Une vie de femme
Giorgio Buitoni
Henri avait le sens de la formule.
Les derniers mots qu'il prononça avant notre accident de voiture au retour de la garden party chez les Dupont-Maillard furent :
" Ton haleine sent la cigarette, Stéphanie ! Tu sais que je n'aime pas que tu fum..."
La dernière voyelle fut engloutie par le crissement des pneus de notre Mercedes, tandis que le parechoc du camion de transport de la SEITA grandissait à une vitesse folle derrière le pare brise.
Un terrible accident.
Mon pauvre amour.
Déjà à notre première rencontre à la faculté de médecine, à notre atelier dissection, Henri avait su trouver les mots.
Je m'en souviens comme si c'était hier.
J'achevais de scier avec fascination le sternum de notre cadavre, et je soufflais à Henri que manier le scalpel sur un mort me rappelait étrangement la crucifixion du christ et le sacrifice consenti par notre saint sauveur. Henri plongea ses mains dans le thorax écartelé du mort, en sorti fièrement le cœur, puis il me souffla à l'oreille :
" Moi, en te regardant, je pense à Marilyn Monroe avec vingt kilos de trop, Stéphanie. Tiens moi ça pendant que je coupe le nerf phrénique de ce zombie. "
Je fus conquise par sa verve.
Comment oublier la merveilleuse après-midi de printemps qui suivit ?
Grivois et insouciants des périls de la vie, nous avions couru dénudés dans les bois derrière le campus. Je me revois avec délice, entièrement nue, lovée contre son torse imberbe au pied d'un chêne. Henri regardait en alternance sa montre et la cellulite de mes cuisses. De petits pétales tremblants de lumière douce mouchetait nos corps alanguis. La mousse tendre et humide nous offrait sa couche, tels deux amants de conte de fée.
" Au fait, ma belle, si tu veux jouir, il nous reste vingt minutes avant mes révisions. "
Quel feu d'artifice dans le cœur de la gosse que j'étais.
Après m'avoir mordu les mamelons jusqu'au sang, Henri enfonça son pénis courtaud entre mes lèvres. Devant tant de vigueur, mon rouge à lèvre imprima une trainée rouge goudronneuse sur la peau veineuse de son membre. Henri eut encore une de ses saillies verbales mémorables :
" C'est pas un produit chinois au moins ? "
Cette après-midi-là, il me fit jouir trois fois par les gencives faute de préservatif.
Puis, dans la magie de cet instant suspendu, avec le goût amer et salé de cet amour clandestin sur ma langue, Henri m'autorisa à rester toute la nuit dans sa chambre à l'observer en silence pendant qu'il révisait son examen annuel d'anatomie.
" Tu la boucles, tu ne grignotes pas, tu ne lis pas, tu regardes. Les révisions sont plus importantes que la bagatelle, ma chérie. Je veux cette UV. "
Et je sus que j'étais amoureuse.
Les six mois suivants, mon pauvre amour travailla d'arrache-pied. Négligeant mes propres révisions au nom de l'amour, je l'admirais en silence, tapis dans l'ombre de l'évier de la petite chambre de bonne qu'il occupait, dans un quartier charmant et pittoresque à deux pas du périphérique. A peine à deux heures de marche de ma chambre en cité universitaire. Assise nue sur le carrelage glacé, les genoux groupés sous le menton, je contenais ma vessie et limitait mes aller et retour aux toilettes occasionnés par un courant d'air récalcitrant. Le ronron romantique des moteurs diesel me berçait parfois jusqu'au sommeil lorsque minuit sonnait.
" Tu respires toujours aussi fort la nuit, Stéphanie ? "
De ces six mois d'amour, je conserve le souvenir d'une angine rouge et l'image du dos maigre d'Henri, cranté comme une échelle de secours, courbé sur ses manuels de médecine. Mon pauvre amour souffrait d'une légère scoliose, conséquence d'une puberté précoce et d'une absence totale d'activité physique et sportive. A de rares instants de répits, son visage planait en gros plan au dessus du mien, crispé dans une grimace de plaisir qui rappelait un tableau horrifique de Jérôme Bosch et faisait grincer le matelas.
