Une vie compliquée

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                                      Une vie compliquée

Voilà bien le problème quand on mène une double vie : c’est compliqué ; au moins deux fois plus compliqué qu’une vie ordinaire.

Et s’il ne menait qu’une double vie encore, ce serait simple, mais il en mène deux, sinon trois ; alors, c’est combien de fois plus compliqué, dans ce cas ?

Deux fois deux, ça fait quatre, mais deux fois quatre ?

Huit, tout juste, mon petit lapin, tu es tombé pile ! Ta vie est huit fois plus compliquée qu’une vie normale. Au moins !

C’est ce que se disait Jean Claude Génot, un quadragénaire de taille moyenne mais à l’allure sportive, l’air décidé, le cheveu ras, au volant d’une berline familiale semblable à beaucoup d’autres, en ce jour de départ en vacances. Ses traits burinés lui donnaient  une apparence de force presque brutale, tempérée par une attitude générale apparemment décontractée. La circulation était dense, sur l’autoroute 666, et il conduisait en père tranquille : son chargement un peu spécial aurait rendu problématique le moindre accrochage.

Jean Claude Génot, bien sûr, ça n’était pas son vrai nom, sinon tout serait trop simple, mais appelons le ainsi, pour la commodité de l’histoire ; d’ailleurs c’est le nom qui figurait sur tous ses papiers. Pas des faux papiers, bien sûr : trop banal, des faux papiers ! Non, de vrais papiers, tout ce qu’il y a d’officiels, émis dans une vraie Préfecture de la République Française, par un fonctionnaire bien réel, mais qui n’ignorait pas qu’il attribuait un faux nom : Jean-Claude Génot, justement, et c’était sa première complication.

D’ailleurs toute la famille avait de vrais faux papiers : son épouse, Martine Génot, assise à ses côtés, une belle blonde aux formes abondantes, plus jeune que lui d’une bonne dizaine d’années, et qui pourtant le regardait amoureusement, et les deux jumeaux, Jacques et Eric, qui se gondolaient à l’arrière, en jouant avec un jeu vidéo. Ils avaient l’air particulièrement excités par ce départ en vacances, eux qui, d’habitude, détestaient quitter leurs copains.

Leur plaisir aurait pu se comprendre, si la voiture était descendue vers la Méditerranée, où ils adoraient montrer leurs muscles aux minettes de leur âge : dix sept ans, le bel âge ; mais la Bretagne ! La Bretagne, d’habitude, ils l’exécraient, avec ses marées où l’océan s’en va Dieu sait où- qu’importe d’ailleurs, l’eau est trop froide pour s’y baigner- et ses bruines sournoises qui faisaient détaler les jeunes filles aux moments les moins appropriés.

D’habitude, quand Jean-Claude Génot partait avec eux vers la Bretagne, avec sa femme –sa vraie femme, s’entend- les jumeaux tiraient une figure de six pieds, ou leur empoisonnaient la vie en récriminant tout autant que durait le trajet ; mais là, alors qu’ils partaient officiellement pour quatre semaines, les enfants Génot étaient tout sourire à l’intention de leur mère, « Martine », et de leur père, « Jean-Claude ».

Bref, ils avaient l’air de nager avec délice dans la complication : pour eux, elle avait les couleurs de l’aventure ; pour lui, ces couleurs s’étaient fanées depuis longtemps : ça ne l’amusait plus.

Il faut dire que cette idée de mélanger le boulot et la famille ne lui plaisait pas du tout ; il l’avait dit haut et fort, mais va discuter avec the big boss ! Sa femme aussi avait râlé ferme, et il avait eu le plus grand mal à lui faire avaler la pilule, et pourtant il ne lui avait pas tout dit. Bref, il avait ramé, mais enfin il y était arrivé ;  restait à faire le boulot le plus proprement possible, et à déguerpir ensuite au plus vite.

  -   Papa Jean-Claude, quand est-ce qu’on mange ?

