Une Vie
annah
Il regarde le soleil se coucher derriere les montagnes violettes de la Djurdjada, c’est l’hiver et à 5 h il commence à faire nuit, il prend une cigarette et l’allume . .Presque sans y penser , il sort des photos de son portefeuille.
D’abord une photo en noir et blanc,des années cinquante : on y voit un garçon tenant dans ses bras ,un petit chien noir et blanc et une dame d’une quarantaine d’ année, avec une robe noire et blanche qui le tient par l’épaule.Au dos, une inscription :Vichy, Juillet 1950.
Le garçon , c’est lui : Alex,il a 10 ans, il est avec sa mére en cure à Vichy à cause de son foie fragile,c’est son pére venu les rejoindre, qui a pris la photo. Une image des jours heureux,.
iI habite L.,un bourg du Vaucluse. Son pére est “expéditeur de fruits et légumes”. La région produit des tomates ,des melons, des pêches et des abricots qui vont rejoindre le marché national de Cavaillon pour être envoyés dans la France entiére.
Sa mére ne travaille pas. Elle reste à la maison, et fait de la couture ou du tricot avec ses amies.
Il est enfant unique , tout comme son pére et sa mére,histoire de ne pas diviser les propriétes.Ses parents ont eu beaucoup de peine à l’avoir et ils ne sont plus trés jeunes.Il en est d’ autant plus choyé.C’est une trés vieille famille du village ,trés estimée
.
Il regrette un peu de ne pas avoir de frére ou de soeur, mais il s’est fait une raison et adore les animaux: le petit chien,noir et blanc, qu’il tient dans ses bras, s’appelle Filou. C’est un Setter anglais qu’il a eu pour son anniversaire ;.son chien va grandir et il ira à la chasse avec lui.
Il aime aller chasser avec son pére,l’hiver ,dans la plaine du rhône au petit matin. La terre gelée craque sous leurs pas, ils sont silencieux, le chien devant euxzigzague revient sur ses pas , s’agite et puis marque l’arrêt ,une patte en l’air, son pere fait un signe de la tête, le gibier s’envole, son pére tire, le chien se précipite et ramène le gibier en souriant,dirait -on.
Lui, attend avec impatience d’ avoir 16 ans pour passer le permis et avoir un fusil.Dans le village, la plupart des hommes chassent, pêchent et jouent à la pétanque, et vont boire l’apéro chez “ Cigalon”,le café du village.
Il joue aux “dinky toys” avec Serge ,le fils de la marchande de journaux et Bernard , le fils du garagiste,.Au foot, il est ailier droit . IIl embête les filles à la récré surtout celles qui lui plaisent bien,Il fait la course en vélo avec ses copains,en se prenant pour Fausto Copi, le vainqueur du tour de France.
Pour sa communion solennelle,son pére lui a promis une bicyclette à 6 vitesses.il l’a déjà choisie sur le catalogue “Manufrance”.
Il est aussi trés gourmand et le dimanche ,il se régale avec les babas au rhum ou les religieuses au café que sa mére achète chez Escoffier, le boulanger.
il aime aussi trainer dans le hangar ou les femmes préparent les cageots de tomates ou de melon, elles discutent et ne font pas attention à lui,il écoute leurs conversations et apprend ainsi que la femme du buraliste a un nouvel amant,ou que Madame Roche,la pauvre, a un cancer.
La seule chose qu’il déteste, c’est l’ecole.Il n’aime pas rester assis longtemps sans bouger, il est vite distrait et n’écoute pas la maitresse et il a du mal à écrire proprement à l’encre avec les plumes “sergent major”.
Ses parents ne sont pas inquiets: son avenir est tout tracé, il reprendra l’entreprise familiale. Aprés tout son pére n’a que le certificat d’ études et pour les affaires il se débrouille trés bien.
