Une putain de petite apocalypse.

bertrandb

Billet d’humeur du 19.08.2012, jeté entre 4 et 6 heures du matin. Montabon, CôteD’Or.

  

    Si tout va bien, ne le montre pas trop, le Destin pourrait s’en apercevoir.
                          Leslie Palant
, au détour d’une conversation.

On nous vend, on nous sur-vend même, la Fin du Monde. Et ce, depuis que l’on garde une trace des histoires inventées par notre race, et je parle bien de l’humaine dans son ensemble.

La Fin du Monde, la grande, avec des majuscules, à toujours été prévue. Tout le monde le sait. La dernière tendance météo serait même pour le 20.12.2012.

Et évidemment, il s’agira d’un cataclysme gigantesque. Fait d’eau, d’air, de terre ou de feu, on n'a que l’embarras du choix. Tsunamis cyclopéens, explosions volcaniques, tremblements de terre, rave-party de plaques tectoniques, bref, depuis le Déluge, je crois qu’on a dressé la liste des possibles unhappy endings grand format et les scénaristes en ont fait leur beurre.

D'autres pistes, plus créatives et moins radicales pour les autres, les lapins et les fourmis n’ayant pas à payer nos conneries (puisqu’évidemment, tout ceci est de notre faute à nous, les pensants et les pécheurs envers Dieu ou Dame Nature) proposent de faire le job sans trop abîmer la déco d’origine. Par exemple, un virus qui infecterai la planète entière, transformant l’ensemble des habitants du globe en zombies. Ou les forçant à se suicider (rendons à Mr. Night Shyamalan ce qui est à lui). Moins sophistiquée encore, et plus rapide, une simple et efficace épidémie qui tue, dévaste, ravage et génocide en quelques semaines serait de bon ton. Inutile je crois de faire ici la liste exhaustive de la débauche créative que le sujet implique chez les conteurs d’histoires, vous voyez tous de quoi je parle. Du coup, je ne m’étendrai pas non plus sur l’autre grande idée, l’invasion des extraterrestres, qui nous massacreraient en masse, proprement, à grand coups de rayons lasers et de fulguro-poings.

Bref, finalement, on est toujours dans le spectaculaire, le grandiose, le titanesque. Et aussi dans le rapide, le global, le communautaire, l’universel. La race humaine aurait donc, même dans une disparition qui forcerait l’humilité, l’orgueil de se croire d’importance ? Mérite-t-elle une telle débauche de moyens ?

Alors, admettons pour quelques lignes que la Fin du Monde va bien nous tomber sur le coin du nez, comme un pavé dans la tête d’un flic en ’68, aurait dit mon défunt père (19.08.1952 – 02.03.2012). Et, tant qu'on y est, admettons que cela soit pour le 20 décembre 2012. Pourtant, je suis déjà bloqué par le jeu d’écriture. 20.12 = 2012. Comme si l’Univers, Dieu ou Dame Nature mesurait le temps à l’aide d’un calendrier humain, le Grégorien de surcroît, en omettant, bien sûr, de prendre en compte les modifications arbitraires subies par ce dernier, comme le petit réajustement au sortir du Julien. Et en oubliant, évidemment, les autres calendriers toujours en cours sur notre planète. Pour ceux qui en veulent plus, tournez vous vers la lecture du Pendule de Foucault, d’Umberto Eco, on y trouve quelques merveilles pamphlétiques sur la numérologie.

D'ailleurs, ça me fait penser… si le maya préposé au sculptage des calendriers, il y a 4000 ans, n’avait juste plus de place pour continuer au-delà de cette date fatidique ? Mais voilà, admettons. Admettons que la Fin du Monde arrive.

J’admets, mais je ne vais pas avoir l’orgueil d’imaginer que la puissance supérieure (Jéhovah, Shiva, Gaïa, ou pourquoi pas les forces des ténèèèèbres ou les petits hommes gris, à votre bon plaisir) mette les petits plats dans les grands pour s’occuper de nous.

