UNE MONTRE EN OR

chrisalexandra

Regrets

 UNE MONTRE EN OR

C’était au retour de la messe, un beau dimanche de fin d’été, malgré la chaleur, je portais pour la première fois un panti qui faisait de moi une toute nouvelle jeune fille. Imbue de cette distinction je marchai à pas comptés, les yeux fixés sur le bord de ma jupe d’où dépassait un centimètre de jolie dentelle. Pierre, mon petit frère, essaya de m’entraîner dans son jeu favori, mais il se lassa vite. Faisant mine de conduire, il courait, revenait tournant un volant imaginaire, il clignait d’un oeil : à droite quand il projetait d’aller dans cette direction ou de l’autre oeil quand il voulait bifurquer à gauche. Papa et Maman marchaient juste à côté de moi en devisant tranquillement. J’entendais quelques bribes de leur conversation où il était question de retour de vacances, heure de départ, je pensais que c’était encore tôt pour s’’en préoccuper quand, tout à coup, j’aperçus, éclairée par un rayon de soleil une tâche jaune sale, je m’arrêtai, me penchai et trouvai, enfoncé dans la terre dure, un boîtier. « Papa, criai-je, j’ai trouvé un truc. » Il m’aida à désincruster l’objet de la gangue de terre, le frotta et, dans la paume de sa main le tendit à notre curiosité. Jetant un coup d’’oeil dans son rétroviseur, mon frère avait remarqué qu’il se passait quelque chose, il fit demi-tour et termina sa course en un dérapage contrôlé dans un grand cri de freins. Il ne prit pas le temps de descendre de son bolide pour admirer ma trouvaille mais ouvrit la fenêtre en un tour de main. « C’’est une montre précisa Papa, regardez, voilà des initiales.» En effet, deux « J » étroitement enlacés surmontaient deux prénoms suivis de leurs initiales : Juliette C - Jacques M.

- C’est quoi leur nom Papa ? demanda Pierre qui savait lire depuis peu.

- Je ne sais pas, ils n’auront probablement pas eu la place de les faire graver en entier, répondit-il et, sans plus s’attarder il me donna l’objet. Tiens garde-la, il faudra se renseigner demain, peut être que quelqu’un au village saura à qui elle appartient.

Le lendemain matin, pressée de rendre son bien à celui qui l’aurait perdu et surtout fière de la perspective de contenter cette personne, je filai sans tarder. Papa m’avait suggéré d’interroger les commerçants. Comme le village en comptait trois, le sondage fut très rapide et personne ne m’ayant donné d’indice, désemparée, j’échouai sur le parvis de l’église. Déçue, je tournai et retournai la montre - en or avait remarqué Marie l’épicière. Je cherchais une solution pour sortir de l’impasse où mon enquête se trouvait quand mon frère déboucha dans son bolide sur la place. Pneus qui crissent, dérapage contrôlé, il me lance par la fenêtre : «T’as vu Gustave? » J’avais oublié d’interroger le vieux savetier toujours caché au fond de son échoppe sombre ! Même si d’habitude je n’aimais pas trop m’’attarder près de son antre, je sautai sur mes pieds et me dirigeai d’un pas ferme dans la direction pour me donner du courage. Pierre me doubla par la droite et faillit tomber dans le fossé. Il redressa habilement la trajectoire de son véhicule et continua sa route sans encombre en klaxonnant pour s’’annoncer. Nous arrivâmes près de la caverne de Gustave qui en sortait justement. « Tant mieux, pensai-je, comme ça on n’entrera pas, j’ai trop peur. »

Mon frère freine, se gare, moi je salue Gustave et exhibe ma trouvaille ; « Savez-vous à qui appartient cette montre ? » Gustave la triture de ses grandes mains, il ne met pas longtemps avant de s’exclamer : « Mais c’est la montre de Juliette Capri ! » Ouais ! Gagné ! Je jubile et le presse de questions : « Juliette Capri? Vous la connaissez ? Jacques M ? C’était qui ? » Gustave bourru d’habitude est dans un bon jour, d’un geste de la main il me signifie de me calmer et m’explique :

«  Juliette Capri, c’était notre locataire, elle venait pendant les vacances avec sa nièce, une petite fille, Estelle je crois.