Sur la photo suivante, il vient d’avoir 20 ans,il est grand, , un peu rond ,les cheveux bouclés ,de grands yeux noirs , le teint mat, il est attablé au bar”le Cigalon” sur le cours ,à l’ombre des platanes.
Avec ses copains, il fête le conseil de révision.Ils sont bons pour le service.
Serge prend la photo. Lui, le verre de Pastis à la main, trinque avec Bernard.Ils sont hilares. La 4cv de Serge,est garée devant eux : ce soir ils iront à la fête votive de Pont Saint Esprit, tirer à la carabine et lever les filles.
Aprés les choses sérieuses commenceront, d’abord” les trois jours” à Tarascon, avant d’ avoir leur affectation.Sauf Serge, il veut être prof ,il fait des études il est sursitaire..
Ses parents sont inquiets, il y a la guerre en Algérie et même si le service est passé à 24 mois, le village tremble de voir partir les jeunes là-bas, défendre “les colons”qui ont fait fortune sur le dos des arabes, disent-ils!
’Algérie française ,ils s’en moquent: tout ce qu’ils voient c’est que les fils Maurel, Guiguiletti,Palermo et même Pascal,le fils du maire sont revenus de là- bas les pieds devant !
Sa mére pleure tous les jours, son pére s’ énerve: il a vu le député: Alex n’ira pas en Algérie.
Pour l’heure, ce qui le préoccupe, c’est Anne-Marie, sa presque”fiancée”qu’il va falloir laisser. Il sort avec elle, depuis la fête votive de l’an passé ou dans le noir,aprés un tour d’ auto- tampon, il a osé l’embrasser,et contrairement à ce qu’il redoutait, elle ne l’a pas repoussé... Il est timide.Pour faire comme les autres , il fanfaronnait, se vantait, mais il n’arrivait pas à se décider.Au cinéma ,il se mettait bien à coté d’une fille ,mais il n’arrivait pas comme les autres à l’embrasser et à lui mettre la main dans la culotte..
.Anne-Marie, c’est une jolie brune ,bien en chair, réservée,il la connait depuis la maternelle.Il aime son odeur ,ses longs cheveux,ses seins moelleux.
il se sent bien avec elle, il l’emmene se promener dans la campagne, il lui montre les coins qu’il aime ,les endroits ou il chasse, les oiseaux , et elle a l’air de l’ apprécier. Elle est vendeuse et il va la chercher à la sortie de la boutique le soir et la raccompagne sur sa Vespa.
La perspective de la laisser l’attriste, mais en même temps ,quitter le village a pour lui ,un parfum d’ aventure et puis ,il pense que s’il n’est pas loin,il aura des permissions et il pourra venir la voir.Aprés quand il rentrera ,il l’épousera.
Sur la photo en noir et blanc, la tête penchée de coté, elle lui sourit...
Pour ses classes ,il a été affecté dans l’armée de l’air ,à la base d’ Orange.
Il etait content, d’habitude ceux qui vont en Algerie, vont plutôt à Marseille.
Mais il s’’était réjoui trop tôt,le piston n’a pas du être assez gros,en decembre 1960
il s’etait retrouve dans un avant-poste au coeur de la Kabylie ,dans la Wylaya de Tizi-Ouzou .
. Pour Pâques de l’année suivante,il a eu une permission de 15 jours ...le retour a été déchirant:sa mére voulait se mettre sur les voies pour emêcher le train de partir,Anne-Marie pleurait et lui jurait qu’elle l’attendrait,qu elle l’aimait, il avait les larmes aux yeux...Son pére silencieux, l’ a serré dans ses bras.
Maintenant il se trouve au milieu de nulle part, il sera libérable en Juillet 1962, encore 7 mois à attendre, à mourir d’ ennui et de trouille .
Il est dans un régiment de Harkis et il se demande ce qu’ils pensent des français qui font la guerre aux Algériens.!..Quand il est arrivé en Algérie ,il a tout de suite compris qu’ils occupaient un pays étranger.
