeau. On s'était mis d'accord ; c'était un cadeau commun. C'est à ce moment là que sa sœur, Nathalie, et son beau frère, Jérôme, sont apparus en bas de l'escalier. Ils étaient encore tout chiffonnés de sommeil et ça a fait rire tout le monde de voir Jérôme les cheveux en l'air.Nathalie a embrassé ses enfants et ses parents et a souhaité « un joyeux Noël ». Elle s'est extasiée devant tous les cadeaux et a dit à Louise et Simon que le Père Noël avait été très généreux. Jérôme a offert du parfum cher à sa belle mère et Nathalie a donné deux gros livres d'Histoire à son père.Alors lui, il a pris les deux paquets qui restaient au pied du sapin, et il a tendu l'album Sol En Si à Jérôme et le papier à lettre fleuri et ses enveloppes assorties à Nathalie. Quand elle a ouvert son cadeau, elle a dit qu'aujourd'hui plus personne n'écrivait sur du papier. « On s'envoie des mails ». Puis Jérôme a découvert le CD, Nathalie a dit « on ne l'a pas déjà, celui-là ? » Jérôme a dit « Non, non » et il a remercié son beau frère d'une tape dans le dos.C'est seulement après, qu'il a compris qu'il n'y avait plus rien au pied du sapin. Pas d'autre cadeau pour lui de la part de sa sœur. Pas même une carte. Et il n'a osé rien dire.Il a rejoint sa mère à la cuisine pour aider à préparer le petit déjeuner, et là non plus, il n'a rien dit. Pendant qu'il mettait la table, il entendait au salon les enfants essayaient leurs nouveaux jouets avec leurs parents et leur grand-père. Puis tout le monde a petit déjeuné dans la bonne humeur du jour de Noël et s'est régalé de la brioche préparée la veille. Mais lui, il ne disait rien. Il essayait de sourire, de s'extasier à chaque clownerie ou émerveillement des enfants, sans être certain d'y parvenir.Maintenant, sous la douche, tout mouillé, la douleur rentrée explose. Il pleure comme un enfant de ne pas avoir reçu de cadeau de la part de sa sœur. Ça faisait longtemps qu'on avait prévu de se réunir tous cette année et lui, il avait pensé à un cadeau pour chacun. Pourquoi elle n'avait pas pensé à lui ? Même une simple carte, joliment décorée, avec des dorures et un mot gentil, aurait épargné sa peine. Sur son visage, il ne sait plus ce qui est larme et ce qui est eau. Il sanglote, se mouche dans ses doigts et ravale sa douleur tant bien que mal.Derrière la porte de la salle de bain, sa mère frappe et lui dit de se dépêcher. Il répond « Oui, oui » la gorge nouée.Quand il en parlera demain à sa mère, quand tout le monde sera parti, elle lui dira sans doute que c'est à cause de son chromosome en trop qu'il réagit comme ça. Souvent elle lui explique que c'est à cause de ce chromosome qu'il n'est pas comme les autres garçons de son âge et qu'à 18 ans il est encore trop sensible. Elle lui a déjà conseillé de s'endurcir pour arrêter de souffrir pour un oui, pour un non. Mais lui, s'endurcir, il ne sait pas comment on fait.Alors c'est sans doute ce maudit chromosome en trop qui fait que cette matinée de Noël ne passe pas.