Une minute rue Saint Denis
macmun
Une minute rue Saint-Denis
03H08 - Rue Saint-Denis - Paris
Une rue déserte, Michel trente-cinq ans. Un DAB, Crédit Agricole.
Une envie. Retirer dix euros, non vingt, bon allez cinquante.
Un voyou, un braquage, un flingue. Une balle dans le crâne.
Pour dix euros, non vingt, ah non cinquante.
4H08 - Michel - Rue Saint-Denis - Paris
On dit qu'on voit la vie défiler devant ses yeux avant de mourir. Moi je n'ai vu qu'une Twingo. A toute allure, sans me remarquer. Puis un clochard, de l'autre côté de la rue. Je crois qu'il a fait semblant de pas me voir. Je lui en veux pas. D'habitude c'est moi qui fais semblant.
J'ai mal au crâne, tellement mal. J'ai l'impression que ma tête va exploser. Que je suis bête, c'est déjà fait. Et c'est ce qui me vaut cet état. J'agonise sur ce trottoir sale depuis une heure. Depuis une heure, je résiste à l'envie de ne pas me laisser partir. Je sais que si je ferme les yeux, je ne les rouvrirai plus. Je résiste donc, avec comme seule motivation l'espoir que les secours viennent me sauver. Mais rien. Juste cette douleur insupportable qui ne fait qu'empirer.
Comment je me suis retrouvé ici ? Besoin d'argent pour demain. Cinquante euros. Cinquante euros, c'est donc ce que ma vie vaut. Cet homme a trouvé juste de me tirer dessus pour cinquante euros. On vit dans un monde dangereux, on ne cesse de le répéter. Et moi, insouciant, je retire de l'argent au milieu de la nuit. Sur le chemin du retour. Ça me prendra deux minutes et je serai tranquille pour demain. C'est ce que je me suis dit. Maintenant, je suis tranquille pour l'éternité. Là où je vais, il n'y a pas besoin d'argent, enfin j'espère. Mon crâne ... que j'ai mal ... c'est insupportable. Des milliers de poignards me strient l'encéphale. J'ai envie d'hurler mais n'y arrive pas. Pas assez de force. J'en viens presque à souhaiter la fin.
De toute façon ils ne viendront plus. Ma vie s'arrête ici, à Paris, rue Saint-Denis. Je trouve ça assez poétique. Pas sûr que ma femme et mes enfants soient de cet avis. J'espère ne pas trop leur manquer. Moi, ils me manquent déjà. Je pense à tous nos projets, la maison qu'on a repérée, la fac pour le grand, les cours de piano pour le petit. Ça sera sans moi tout ça maintenant. J'espère aussi qu'ils se reconstruiront rapidement. Bon pas trop quand même, qu'ils fassent un peu le deuil. Deux ou trois ans, tout au plus...
La douleur commence à s'estomper, pas sûr que ça soit bon signe. Alors c'est comme ça que ça finit ? Je vais laisser mes paupières se fermer, mes vingt-et-un grammes s'évaporer. Point de lumière blanche pour moi. Mais une bleue, clignotante. Le clochard a sûrement prévenu les secours. L'indifférence de mes contemporains ne l'aura pas privé de son humanité finalement. Mais c'est trop tard. Les ambulanciers s'affairent à mes pieds. Ils me parlent mais je n'entends pas. Mon corps me lâche, je ne sens plus rien. Je glisse. Vers les ténèbres ? Vers la lumière ? Un peu des deux sans doute. Ils s'activent comme ils peuvent les pauvres. Mais leurs efforts seront vains. J'aimerais pouvoir leur dire que c'est trop tard, que c'est fini. Je meurs rue Saint-Denis.
4H09 - Michel, mort - Rue Saint-Denis - Paris