Maintenant que vous êtes prévenus, allons-y pour une bonne vieille métaphore. Imaginez un instant que vous possédez un aquarium. Un raisonnable, de 100 litres. De l’eau saumâtre, une dizaine de guppys, six mollys, quelques poissons nettoyeurs, ancistrus et corydoras. Bref, une population pile poil ajustée pour le format. Votre pote aquariophile convaincu et fanatique lèverait les mains au ciel, crierait alerte et ferait des ronds autour de vous s’il vous voyait y rajouter des individus, qui rompraient l’équilibre et les règles de survie. Se passent alors quelques mois, quelques années, et votre petit monde grandit. Il est même si idyllique que vos ouailles se multiplient et se reproduisent, comme ils sont programmés pour le faire. Et à un certain stade, la quantité d’individus dans la grande boîte plein de flotte devient critique, justement.

Vous l’avez compris, bravo, l’aquarium, c’est notre logis, la Planète Bleue. Maintenant qu’on a planté le décor, plusieurs options de Fin du Monde s’offrent alors à nous.

Dans la première, Dieu, c’est vous. Pour une raison qui vous regarde, vous souhaitez vous débarrasser de tout ce petit monde. L’aquarium vous coûte trop d’argent, ne colle plus avec votre déco, vous partez trop souvent en voyage ou vous voulez changer pour un modèle d’eau de mer. Bref, il faut vous débarrasser d’abord des poissons. Allez-vous lever, avec vos petits bras musclés, cette masse supérieure à 100kgs (1 l = 1 kg pour ceux qui dormaient à l’école, plus la masse de verre, de colle et divers ustensiles nécessaire jusque là à la survie de ce petit univers) pour aller la baller dans le canal le plus proche, avant de vous inscrire au club d’haltérophilie local ? Ça, c’est la solution cataclysmique. La dépense d’énergie serait démesurée.

Dans la seconde, vous êtes toujours Dieu, et vous pourriez aussi patiemment récupérer vos poissons un par un, à l’épuisette, les mettre dans un seau, et les donner ou les vendre à qui le veut. Sauf que, c’est là la limite de ma métaphore (j’aurai sûrement dû en trouver une autre, mais trop tard, c’est écrit), je n’ai pas vraiment idée d’où on pourrait nous déplacer, nous, vu que Mars n’est pas propre et qu’on se les pèle sur Pluton. Et ça impliquerait du Créateur un sacré investissement, moins physique cette fois, mais néanmoins chronophage. Pour le coup, c’est la solution qui fait dans le sentimental, puisqu’on n’arrive pas à buter ses petits ex-protégés, si inutiles et casse-couilles soient-ils. Le Grand Sauvetage, le Jugement Dernier.

Pour la troisième, vous êtes Dieu ou Dame Nature, vous n’avez pas que ça à foutre, vous vous cognez de vos poiscailles, et n’avez pas peur d’avoir des écailles sur les mains, pourvu que ça aille vite. Une goute d’acide citrique. Une seule. En une heure, vos poissons, c’est de la viande froide, si je peux me permettre. Ça, on dirait bien que c’est la solution épidémie.

Enfin, la dernière. Vous êtes ou n’êtes pas Dieu, peu importe, mais vous ne faites rien et laissez bosser Dame nature, le Grand équilibre. Plus de bouffe, plus d’intérêt, vous attendez. C’est Nietzschéen, pour le coup. Et là, vos poissons vont souffrir de la surpopulation, se bouffer entre eux, crever la dalle, perdre leurs valeurs, leur croyance en vous s’ils en avaient une. Et tout ça, ça va lentement dégénérer dans la sinistrose. Et tout le monde va se laisser crever un par un. Sans espoir d’un mieux. Merde, ça ressemble vachement à chez nous, maintenant. Et ça n’a rien de spectaculaire, pas de gerbes de feu ni de tsunamis. Tout cela va-t-il s’autoréguler jusqu’à retrouver un nouvel équilibre ? Ou pas ? Ou un merveilleux néant ?

Je laisse la question ouverte.