Les imbéciles, ils se tordaient de rire, évidemment, « papa Jean-Claude ! », sûr que ça les faisait marrer, des fausses identités ; lui ça ne lui faisait plus ni chaud ni froid, une routine, une de plus ; juste une complication supplémentaire, l’obligation d’être attentif, de ne pas se trahir, en tout lieu, à tout instant : à une frontière, bien sûr, mais là on est préparé, concentré, mais aussi bien dans un hall d’hôtel où un groom appelle à tue-tête votre nom –le vrai ou le faux-, ou quand un commerçant, vous rendant votre carte de crédit, vous dit « merci beaucoup, Monsieur Girot », et que vous corrigez, naturel, dans un demi-sourire, « Non, Génot ».

-         Sans rire, papa, on a la dalle !

Il avait essayé d’avancer au maximum, dans le flot des véhicules des vacanciers ordinaires –« comme nous-mêmes », s’était-il dit en lui-même, avec dérision ; il espérait profiter du creux du déjeuner, où le trafic diminue, pour tailler un peu la route, mais il était quatorze heures maintenant, et les estomacs des jumeaux devaient crier famine, en effet.

Sa femme s’en mêla :

-         C’est vrai, de toutes façons, il faudra bien s’arrêter, on ne va pas faire le trajet d’un coup.

Bien sûr, elle avait déclenché le charivari à l’arrière ; les deux grands niquedouilles avaient sauté sur le renfort inattendu :

-         Ouais, Maman Martine a raison !

-         Vive Maman Martine ! Pour Maman Martine Hip Hip Hip…

-         Hourra !

Avant la révolte générale, il avait cédé, d’assez mauvais gré :

-         D’accord, à la prochaine aire !

Leur euphorie passée, les jumeaux étaient retournés à leurs jeux vidéos, et à leurs portables, lui laissant le temps nécessaire pour arriver à une aire dotée d’un restaurant.

C’est  à partir de là que les choses s’étaient gâtées.

Bien évidemment, à cette heure ci, le parking était plein comme un œuf, et il avait dû aller au fin fond de l’aire, presque jusqu’à la bretelle de retour sur l’autoroute, pour trouver un espace suffisant pour garer son véhicule, hors de toute place autorisée, mi sur le goudron, mi sur l’herbe.  

-         Je ne peux pas laisser la voiture aussi loin du restaurant, il y a nos bagages dedans, et les aires d’autoroute ne sont pas sûres, c’est connu. Attendons un peu qu’une place se dégage près du restaurant, je veux garder la voiture sous mes yeux.

Les jumeaux n’avaient pas apprécié :

-         Papa Jean-Claude, déconne pas, on va pas rester là alors qu’on crève de faim.

« Maman Martine » en avait rajouté une couche, alors qu’elle connaissait parfaitement ses raisons :

-         Je les comprends, ces petits (gloussement des jumeaux, qui la dépassent d’une tête), ils ont faim ; avancez vous les enfants, et installez vous là où vous trouverez une place, on vous rejoint.

Il avait haussé les épaules : décidément elle n’arrivait pas à trouver le ton juste avec eux : jouer la maman protectrice, dans sa situation, c’était se griller à tout coup !

Les jumeaux étaient partis, ricanants, avec un air en dessous qui ne lui avait rien dit qui vaille, et elle avait attaqué aussi sec, en lui sortant son sourire dévastateur :

-          Tu ne crois pas que tu en fais trop ? On ne va pas te dévaliser avec tout ce monde qui va et vient !

Il ne lui répondit pas tout de suite : il examinait le secteur de l’aire où ils étaient garés ; il n’y avait pas grand-chose à voir : l’aire était plate, quelques arbres étiques prétendaient donner un peu d’ombre à une herbe rase, abimée par les passages fréquents de piétons ; personne n’était installé à proximité, mais c’est à voix basse qu’il lui répondit :

-         Tu es folle ou quoi ? On monte une opération d’enfer pour charrier cette valise, et tu crois que je vais la laisser dans un coffre qu’un enfant de huit ans peut ouvrir avec une lime à ongles ? C’est notre boulot, c’est tout, et je te rappelle qu’on est là pour le boulot, et le boulot uniquement !

-         Ouhââ, le type sérieux, le vrai pro ! Tu tiens à conserver ta réputation dans le service ! Détends toi un peu, il faut vivre !