Ses efforts et mes sacrifices se soldèrent par un succès ; Henri obtint son examen avec mention, j'obtins le renvois de la faculté pour absentéisme aux examens. Sept ans de labeur et d'amour passèrent, il fut enfin proclamé médecin généraliste et moi chef de rang au Las Vegas, un bar à hôtesse réputé pour sa discrétion. Nous nous marièrent à la mairie l'automne suivant dans le plus grand secret et par soucis d'économie. Puis nous nous retrouvâmes à célébrer notre union autour d'une pizza surgelée dont les olives n'étaient pas dénoyautées.
Henri exerçait désormais dans son propre cabinet et je quittais mon emploi pour tenir la maison propre. Oh, cette villa de banlieue restera le nid d'amour le plus romantique de mon existence. Bercée par les anxiolytiques prescrits par mon tendre époux, les heures y coulaient paisibles et bucoliques dans l'attente de ses rentrées tardives. Ses patients et les longues réunions nocturnes à l'hôpital, dont il rentrait au matin fourbu et douché, écourtaient nos moments de complicité. Mais comme toujours Henri sut trouver les mots justes et replacer mes petits tracas dans un contexte plus général :
" Stéphanie, tu sais que dans mon métier le risque de contamination par poignée de mains est décuplé. "
Je contractais d'abord les chlamydiae. Le plus douloureux fut mon herpès génital et la brûlure des verrues à l'azote liquide. J'en retirais aussi un certain goût pour la souffrance, dont je ne mesurais pas encore la sainte portée, et qui me renvoyait à mes cours de catéchisme.
La bonté de mon amoureux était si communicative.
Suite à mon curetage utérin, il cessa de s'épancher en moi par mesure d'hygiène. Porté par son inébranlable foi en la médecine et sa bonté, il s'impliqua d'avantage dans de nombreuses causes humanitaires et s'éclipsa plus souvent pour favoriser ma convalescence. Le mercredi était dédié aux épidémies de choléra, le vendredi et le samedi à l'éradication du Sida en Afrique noire. Les réunions se déroulaient en fin d'après midi, après ses consultations, jusqu'au lendemain matin, à l'hôtel Formule 1 près de la gare. En tout cas, c'est ce qu'indiquait les relevés bancaires de notre compte joint constamment à découvert.
Un matin, j'aperçus deux valises au pied de l'escalier et Henri m'annonça un vol vers les Galápagos à l'occasion d'un séminaire humanitaire financé par le Club méditerranée - la malnutrition et ses traitements dans les pays du tiers monde. Je sus alors que mon si bienveillant époux avait été élu par l'éternel, choisi par lui pour transmettre l'humilité chrétienne aux plus faible et son goût prononcé pour les hôtels quatre étoiles. Ma fierté pour son dévouement à la cause des défavorisés fit naitre en moi un sentiment de vacuité. Mon sacrifice avait payé, Henri avait atteint le sommet. Désormais, je lui étais inutile. Que me restait-il à accomplir ? Quel était mon rôle ici bas à présent ? Je décidais d'interroger notre seigneur en personne.
A la petite chapelle de notre quartier, assise sur le banc de prière au plus près de la croix, les mains jointes face à notre martyr Jésus, je l'interrogeais sur mes souffrances et mon sentiment d'inutilité ici bas, alors que mon mari perpétuait l'œuvre de notre saint sauveur à l'autre bout du monde en vidant notre compte joint. Je levais des yeux emplis de larmes vers les javelots de lumière transperçant le grand vitrail, baigné dans cette odeur d'humidité, de vieilles pierres et d'oignons frits. La réponse du tout puissant vint à moi sous la forme d'un prêtre rougeaud mâchouillant un sandwich kebab à la sauce blanche.
" On va fermer, ma sœur. Y'a le match de foot à 20h. "
Tandis qu'il mastiquait vigoureusement un morceau d'agneau particulièrement tendineux, je lui confiais mes tourments et mon regain de vigueur inexpliqué pour la foi. Il regarda sa montre et soupira. La bouche pleine et luisante de graisse de viande, il pointa un doigts boudiné vers la grande croix de notre sauveur, et il dit :
" Vous avez deux minutes. Même LUI, veut voir le match. "
Il suça ses doigts et ajouta :
" Comment vous appelez vous.
