Une nuit

vatomuro

Je finis mon verre, le régla alors que le feu de l'alcool était toujours en train de lécher les parois de ma gorge. Le pas nonchalant, je sortis du vieux bar enfumé pour me retrouver sous la lumière orangée des néons qui empêchaient de voir la nuit constellée de cette soirée de juin. Ils commencèrent à marcher. Les taxis passaient lentement à l'entrée de l'impasse, et le roulis de leurs quatre roues rejoignaient les discussions des bavards sur le trottoir. La ville était comme un chaudron d'élixir en train de bouillir. De tous les pores de ses arcades, de tous les orifices de ses embrasures, de tous les croisements de ses carrefours on pouvait respirer la folle nuit d'été, enivrante, qui ne semblait jamais toucher a son terme. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, l'éternité est entière à ceux qui ne dorment jamais. Les yeux qui tirent, les paupières qui frémissent, la mauvaise haleine qui se fait sentir et les jambes qui accusent les longues déambulations sans but dans les artères de la cité. Et aux murs de celle ci accourent, toujours, les démons et les anges de la nuit, les hybrides de la passion, qui s'enchainent aux tours de garde pour ne jamais partir. Aux poteaux de l'ivresse, se dresse toujours les cierges et les bouquets de volupté. La musique qui émane des coins des ruelles, des piliers de bars, engourdit les tympans et berce le noctambule, dans sa quête de trésors. C'est un chant de sirène qui se fait entendre, toujours plus fort, et qui attire les passants dans le méandre labyrinthique des écoutilles du bateau qui vogue toujours sur l'asphalte. Ce bateau ne s'arrête jamais, et  mouille dans les ports uniquement dans le but d'emmener toujours plus de pirates de la nuit pour sa folle aventure.

Ils marchaient toujours, sans vraiment savoir où ils allaient. Cela ne les préoccupaient pas, ils étaient tellement absorbés par leur discussion qu'ils ne tenaient pas compte du monde alentour. Les flaques par terre n'étaient pas évitées, et après tout, est ce normal qu'il pleuve en juin, par cette chaleur étouffante. Une chaleur qui vous sèche la gorge, et dont seul la délectation d'un breuvage de druide pourrait vous détacher. Mais qu'importe, la pluie apaise et délivre, du joug de la routine qui guette chaque matin, au lever, attendant de ses proies qu'elles tombent dans la monotonie pour les prendre un jour, sans prévenir, et les emporter loin d'ici dans un dévalement abrupt sans retour et sans corde de rappel.

" Serrez vous! Serrez vous ! " hurlait un vieil homme dans un caniveau, complétement bourré, la barbe hirsute, les fringues déchirés, qui sentaient a des kilomètres alentours un cocktail de pluie, d'alcool pas cher et d'impasses sordides. Des Rangers au pied, il titubait, montant sur le trottoir, ou redescendant sur la route, tout en continuant de vociférer ses paroles prophétiques.

" Serrez vous ! Serrez vous! Serrez vous diable! Restez coller pour admirer les feux qui tombent du ciel et qui amènent avec eux les secrets de la nuit! Serrez vous ! Serrez vous pour ne laisser passer que les poudres de cendres qui serviront à éclaircir les esprits" Et, bien qu'il semblait paumé et ivre, dans ses yeux luisaient les lumières de la connaissance, un incendie orbitaire qui crachait une conviction inébranlable. Il était sur de ce qu'il disait. Ce n'était même pas pour lui une question de croyance, ou de position, c'était un fait. Ces dires n'étaient que des faits de vérité générale. J'ai sans doute vu ce soir là l'un des hommes les plus sûr de lui et l'un des plus confiants. La question n'était bien sur pas de savoir si ce qu'il disait était vrai, et puis au fur et a mesure qu'il parlait ses paroles devenaient de plus en plus un ramassis de charabia craché au ciel comme ça, mais la véritable réponse a l'interrogation que posait ce vieil homme, si interrogation il y eu jamais pu avoir, au milieu de la nuit, était dans ses yeux. Ses iris expulsaient toute la rage et la folie d'un homme qui essaye juste de vivre au plus profond de lui les schémas de ses rêves. L'architecture de ces récits est entaché par le revers de l'alcool mais au fond de lui rayonne toujours le but de chacun de ses jours.

La nuit est étrange. C'est un doux poison qui rentre dans vos veines chaque fin de journée, et qui au bout de quelques heures, vous a submergé totalement et vous enveloppe d'une amertume sincère et vous laisse divaguer à la morosité de votre journée passée. C'est un état de non sens. C'est un miroir de l'âme, une réflexion de nos peurs, le terrain de jeux de notre subconscient, qui expose les plus enfouis dessins démoniaques.

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