- Et Jacques ? Vous le connaissez ?

- J’sais pas. Il se caresse le menton, je trépigne d’impatience. Y’a la ferme Mignon derrière la forêt là-bas, y zavaient ben un Jacques dans l’’temps, mais quand même je les ai jamais vus ensemble avec la Juliette !

- On va la voir pour lui donner sa montre ?

- Tu sais, la Juliette, on peut pas lui rendre cette montre, elle est pas venue depuis longtemps et sûrement elle reviendra plus. Moi j’ai pas son adresse… si elle vit encore. »

Remarquant mon dépit, en guise de consolation j’imagine, il proposa de nous montrer la maison d’été de Juliette et d’’Estelle. Il partit prendre la clé. Pendant ce temps mon frère s’extirpa de sa voiture de course et la ferma d’un tour de clé. Gustave réapparut à l’autre bout du jardin. Pierre glissa sa main dans la mienne et nous courûmes rejoindre notre guide avec tous les deux la peur au ventre. C’est que le vieil homme de stature imposante, sorti de derrière son comptoir, se révélait encore plus impressionnant! La maison aussi l’était, sombre, fleurant le moisi, les planchers craquant à chaque pas. « Tiens ! Ça me permet de l’aérer un peu cette baraque, remarqua son propriétaire en poussant un volet. Alors les enfants qu’est-ce que vous en dites ? » Ben, on était un peu morts de trouille et on n’en disait pas grand-chose. Ces pièces poussiéreuses, sales même, dénuées de tout romantisme décevaient mes espérances, je ne lui répondis pas car je savais d’instinct que ce n’était pas le genre de commentaire qu’il aurait compris. Apparemment, Gustave n’en savait pas plus que les quelques informations déjà délivrées et comme notre enthousiasme avait considérablement refroidi pendant la visite de l’’horrible maison du savetier, nous rentrâmes très vite chez nous. Pierre en oublia même sa voiture rouge garée devant chez Gustave!

Les années passèrent, nous ne sommes jamais revenus au village. La montre est restée dans mon coffret à bijoux. Souvent je la prenais, la contemplais rêvant d’un grand amour qui me faisait vibrer. Et puis, il y a peu, Pierre me téléphona :

- « Devine comment s’appelle ma collègue de travail ?

- Comment veux-tu que je le sache ?

- Elle s’appelle Estelle Capri !

- Comment ? Tu te rappelles de la montre ? Toi tu te souviens de ce nom ?

- Ben heureusement, Capri, Ford Capri, pardi !

- Ça, c’est bien toi ! Le fondu de bagnoles. Alors, raconte, Estelle, tu lui as parlé?

- Oui, elle est pas la nièce de Juliette mais sa fille.

- Ah ! Et son père c’est qui ?

- A ton avis ?

- Jacques Mignon ? Mais pourquoi Juliette faisait-elle passer la petite pour sa nièce ?

- J’t’explique : Juliette et Jacques s’aimaient éperdument, ils voulaient se marier quand Jacques a été appelé sous les drapeaux, en Algérie. Juliette, restée seule, a donné naissance à la petite mais ne pouvait pas déclarer le père, ça se faisait pas en ce temps-là bref, alors elle faisait croire qu’Estelle était sa nièce. Juliette revenait chaque année près de chez son fiancé pour tenter de s’en rapprocher.

- Ah !

- Un jour, n’ayant plus de nouvelles de lui, elle s’est fait muter en Algérie pour l'y chercher. Elle y est restée. Estelle par contre est revenue en Métropole, elle m’a avoué que chaque année, elle déposait un bouquet au monument aux morts, pour cet homme, un père inconnu, un mari absent dont la veuve n’a pas même retrouvé le corps. »


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