Et bien, entendu, elle avait jugé bon de venir se coller à lui, et d’essayer de lui rouler une galoche, histoire d’appuyer son propos ; il s’était détaché vivement :

-         Merde, arrête, tu connais les jumeaux, ils ont l’œil partout ! Va manger avec eux, et j’irai m’offrir un sandwich quand vous reviendrez.

Vexée de voir qu’il n’avait pas cédé à son invite, habituée qu’elle était à voir les hommes faire ses quatre volontés, elle s’était éloignée en balançant exagérément ses hanches, sachant bien qu’il la suivait du regard.

Il avait effectivement un peu de mal à décrocher ses yeux de son fessier ; c’est vrai qu’elle était bien roulée, la rosse, et qu’elle savait y faire ; c’est comme ça qu’il s’était fait avoir ; et c’était sa seconde complication.

Il était retourné s’asseoir dans la voiture, côté passager cette fois, pour avoir plus de place et se relaxer un peu. Par habitude, il avait à nouveau jeté un œil rapide, en apparence inattentif, sur les environs ; tout était en ordre, il en aurait juré. D’ailleurs aucune voiture inconnue ne les avait suivis depuis leur départ, de cela il était sûr, et ils s’étaient arrêtés sur cette aire de manière inopinée : comme toujours en pareil cas, il avait déboité sur la bretelle de l’aire à la dernière extrémité, sans clignotant, pour surprendre un éventuel poursuivant. Dans son rétroviseur, il n’avait rien constaté d’anormal; il ne pouvait donc pas y avoir de surprise. Mais il croyait à la force de la routine, et il ne dérogeait jamais à un certain nombre de précautions, que beaucoup de ses collègues jugeaient inutiles ou exagérées ; c’est pourtant grâce à ces vieux réflexes qu’il continuait sans encombre son travail sur le terrain, à un âge où la plupart, les nerfs usés, cherchent un poste moins exposé, ou ont payé le prix de leur imprudence. C’est cette routine qui l’avait préservé, et c’est cette routine qui l’amenait à rester là, sur ce parking bourré, alors que les risques étaient minimes, en effet, mais il avait pour habitude de ne jamais courir de risque.

Et cette valise métallique, qu’il avait chargée en premier, ce matin, tout au fond du coffre- la vache, elle pesait son poids, il avait failli se faire un tour de reins-, il était hors de question que qui que ce soit puisse y toucher, que le quidam en connaisse ou non la valeur.

Comme toujours, il avait chargé la grosse berline de très bonne heure, calmement, rationnellement, en commençant par cette fameuse valise, puis en la masquant par leurs autres bagages, qui étaient maintenant seuls visibles, bien rangés, comme il faisait toute chose depuis les presque vingt ans de son travail si particulier.

Le chargement devait peser son poids, mais sa voiture n’en souffrirait pas : si la carrosserie semblait banale, avec sa peinture un peu passée, le véhicule avait été révisé avec soin par le service, le moteur était neuf, et bien plus puissant que celui du modèle de base.

L’immatriculation, bien sûr, était fausse : les plaques étaient changées à chaque mission.

Il s’était un peu détendu, avait basculé le fauteuil pour reposer un peu ses épaules, mais sans cesser de surveiller discrètement les alentours. C’est ainsi qu’il n’avait pas manqué de repérer, dans le rétroviseur extérieur, le gros quatre quatre noir, bien avant qu’il ne passe près de son véhicule ; comme il se doit, les deux hommes qui l’occupaient ne lui avaient pas accordé un coup d’œil, mais il avait tout de suite noté leur énervement à voir que l’aire s’arrêtait là ; ils étaient repartis trop brusquement en marche arrière, toujours en feignant de ne pas le voir, et il avait eu un regard de mépris : « des jeunes ; ils stressent  trop vite, et ils le montrent trop. Ils ne feront pas de vieux os ! »

Lui aussi, bien sûr, avait joué les indifférents, mais il avait surveillé avec attention leur marche arrière : « la routine, toujours, et d’autant plus que sa situation était compliquée ! »  Les deux gars s’étaient garés en double file, vingt mètres derrière eux –trop près, jugea-t-il-, et fumaient maintenant une cigarette, l’air absent ; ils étaient taillés sur le même moule : grands, baraqués, l’allure souple du sportif bien entraîné, tel qu’il était il y avait vingt ans, se dit-il avec une pointe de nostalgie ; il était seulement moins grand qu’eux, mais ça ne l’inquiétait pas : même s’il avait un peu tendance à prendre du poids, il compensait ce handicap  par l’entraînement, et il se sentait encore en pleine forme, en cas de difficulté, de complication, quoi !

