Une poutre en béton sur l'humanité

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On est mercredi. En France. Tout va bien. Les réseaux sociaux laissent des portes entrouvertes. J'ai regardé à l'intérieur de la pièce. Mes yeux ont hurlé. J'espère qu'il s'en sortira.

Tu es sur Facebook. Des images défilent. Je regarde celles de Syria Charity. Ça ne demande pas d'autorisation, ou de clic de ma part. Ça part, et je pars avec. Je pars en Syrie, au milieu du chaos à Alep. Je vois des hommes qui pleurent sur une montagne de ruines. L'un pleure car sa maison s'est écroulée. À côté, il pleure car sa famille est sous les gravats. Dessous là. Juste là. Étouffée par ces pierres, ce béton, ces tonnes de béton. Plus loin, quelques enfants sous la poussière blanche sont évacués. Et tout près de nous, il y a cet enfant, dont la tête est écrasée par une poutre de béton, il tend les bras, remue les jambes, pour qu'on l'aide.

Mon esprit s'arrête, sonné. Ma main fait stop. Je clique. Je reviens en France, dans notre appartement de la banlieue lyonnaise, au 6ème étage. Que je n'ai jamais quitté au fond, je sais bien. Ni le silence, ni la quiétude. Les drames sont faciles à vivre derrière son ordi.

Je ne m'en remets pas. Je pleure, j'ai honte, je suis en colère contre nos gouvernements qui rajoutent des bombes, de l'horreur à l'horreur déjà imposée par Bachar Al-Assad depuis si longtemps. Je suis malade de cette indifférence. Un peuple meurt, à petit feu. On évoque l'histoire, on commémore, on brandit des médailles, des drapeaux. On lit des discours pour la paix, la solidarité, l'amour. Le plus-jamais. Et là, un peuple est assassiné, depuis plus de cinq ans. Et nos dirigeants ne font rien. Ah si, ils mettent en place des textes pour protéger leurs barrières dorées, pour décourager les désespérés qui n'ont plus rien à perdre. Les personnes qui viendraient en aide aux migrants de la Méditerrannée peuvent même être poursuivies! Elle est pas belle, l'Europe?

L'image reste dans ma tête. Est-il vivant? Chaque soir, depuis plusieurs mois, je pense à eux. Chaque nouvelle me tue. Que ça vienne de Syrie, ou de la mer. J'y pense et ça me hante. Mais après? Je sais la chance que j'ai de dormir au chaud, à l'abri. Je suis mal placée pour évoquer tout ça. En tant qu'occidentale. J'ai même honte de l'écrire, et je doute de le publier une minute sur deux. J'ai déjà pensé un millier de fois partir, faire quelque chose, demander un peu de temps à mon compagnon et à mon petit garçon. Parce qu'il faut que je fasse quelque chose. Qu'est-ce que je peux faire? Qu'est-ce que je peux faire? Est-ce que c'est une prison que j'ai aussi dans la tête? Est-ce que je m'invente pas des excuses pour pas agir? J'imagine comment ce serait perçu par nos familles. Qui garderait mon fils? Une excuse encore?

Je tente de faire ma part de là où je suis, avec mes petits moyens, je donne des sous à des asso pour eux, dont la dernière : Free Syria Lyon, des gens pleins de simplicité, et de bonne volonté qu'on a rencontrés. La première : British Red Cross, quand je vivais encore en Angleterre. J'ai invité des contacts à en faire autant avec l'asso MOAS (Migrant Offshore Aid Station) notamment. Je suis rassurée quand je vois des amies qui sont aussi affectées que moi par ce drame syrien. J'ai l'impression que l'indifférence a déjà tellement gagné. Alors ces coups de gueule des gens que ça touche, ça me fait un peu de bien, ça me réchauffe. Partager la douleur et se sentir moins seule. Parfois j'aimerais croire que ce sont de fausses vidéos, que tout cela n'est que faux. Sinon, beaucoup se seraient levés contre cela, et les hommes de pouvoir auraient agi. Il y a cinq ans, un réfugié kurde syrien figurait sur mon blog "Mots couchés pour vies debout". Il me racontait les tortures, les noms qui changeaient dans les prisons, et les familles contraintes d'enterrer leurs proches assassinés. Aujourd'hui, tout s'est accumulé, multiplié. Et la poussière blanche, mêlée au sang, n'en finit pas de s'abattre sur ce peuple.

Partager ces mots, ces pensées, c'est du poids en moins. Ça évite de devenir fou. C'est peut-être aussi pour alléger ma belle nuit d'occidentale. Mais si je me réveille en pleine nuit, je penserai à cet enfant, dont la tête est écrasée par la poutre. Finalement, quand je vois les réactions de la communauté internationale, c'est à se demander si ce n'est pas une poutre de béton qui s'est déjà couchée sur notre propre humanité.

"Les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts".

Virginie

  • Notre sentiment d'impuissance, peut être une excuse, mais je ne sais pas où commencer. Moi c'est trois petits garçons sur lesquels je dois veiller, mais je suis aussi responsable du monde que je leur transmet. Je n'ai pas l'esprit assez large pour le changer, j'espère que eux l'auront.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Merci pour votre message! C'est vrai, on ne sait pas par où commencer. Mais il ne faut pas commencer par se dévaloriser, croyez en vous! :-) Vous avez l'esprit plus ouvert que beaucoup d'autres. Et même avec l'esprit le plus large, peut-on changer le monde? L'important, c'est ce que vous faites, tous les jours, des petits pas, des paroles, de l'écoute auprès de vos garçons. Être attentive au monde qui nous entoure, aux textes des autres, à leurs messages, montrer de la bienveillance, c'est déjà tellement grand, Carouille! Plein de bonheur à vous, pour tous ceux que vous aimez. Et merci encore. :-)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Photocooldanslesarbres

      la-vie-est-si-courte-et

    • Merci à vous pour votre texte, sa sincérité m'a touchée. Et oui, des petits pas tous les jours, c'est ce que je m'efforce de faire ; ))

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

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