Une révélation

Jean Marc Kerviche

Une surprise qu'on attendait pas...


Par un fait du hasard, Daniel apprenait par un de ses cousins que son oncle Antoine venait de décéder et que ses obsèques étaient fixées un 28 juin.

N'ayant rien de particulièrement important à faire le jour de la cérémonie, il reporta tous ses rendez-vous à une date ultérieure et décida de s'y rendre. Un aller-retour Paris-Vannes dans la journée par autoroute n'était pas ce qui lui faisait peur.

Cela faisait si longtemps qu'il ne s'était pas rendu auprès des siens, une bonne vingtaine d'années pour être précis, et cet évènement si particulier se présentait comme une occasion de revoir la famille de son oncle auprès de laquelle il avait passé des moments privilégiés au temps béni de l'enfance insouciante entouré de ses cousines. Revoir l'endroit de sa jeunesse, renouer avec les siens afin de se ressourcer, et ce, même si son oncle n'était plus de ce monde pour l'accueillir.

Il partit très tôt le matin, empruntant l'autoroute pour se retrouver au bout de deux heures de trajet bloqué sur plus de deux kilomètres par un carambolage. Le temps de se dégager de cet embouteillage monstre et il reprenait la route. Seulement l'avance qui lui aurait permis de voir les siens avant la cérémonie avait expiré. Et encore heureux qu'il avait prévu d'arriver avec une avance confortable car lorsqu'il parvint au terme de son parcours dans la bourgade où la cérémonie devait se produire, l'office religieux précédant l'inhumation était déjà bien avancé quand il se présenta devant l'église.

L'affluence était telle que, tout le monde n'ayant pu y pénétrer, une foule compacte se pressait devant l'entrée principale. Daniel ne pouvait se permettre d'entrer sans gêner la multitude de gens qui s'agglutinaient sous le porche. Une idée lui vint alors. Sachant qu'il existait une porte sur le côté du transept gauche, une porte par laquelle il passait quand il était enfant, il s'y précipita.

                En effet, la porte n'était pas fermée, il pénétra dans le croisillon et se glissa entre les personnes déjà en place. Mais ne pouvant s'avancer vers sa famille, toutes les places étant occupées, il avisa un espace libre en retrait pour ne pas déranger davantage l'assistance, et de l'endroit où il se trouvait, il pouvait observer sa tante et les deux filles de son oncle. Ses cousines germaines avec qui il jouait étant enfant, en larmes prostrées devant le cercueil de leur père.

                L'atmosphère était lourde, pesante comme dans tous ces cérémonies précédant les inhumations. Les prières, l'oraison du curé, les actions de grâce, les déclarations des proches vantant les mérites du disparu, tout y passa puis, l'office achevé, le curé libéra l'assemblée et les porteurs enlevèrent le cercueil pour le conduire hors de l'Eglise par la travée centrale de la nef.

                Daniel ne pouvait rester en place. Il lui fallait se manifester et retrouver sa famille. Se rapprocher de sa tante et de ses cousines pour leur apporter son soutien et partager leur peine, mais il lui était impossible de se joindre à elles sans bousculer le flot des fidèles qui se pressait à leur suite, tant et si bien qu'il abandonna sa quête et se dirigea vers la porte par laquelle il était entré.

                Mais la pluie s'étant invitée pendant l'office, des trombes d'eau empêchaient l'assemblée de sortir. Des rafales de vent rabattaient par vagues l'eau du ciel sur les chaussures et les bas de pantalons. Impossible donc de sortir avant une accalmie. Etant sans parapluie, Daniel demanda à quelqu'un de l'abriter pour une fois dehors se précipiter vers sa voiture, laquelle évidemment était éloignée de l'église… oui, l'affluence était telle qu'il n'avait pu se garer plus près.

                Ayant récupéré non sans mal son parapluie qui s'était glissé sous un siège, il se lança dans la poursuite du cortège déjà en marche vers le cimetière.

                La pluie redoublait en intensité. Il s'inséra dans la file du cortège, sans cependant pouvoir remonter plus avant tant les gens se serraient les coudes. Il se cala donc entre un groupe de personnes qui conversaient entre elles.

                Des bribes de conversation lui parvenaient aux oreilles...

                … Il écoute distraitement… et soudainement il réalise qu'on parle de son oncle, de ses rapports avec ses voisins et les gens du village. Sont évoquées son humanité, sa gentillesse… puis la conversation prend une tournure différente sur ton plus égrillard, plus licencieux. On se remémore sans gêne les rapports qu'il entretenait avec les femmes.

                - Un chaud lapin… enchérit l'un.

                - Ah ça, tu peux le dire… répond un autre.

                Daniel n'imagine pas que l'on puisse parler de son oncle en ces termes, son cher oncle décrit de la sorte. Il se rapproche d'eux subrepticement dissimulé sous son parapluie pour en apprendre davantage. Aucun ne parait embarrassé par la tournure de leurs échanges et lui persiste à écouter discrètement leurs propos sans mot dire. La discussion se poursuit de plus belle :

                - Tu te souviens de cette histoire avec une de ses belles-sœurs, la femme de Lucien, et ce scandale dans la famille étouffé par le départ du frère embarquant sa femme à Paris.

                - Oh, mais c'est vieux tout ça !

                - Oui, mais en attendant un gosse est né et celui qui l'a élevé n'est pas le père…

                Là-dessus, une voix s'élève :

                - Comment ça ?

                - Ben oui, Antoine est le père d'un de ses neveux. T'es pas au courant ?

                - Je savais seulement qu'il fricotait avec la femme d'un de ses frères pendant que celui-ci était prisonnier en Allemagne… mais j'en savais pas plus…

                - Ah ben, t'es bien le seul… ici tout le monde est au courant…

                Et se sentant en verve, ce dernier ne peut s'empêcher d'en rajouter.

                - Oui, d'ailleurs un enfant est né, et le père, enfin celui qui l'a élevé, Lucien, est rentré de captivité juste à temps pour reconnaître le gosse, enfin quand je dis juste à temps, pour arranger les choses on a prétendu que le gosse était prématuré.

                - Non !... Et le gosse, tu l'as déjà vu ? On le connait ? C'est qui ?

                - Quelqu'un qui ne vient jamais par ici…

                - Et Lucien… t'as des nouvelles ?

                - Il est mort il y a quelques années. Il ne venait plus par chez nous depuis cette histoire…

                Daniel accuse le coup. Abasourdi, il ne sait plus quoi penser. Néanmoins il continue à marcher tel un automate vers ce cimetière de campagne où l'on va, aujourd'hui même, il vient à peine de le réaliser, enterrer son père…




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