Et à propos de complication, il avait enfin vu revenir « Maman Martine » et les jumeaux, qui-grande surprise- avaient l’air assez copain-copain.

Il leur avait annoncé son intention d’en finir et de repartir sans manger - après tout, il ne restait plus que deux heures de route-, mais les jumeaux s’étaient récriés :

-         Tu rigoles, papa Jean-Claude, tu as des sandwichs tout prêts là-bas, ça te prendra une minute.

-         Et les toilettes, t’en a pas envie ? Sinon tu devras t’arrêter plus loin !

Il n’aimait pas qu’on lui dicte, voire seulement qu’on lui suggère ce qu’il avait à faire, mais il avait décidé d’en sourire : il sentait bien que sa famille s’éloignait de lui, depuis quelques temps, et c’était bon de pouvoir ressortir les vieilles scies, une de ces phrases toutes faites  en usage dans leur tribu, quand ils se comprenaient à demi-mot, avant que…

-         Evidemment, si vous me prenez par les sentiments…

Ils n’avaient pas tort, au fond, et, laissant la voiture à la garde de sa femme, il se dirigea vers le restaurant, avec une pointe de déception ; personne n’avait réagi à sa phrase : les vieilles formules pour initiés n’amusaient plus personne. Un signe de plus de ce qu’il n’ignorait pas : leur groupe familial se délitait, se désagrégeait peu à peu.

La faute à qui ? Au temps, peut-être, tout simplement : c’est long, vingt ans, avec la vie qu’il menait. C’était aussi pour cela qu’il craignait ce mélange boulot-famille ; il y était opposé par principe, mais en plus, ce n’était sûrement pas le moment, alors que son couple battait de l’aile, mais cela, ce n’était pas facile à expliquer à the big boss. Il aurait dû, peut-être, ils se connaissaient depuis assez longtemps; ils avaient même effectué une mission ensemble, il y avait bien des années ! Mais bref, il n’avait pas osé, et maintenant il sentait bien que l’ensemble des complications accumulées risquait d’avoir raison de ce qui avait longtemps été son cocon familial. Bien que plongé dans ces pensées déplaisantes, il restait attentif à son environnement, examinant discrètement les clients qu’il croisait, revenant de leur déjeuner.

Le self ressemblait à tous les restaurants d’autoroute : bondé, bruyant, donnant envie de filer au plus vite ; à la sandwicherie, bien entendu les sandwichs avaient l’air minable et coûtaient un bras ; au point où il en était, il n’allait pas faire demi-tour, mais il se posa la question ; finalement il se dit que c’était toujours ça de pris avant ce soir.

A son retour, les jumeaux étaient sagement assis à l’arrière du véhicule, toujours penchés sur leurs jeux vidéos, mais sa femme n’était pas dans la voiture.

Il avait ressenti une bouffée de chaleur monter à sa figure ; parmi ses collègues, il était pourtant réputé pour son flegme, mais ce genre de légèreté lui faisait horreur ; « j’en ai marre, elle est complètement irresponsable ; en rentrant de ce boulot, je la plaque, c’est sûr ».

Avant d’interroger ses enfants, il s’accorda quelques secondes pour reprendre son calme.

-         Et où elle est, Martine ?

Il avait dû s’y reprendre à deux fois avant d’avoir une vague réponse, que l’un de ses deux fils avait marmonnée sans lever le nez :

-         Tu l’as pas vue ? Elle a dit qu’elle venait te chercher.

-         En laissant la voiture ?

-         Ah bon, c’est la voiture qui t’inquiète ? Ca te fait rien qu’elle nous aie plantés là ?

Cette fois, il ne pouvait plus faire semblant de ne pas comprendre : leur hostilité était palpable.