Revenons à notre année 2012. Revenons au ressenti et au concret. Et là, je vais vraiment m’exprimer à titre personnel. Que n’ai-je entendu depuis quelques mois que « 2012 c’est la pire année de ma vie », que « 2012, c'est l'année de la Loose ». Depuis le premier janvier, ma vie, celle de mes proches, de mon entourage direct, et même indirect n’est ponctuée que de maladies, de décès, de ruptures douloureuses, de désillusions cruelles de la nature humaine, de trahisons, de chômage, … je ne m’enfonce pas plus loin, vous avez compris.Tout ce qui donne goût à la vie d’humain semble partir en lambeaux. Personne n'est épargné. Et ceux qui semblaient l’être sont rattrapés par le sort, au moment le moins attendu. Souvent, même, avec une cruauté écœurante, à l’aube de ce qui devait être le bonheur de leur vie. On en serait à avoir peur que tout se passe trop bien dans une relation, un projet, un quotidien, de peur que cela attire sur nous la pire des foudres. Alors, peut-être que je suis juste engoncé dans une zone de pas-de-bol, ou défaitiste ? Mais… et si c’était partout comme ça ?

Et dois-je aller, pour étayer mon propose, jusqu’à pointer du doigt les dérives sociétales, individualistes, technologiques ? Vous m’avez sûrement compris, et peut-être même fait certains liens avec toutes les prophéties catastrophistes, qui révèlent plus ou moins clairement, les augures et les signes que la Fin... commence.

Alors évidemment, vous allez me dire, rien de tout ceci n’est nouveau sur le fond. C’est alarmiste, dépressif. Vous allez même me répondre, c’est la vie, c’est la nature humaine, les drames humains ont toujours été. Certes. Mais ce qui m’interpelle, c’en est la quantité grandissante. La quantité de souffrance au mètre carré qui m’entoure, qui ne se semble pas vouloir s’arrêter et qui se répand comme une traînée de poudre. Presque personne autour de moi, et cette année n’est pas terminée, ne peut me dire ne pas avoir passé un des pires moments de sa vie dans les mois écoulés estampillés 2012. Sans ajouter à cela la sensation de dérive de nos civilisations, leur lente déchéance.

Alors, et si c’était ça La Fin du Monde  ? Une toute petite, rampante, pas du tout spectaculaire, apocalypse ? Une apocalypse qui ne serait pas, tel que l’on pourrait le croire, une rapide attaque cardiaque, mais, au contraire, une lente dégénérescence cancéreuse ? Une apocalypse de merde, toute molle, une fin de l’esprit, et surtout une fin de l’espoir ? A se dire, pour une vie de merde comme ça, à quoi ça sert d'avancer ? De tomber, un par un, comme des mouches, de perdre tout goût à l’avenir ? De croire que l’on ne va que vers une lente et triste dégénérescence ? Que les lendemains qui chantent, c’est fini ? De se dire, que le mec qui a acheté l’aquarium n’en a plus rien à foutre de nous…

Alors si, arrivé à ce stade dans ce texte, ami lecteur, tu as envie de me prouver que j’ai tort, je t’en supplie. Fais-le.

Personne ne bouge ?

Alors je vais devoir essayer de me sauver tout seul. Parce qu’il est important de ne pas en rester là sur ce raisonnement. S’il y un point commun à tous les scénarios catastrophistes que l’homme a imaginé, un point commun que partagent nombre de races animales - car nous en somme une - c’est l’instinct de survie.

C’est de savoir passer au travers du filet. Tel le virus qui devient résistant au vaccin et dont quelques individus se multiplient, se reproduisent, et retrouvent un équilibre.

Dans tous les films catastrophes, il y a toujours une poignée de survivants, de battants, qui s’en sortent. Et le générique de fin n’apparaît jamais sur un échec total. Alors si même les humains, qui ont inventés les catastrophes et qui en sont sûrement la cause, ont l’espoir, dans les contes et les histoires, de penser que l’on peut y échapper, y survivre, ils ont forcément raison.

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