UNE PERLE RARE… MAIS TROP RARE

Hervé Lénervé

Les limites de l’amour paternel.

Une enfant inestimable, c'est peu de le dire, car outre sa grande beauté, quand elle pleurait ses larmes se transformaient instantanément en perles d'une rare pureté. La famille aurait donc dû être riche à million, elle ne l'était pas pourtant, car la petite avait un caractère enjoué et non enclin au désespoir, ni aux larmes. En fait, l'enfant ne pleurait pratiquement jamais, si bien que les problèmes d'argent des parents étaient récurrents plus que monnaie courante. Boucler les fins de mois était un casse-tête quotidien, non, mensuel plutôt.

Parfois le père qui adorait son enfant unique se désespérait un peu d'avoir eu une fille aussi joyeuse, aussi confiante en la vie, elle ne partageait que des aprioris positifs en l'existence. Quand les temps étaient durs, il se surprenait à avoir des pensées ambivalentes, l'amour de sa gamine se mêlait, dans le même temps, à la tentation de la faire souffrir pour recueillir un petit répit financier. Il savait que le sentiment qui grandissait en lui était injuste à l'outrance, cependant par moment il ne pouvait pas s'empêcher d'en vouloir réellement à son enfant qui détenait à portée des yeux une incroyable richesse et ne daignait pas l'exploiter. Il se disait : « ce n'est quand même rien que de pleurer un petit peu de temps en temps ! » Mais non l'enfant ne pleurait pas. Elle aurait été un garçon, admettons, car on élève les garçons en leur rabâchant qu'il n'est pas honorable pour un homme de tomber dans les pleurnicheries et les simagrées, mais une petite fille ne s'éduque pas dans cette rigueur machiste. Si bien que le géniteur se surprit, lui-même parfois, de tomber dans des mesquineries infâmes. Il disait à sa gamine : «  si tu ne pleures pas un peu, je vais finir par moins t'aimer, ma chérie » La petite s'assombrissait, avait le cœur gros, mais ses yeux qui regardaient son père, essayant de comprendre, restaient secs et aucune perle n'en coulait. Finalement, la seule ombre dans l'esprit de l'enfant était celle de ne savoir, de ne pouvoir aider ses parents, mais tout de suite son ciel s'éclaircissait et revenait le très beau temps, sans qu'il n'y ait eu la pluie de l'orage qui nourrit la terre.

Puis pour assombrir le tableau, la mère tomba malade et mourut d'une courte maladie. Sa fille sur la tombe lâcha une seule larme, puis la source se tarit, l'enfant resta quelques jours maussades, mais ne pleura pas  davantage, si bien que l'argent de sa dernière perle fut rapidement épuisé et les problèmes financiers de la famille réduite ne furent qu'augmentés par le manque des revenus maternels. Le salaire de la mère, si maigre fut-il, manqua cruellement au père qui commença à emprunter pour essayer de se tenir à flot. Or tout le monde sait que l'emprunt n'est jamais la meilleure solution pour se sauver de la noyade, d'autant plus que les seules personnes aptes à prêter aux gens qui n'ont rien, ne sont jamais les plus recommandables. Les délais de remboursement furent prestement dépassés et les usuriers recouvrirent à des moyens plus expéditifs que les tribunaux pour rentrer dans leurs frais. Deux recouvreurs de dettes, genre malfrats plus qu'avocats rappelèrent au père ses obligations à grand coup de barres de fer. Le pauvre hère rentra à la maison dans un triste état, hématomes en surface, migraine en profondeur. Il était aux abois et une bête traquée ne raisonne plus comme une tête raisonnée, elle utilisera tout ce qui reste en son pouvoir pour tenter de sauver sa vie. Appelons cela l'instinct de conservation, de survie, appelons cela comme on voudra bien l'appeler, le fait est que ce père qui adorait sa fille s'en prit à elle, en l'invectivant dans un premier temps, en la secouant énergiquement dans un deuxième, pour finir par la torturer dans énième temps que l'on ne compta pas dans cette escalade du sadisme, cette spirale de la folie. Reprit-il ses esprits devant le corps inanimé de son enfant, nul ne serait le dire, le seul fait marquant était qu'il versa toutes les larmes de son corps sur celui de sa fille qui n'en avait pas versé une seule.

 

Appelons encore cela, puisqu'il faut, sans cesse, tout appeler par un nom, le remake du conte de la poule aux œufs d'or.

Signaler ce texte