- Stéphanie. "
Il leva un sourcil et il me sembla qu'il fut touché par la grâce à l'écoute de mon prénom, mais il plongea un doigt potelé vers sa molaire du fond et en sorti un éclat d'os.
" Stéphanie, c'est pas parce que vous portez le prénom du premier martyr de la chrétienté qu'il faut emmerder les autres. Barrez-vous ! "
Je soupirais, empli d'un sentiment de vide et de tristesse abyssal. Pourquoi l'éternel m'infligeait-il cette souffrance inexplicable, moi qui m'étais dévouée à sa cause durant ma jeunesse en vendant des beignets de calamar maison au profit de nombreuses œuvres de charité catholique ? Je me sanctifiais et sortis de la chapelle sous le regard satisfait du prêtre. Il ricana en me tendant le débris d'os issu de sa molaire et dit :
" Ceci est mon corps. "
J'ignorais encore que l'éternel par l'intermédiaire des lèvres graisseuses du pasteur venait de s'adresser à moi. Je regagnais la maison et visionnais en pleurant l'intégrale des Télétubbies.
Henri revint de son séminaire au Galápagos bronzé comme un bédouin et sans marque de maillot.
" Faut bien secourir ces petits bougnoules, Stéphanie. "
Mon époux, dans un élan indéfectible de solidarité chrétienne, repartit la semaine suivante pour les Baléares où l'attendait un épineux colloque en demi-pension avec piscine sur les méfaits du tabac en Europe.
Le soir même le miracle se produisit.
Gavée de Lexomil, je reniflais les chemises sales de mon tendre époux, une cigarette rougeoyante vissée dans l'avant bras. L'exquise sensation de la brûlure sur la chaire tendre de mon bras m'évoquait avec tendresse nos premiers ébats et les ressorts pointus du matelas universitaire de mon amoureux me perforant les côtes. C'est à cet instant que le Christ m'apparut une nouvelle fois clouté sur la croix. Comme lors de ma première rencontre avec mon cher et tendre, ce-jour-là, à notre atelier de dissection humaine. Tandis que le sang perlait au pourtour des brûlures de mes bras, je compris le sens de la vie. Le bonheur et la douleur étaient intimement liés, et la plénitude d'une femme naissait de leur parfait équilibre. Les mots de l'éternel s'adressant à moi, par l'intermédiaire du prêtre au kébab, me revinrent comme un boomerang salutaire.
" Stéphanie, c'est pas parce que vous portez le prénom du premier martyr de la chrétienté qu'il faut emmerder les autres."
Tout faisais sens.
Saint Étienne, la fête du calendrier célébrant les Stéphane et les Stéphanie le 26 décembre. Saint Étienne qui fut le premier martyr et mourut lapidé en 35 devant Saint-Paul. Bien avant Saint Laurent supplicié sur le gril, et Catherine d'Alexandrie supplicié sur la roue puis décapitée. La réponse tombait du ciel, suintait des brûlures de mes bras. La douleur des uns, pour le salut des autres. C'était là mon rôle. Le destin que m'avait confié le seigneur.
Dès le lendemain, j'exhumai d'un carton poussiéreux mon matériel chirurgical de la faculté . Magie de la froideur de l'acier et des anxiolytiques, les lacérations au scalpel sur mes cuisses me conduisirent vers un orgasme proche de l'évanouissement.
A son retour des îles Fidji et de son séminaire sur l'influence des aliments transformés sur la propagation du diabète, Henri ressemblait de plus en plus à une chips trop cuite - et notre compte en banque à un puits sans fond. De mon côté, les cicatrices et les bandages sur mes bras et mes cuisses me dispensaient avantageusement d'efforts vestimentaires. Je portais si bien le survêtement. Ivre de douleur et de vodka, j'interrogeais Henri sur le programme adapté de la machine à laver pour nettoyer ce string de bain féminin exhumé de ses bagages. Fidèle à lui même, mon chéri fit valoir son sens inné de la répartie :
" Il y avait une piscine. D'après toi je devais me baigner en slip kangourou devant les pontes de l'OMS ? "
Le lendemain Henri décolla pour la Grèce et un nouveau séminaire.