-         Ecoutez, les canards- c’était le nom affectueux qu’il leur donnait depuis leur plus jeune âge ; il sentait bien que l’utiliser dans cette situation était un aveu de faiblesse, mais il aurait tant voulu retrouver leur vieille complicité-, je fais mon boulot, je ne m’amuse pas.

Ils n’avaient même pas relevé le nez de leurs écrans pour susurrer :

-         Quoique…

-         Ouais, on peut joindre l’utile à l’agréable…

-         Ou l’inverse, frérot !

Leurs répliques avaient fusé, ne lui laissant aucun doute : ils avaient vu « maman Martine » se coller à lui ; décidément, c’était la faille de cette affaire : le mélange du boulot et de la famille se révélait détonnant (merci big boss !), et il ne savait comment faire face à ces sous-entendus, à ces airs hostiles.

Les jumeaux étaient ses enfants, et ils méritaient mieux que le silence dont il était obligé d’user, mais ce n’était pas le moment d’éclairer leur lanterne, il y avait plus urgent.

-         Ecoutez, on s’expliquera plus tard, mais, vous le savez, j’ai un travail à faire, et pour cela, j’ai besoin de votre mère…

-         Papa Jean-Claude a besoin de maman Martine, expliqua gravement l’un des deux jumeaux, en se tournant vers son frère.

-         A moins que ce ne soit maman Martine qui a besoin de papa Jean-Claude, répliqua l’autre.

-         En tous cas, ils ont besoin l’un de l’autre…, conclut le premier tandis qu’ils ricanaient tous  deux avec cet air suffisant si spécial que savent prendre les ados, cet air d’en savoir tellement plus que leurs ignares de parents…

  Leur numéro aurait pu durer longtemps ; il y mit fin avec ce qu’ils appelaient « son air colère numéro un », celui qui annonçait que ça allait chauffer pour leur matricule.

Il y avait pourtant bien des années qu’il n’avait pas levé la main sur eux, mais ils le craignaient encore –encore un peu, pensa-t-il-. Aussi ne tenta-t-il pas d’adoucir son visage :

-         Ca suffit, je ne rigole plus, je fais un boulot dangereux, je vous l’ai déjà expliqué. C’était sans doute une erreur, mais maintenant vous êtes embarqués dans cette galère, « Maman Martine »  aussi, que ça vous plaise ou non. Alors à présent vous m’aidez pour qu’on s’en sorte sans pépins.

Il se retourna pour fixer les deux occupants du quatre quatre, avant de poursuivre :

-         Je vais chercher votre mère ; vous, vous ne bougez pas : tant que vous restez ici, vous ne risquez rien ; je retourne au restaurant ; si je ne la retrouve pas, dans cinq minutes pile poil, on file : c’est la procédure, et le boulot est prioritaire sur tout le reste.

Il repartit en petite foulée, coupant au plus court, en négligeant les petits sentiers pavés d’autobloquants qui serpentaient gentiment dans l’herbe.

Les jumeaux se regardèrent ; l’un d’entre eux secoua sa main, comme pour dire « ça chauffe, hein ! », l’autre sifflota en levant les yeux au ciel.

Derrière eux, les deux jeunes costauds étaient sortis de leur voiture, abandonnant pour une fois leur air indifférent.

Cinq minutes plus tard, très précisément, leur père était revenu ; les jumeaux qui l’avaient vu partir l’air furieux notèrent le pli d’inquiétude qui barrait son front au retour ; ils n’avaient pas l’habitude de voir leur père soucieux, et ils se sentaient coupables. Ils se gardèrent donc de tout commentaire quand ils le virent qui, sans autre explication, démarra le véhicule.

La voiture s’était arrachée d’un bond et commençait à rouler sur le goudron quand son conducteur freina brusquement ; les jumeaux échangèrent un regard étonné, puis un peu inquiet quand il enclencha brutalement la marche arrière pour remonter vivement la file des véhicules garés. Après un dernier coup de frein, il sortit de la berline dans un grand claquement de portière, laissant tourner le moteur :

   -   Attendez, avant que nous partions, j’ai deux mots à dire à ces crétins là ! Ils vont entendre causer du pays !