Les rebelles ,les felleghas, ils ne les voient jamais ,sauf morts.
Régulierement ,ils font des expéditions dans des villages misérables ou il n’y a que des vieux,des femmes et des enfants, craintifs et tristes..et leurs regards lui font détourner les yeux.
Il a honte du comportement de ses collègues soldats, de leur racisme, encouragé par les sous-officiers,de leur violence,il a conscience de l’absurdité de cette guerre.
Les expéditions de nuit le terrorisent, 40 kgs sur le dos à crapahuter dans des collines arides et abruptes, sous la lueur de la lune.
Chaque buisson est un agresseur potentiel, il faut avoir les nerfs solides, et lui ne les a pas il serre les dents ,au bord de la panique.L’autre fois, il a arrosé un rocher avec son PM, les autres ont gueulé, il s’est fait traité de tapette!
Et puis il y a les morts, les français et les algériens.
Au début, il était terrifié, maintenant il est indifférent, coupé de ses émotions, mais des images de cauchemar lui reviennent toutes les nuits.
Pendant sa derniére permission , il y a 2 mois, il a demandé à son copain Serge de lui casser la clavicule avec une planche et un marteau pour ne pas revenir en Algérie ,mais ils n’y sont pas arrivés, il a eu juste un gros bleu et a du reprendre le bateau,un vieux raffiot ou tout le monde dégeulait à cause de la tempête.
Sa mére lui envoit des colis et lui écrit toutes les semaines, mais le courrier suit difficilement..
Il reçoit.des lettres d’ Anne-Marie , elle lui parle de la vie au village, de ses copains , des fêtes votives, de sa copine Solange qui s’est fiancée...Cela lui semblent tellement loin et futile..Il passe des heures à essayer d’ écrire ce qu’il ressent, mais les mots lui manquent... Phillippe,Le sous -lieut de sa section,, un instituteur dans le civil,a perçu sa détresse,il l’a pris en amitié, et l’aide pour ses lettres et bientôt il se sent plus proche de lui que d’Anne- Marie! Il est le seul à qui il peut parler de la guerre, et c’est un communiste, un de ceux que ses parents appelaient avec haine “les cocos”.
Souvent, lorsqu’il est seul ,il lui arrive de pleurer.il n’a pas le coeur à picoler, fumer, jouer à la belote,.il fume ses cigarettes tout seul.
La semaine derniere , une section du régiment s’est fait allumer dans un défilé, 2 morts et 3 blessés ,l’hélico est venu les chercher..
Il essaye de penser à Anne- Marie, mais son image est de plus en plus floue, il regarde sa photo, mais il ne sait plus s’il l’aime vraiment,La guerre a fait vaciller toute ses certitudes.
Avant, son avenir lui paraissait facile: travailler chez son pére , se marier, avoir des enfants, aller à la pêche ,à la chasse avec les copains,jouer aux les boules ......Maintenant, il ne sait plus, il a peur de devenir dingue , parfois ,il regarde son fusil et se dit que peut-être ce serait le plus simple...
La cigarette s’est consumeé,il l’écrase sous son pied; il soupire.se donne du courage:”allez Alex” plus que 7 mois à tirer !
Dans le cimetiere ,:au bout de l’allée de cyprés, à gauche, il y a une tombe avec une photo sur une plaque émaillée, un jeune homme, , les cheveux bouclés.,les yeux légerement en amandes sourit . un texte est gravé:sur la pierre:
Alex Boyer
13 juin 1940- 27Janvier 1962
A notre fils cheri
Mort pour la france
le 27 Janvier 1962.
En Kabylie
Regrets éternels.
Le 18 Mars 1962, les accords d’ Evian étaient signés,
La guerre d'Algérie était finie.
.
Très fort, prenant, humain, et authentique. Merci.
· Il y a environ 12 ans ·mahaut-dorsay