Mon chemin de croix et les lacérations au scalpel sur mes cuisses atteignirent leur équilibre à la réception d'une carte postale de mon époux. Le verso de la carte montrait une plantureuse pinup au seins nus sur une plage de Mykonos, le recto m'annonçait le retour d'Henri différé d'une semaine.
Vertiges de l'amour, cela me fit souffrir d'avantage encore que l'excision de mon clitoris et sa cautérisation à la braise de cigarette.
Le retour d'Henri de Grèce coïncida avec l'arrivée de la lettre de mise en demeure de la banque et mon début de septicémie. Le ciel m'appelait enfin. J'étais aux anges.
" Bordel, Stéphanie, c'est quoi cette puanteur de cadavre dans la maison et ces brulures au fer à repasser sur tes bras ? Tu vas bousiller l'appareil, tu crois que nous avons les moyens de le remplacer ? Heureusement que je suis là pour trouver des solutions à nos problèmes financiers ! "
A notre premier diner chez les Dupont-Maillard, gavée d'antibiotiques et de Xanax, pâle comme un linceul, recouverte de bandage et d'une robe masquant tout ce qu'elle pouvait masquer de croutes et de lacérations, je flottais littéralement de bonheur et d'hypotension béate.
Je sus que je touchais au but.
Derrière la membrane brumeuse des médicaments, la villa des Dupont-Maillard était un magnifique assemblage de colonnes romaines et de dorure contaminant jusqu'à la lunette des toilettes. La bâtisse déroulait ses courbes vitrées en surplomb de la ville. La couleur rose des murs de crépis dénaturait à peine le paysage et s'harmonisait avec goût aux pourtours purulents des plaies de mes poignets.
Et le jardin avec piscine, quelle merveille !
Gazon anglais impeccablement tondu, parsemé de reproduction de sculpture de Rodin, de Batman et de nains en plastique dorés à l'or fin. Henri se fendit d'une de ces réparties brillantes dont il avait le secret :
" Les nains de jardin, c'est du vrai or ? "
C'était du plaqué.
Jean-Hervé Dupont-Maillard avait fait fortune dans l'immobilier en Russie. Haute stature dressée dans un short Lacoste blanc, polo rose assorti entrouvert sur une prairie de poils grisonnant, et facette dentaires si blanches qu'on y voyait son reflet. Henri partageait avec Jean-Hervé le goût des belles choses. Et avec son épouse Irina celui des voyages à l'étranger et le même bronzage californien évoquant la peau d'un poulet grillé.
J'appréciais immédiatement la compagnie d'Irina, au point d'en briser une coupe de champagne entre mes doigts. C'était une femme charmante d'origine moscovite et courte vêtue. Sa poitrine opulente débordait de son bustier rose comme du lait hors d'une casserole et contrastait avec la maigreur de ses bras. Ses fesses rappelaient une piste de saut à ski. De dos, les trente années d'écart avec son époux ne paraissaient pas.
Après huit coupes de champagne, mes doigts entaillés cessèrent de trembler et le transat de toile m'enlaça tel un nuage de coton anesthésique.
Dès la onzième coupe, je remarquai l'éléphant rose plongeant sa trompe dans la piscine remplit de cadavres d'oiseaux et de scalpels tranchants. Et tandis que les hommes discutaient affaires sur la terrasse, un peu à l'écart, Irina, son double et moi, eurent une conversation exquise :
" Vous êtes mariée depuis longtemps, Irina ?
- Sorry, je pas tellement parler Français. "
Au déjeuner, assise sur l'un des sièges de jardin de la terrasse, effondrée sur mon siège, les yeux au ras du rebord de la table à manger, l'assiette de mixed grilled posée devant moi par la maitresse de maison m'apparut comme un continent de côtelette d'agneaux et de poitrine fumée. Sous la table, la main experte et discrète de mon cher époux, chassait amicalement quelques poussières de la cuisse bronzée d'Irina, et avait la dimension d'un kraken des grands fonds.