Les deux jumeaux avaient abandonné leur feinte indifférence, et s’étaient retournés, inquiets tout à coup : ils regardaient par la vitre arrière leur père qui marchait à grands pas, les poings serrés, vers deux jeunes costauds qu’ils n’avaient jamais vus, et qui s’avançaient vers lui d’un air neutre.

-         Dis, qu’est-ce que tu crois qu’il va faire, furax comme il a l’air ? Et qui c’est ces mecs là ? On dirait qu’il veut leur casser la gueule !

-         Peut-être qu’il pense que c’est eux qui ont enlevé sa poule !

-         Tu crois ? Mais alors il va se faire cogner ; tu as vu les gabarits ? On devrait aller l’aider, tu crois pas ?

-         Je sais pas ; je me demande si on n’en a pas assez fait pour aujourd’hui.

                                            Une vie compliquée

1) La famille Génot , un couple et leurs enfants, jumeaux de dix sept ans, paraît parfaitement ordinaire  mais quand, sur l’aire d’autoroute, Mm Génot disparaît, son mari ne prévient pas la police, et décide de repartir, sans que ses enfants protestent. Mais pourquoi, auparavant, va-t-il demander des comptes aux deux occupants du véhicule garé derrière eux ?

2) Les deux hommes constituent une équipe de protection. Ils n’ont rien vu de la disparition, mais vont fouiller  les lieux. Monsieur Génot, lui, ne s’attarde pas : il doit convoyer en Bretagne une lourde et mystérieuse valise. En cours de trajet, nous comprenons que « Mm Génot » n’était pas sa femme, mais son second dans sa mission ; ses enfants lui font avouer qu’elle était aussi sa maîtresse. Ils s’installent dans un petit hôtel banal, en bord de plage. Qu’y a-t-il ici qui justifie leur venue ?

3) Leur hôtel donne sur la baie, en face du plus luxueux palace du secteur : la cible nous est révélée : un groupe manipulé depuis l’étranger qui veut organiser un attentat en France. La mission de « Mr Génot » : participer à la destruction du groupe par un engin téléguidé, contenu dans la valise.

4) Les deux agents de l’équipe de protection les ont rejoints, sans avoir trouvé « Mm Génot » Ils  logent dans un appartement voisin du leur ; ce sont eux qui doivent guider l’engin depuis la chambre de la « famille Génot », celle-ci quittant les lieux à ce moment là, après avoir endormi la méfiance des terroristes, en jouant les vacanciers lambda.

5) La disparition de « Mm Génot » prouve –t-elle que leur mission est éventée ? Dans le doute, les supérieurs de « Mr Génot » décident d’annuler tout, mais les jumeaux, paniqués, craquent : c’est leur mère, jalouse, qui a enlevé sa rivale, avec leur aide.

6) Les jumeaux convainquent leur père et ses chefs de continuer la mission ; leur mère libère sa rivale, et prend sa place en tant que « Mm Génot », en rejoignant l’hôtel. Tous jouent leur rôle tout en surveillant leur objectif.

7) Ils constatent que leurs voisins exercent une surveillance trop visible du chef terroriste, courant le risque de faire repérer tout le monde. Pour donner le change, « Mr Génot » décide de partir avec sa famille pour une excursion d’une journée 

8) A leur retour, plus personne n’est visible dans l’appartement voisin ; Mr Génot part discrètement en reconnaissance, il retrouve les deux agents égorgés. Sa famille est-elle elle-même en danger ?

9) « Mr Génot » ne veut pas courir de risque : il décide d’évacuer sa famille. Au dernier moment, une occasion se présente : le groupe terroriste, se croyant en sécurité, est sorti devant son hôtel. Mr Génot improvise et envoie l’engin qui détruit les terroristes dans un grand claquement.

10) « Tu as fini ta sieste ? » Sur l’aire d’autoroute, Jean-Pierre Génot est réveillé en sursaut par le claquement de la portière : les jumeaux remontent dans la voiture. Tout cela n’était donc qu’un rêve ? Mais les jumeaux sont seuls. « Et votre mère ? » Les jumeaux se regardent, embarrassés…

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