Alors que je remarquais les similitudes flagrantes de notre charmant barbecue avec le dernier repas de notre sauveur et martyr, Jésus, Jean-Hervé leva son verre de Malibu-Coca, et nous trinquèrent tous ensemble à l'aide médicale précieuse apportée par Henri aux chlamydiae et aux herpès génitaux récalcitrants d'Irina.
" Votre mari a sauvé ma femme, Stéphanie, ces truc étaient littéralement en train de lui bouffer le vagin. Elle traine si souvent dans les SPA et autres sauna, ces établissements sont bourrés de mycoses et de verrues, mais elle adore ça. Et tous ces voyages à l'étranger en compagnie d'Henri n'arrangent rien. "
Henri et Irina toussèrent.
Je touchais le Christ du doigt.
Je ne sentais même plus la fourchette perforer mes poignets sous la table. La pointe du couteau à grillade entaillant mon pouce ne me fit guère plus d'effet.
" Tu saignes, Stéphanie. Faut toujours que tu te fasses remarquer. Jean-Hervé est disposé à nous prêter généreusement 50 000 euros sans intérêt pour régler nos problèmes bancaires, tu pourrais faire un effort de dignité ? "
J'étais enfin une épouse accomplie.
Nous fîmes le trajet de retour de nuit. La Mercedes me berçait de son ronron rassurant et Henri était si content de notre soirée qu'il m'honora d'une proposition qui me rappela nos jeunes années :
" 50 000 balles, Stéphanie, ça mérite bien un petit coup à l'arrière ! "
Nous fîmes une halte grivoise en bordure de la route. La nuit et les étoiles comme seuls témoins de nos étreintes passionnées ; les mains d'Henri arrachant ma culotte, les miennes tailladées et inertes pendouillaient à mes flancs. Malheureusement, la douce caresse du Xanax et de l'alcool asséchait mes fluides corporels et changeait ma caverne d'amour en râpe à fromage. Je ne pus vraiment le vérifier, tant mon corps tout entier semblait être constitué d'un entrelacs ramolli de spaghetti trop cuits. C'est Henri qui s'en aperçut en fourrant délicatement trois doigts amoureux à l'intérieur de mon antre à plaisir, écorchant délicatement au passage les croutes de mon clitoris sacrifié et à peine cicatrisé.
" Bordel, c'est sanglant comme un steak tartare à l'extérieur et sec comme du gravier dedans ! "
Il renifla ses doigts ensanglantés dans la pénombre de l'habitacle, et ajouta :
" Et l'odeur rappelle un container poubelle de restaurant chinois. Bordel, Stéphanie, qu'est-ce que tu branles quand je suis pas là ? Tu ressembles à une momie ! "
Nous redémarrèrent en trombe. La bonne humeur d'Henri était entamée par mon impardonnable inutilité sexuelle. Alors qu'il tripotait l'autoradio à la recherche d'une chanson de David Guetta, les yeux braqués sur le bouton du tuner, j'osais un mot de tendresse :
" Pardonne-moi.
- Ton haleine sent la cigarette, Stéphanie ! Tu sais que je n'aime pas que tu fum..."
C'est là que je fus appelée par LUI.
Avant que l'aile de la Mercédès ne percute le camion de la SEITA et que mon malheureux époux, victime d'un défaut de l'airbag et d'une infortunée négligence de ceinture de sécurité, traverse à demi le pare-brise.
Je la vis planer au dessus de ma tête, tel un disque éblouissant.
L'auréole.
Puis le noir m'envahit.
*
Ici, il fait beau.
Et chaud. Sans doute moins chaud que là où Henri se trouve. Les anges sont plutôt amicaux. Même s'ils laissent tomber leurs cendres de cigarette un peu partout. Ça me fait plus de saleté à aspirer. Ici, il y a l'électricité et l'eau courante. J'ai mis la lessive de Saint-Pierre à tourner. J'espère seulement que je vais ravoir les tâches de pneu au fond de ses caleçons. Sinon je vais encore recevoir une volée.
Mais j'ai honte de me plaindre.
Ici, c'est le paradis.