Une vie de rêves

nat28

Projet Bradbury - Semaine 8

Au début, j'y ai pas cru.


Faut dire, aussi... Gagner une Ferrari rouge ET mon poids en bonbons dans la même semaine, pendant qu'un camion de glace décide de faire le tour de mon quartier tous les soirs à l'heure où je rentre du boulot... c'était quand même pas ordinaire. Quand le gars de la Super Loterie Ferrari m'avait appelé pour me dire « Monsieur Bouchard, votre vie va changer ! » j'me suis dit « ça y est, la boîte d'Interim me vire ! ».


Et puis non, c'était pour la bagnole. Une chouette voiture, pour sûr, qui me faisait baver depuis que j'étais gamin, mais ma mère m'avait vite fait remis les pieds sur terre. « Et tu vas l'assurer comment ta voiture de millionnaire ? » qu'elle m'avait balancé alors que je faisais le kéké en jouant avec le porte-clé.


Ça m'avait refroidi l'enthousiasme aussi sec. Le SMS qui m'annonçait que j'avais gagné les bonbecs avait pas suffi à me consoler. Faut avouer qu'un bolide et 80kg de sucrerie, c'est pas vraiment pareil.


Je m'étais dit que je la vendrais sur Internet, la Ferrari, mais que je la garderais bien une petite semaine, rien que pour me faire plaisir. Un peu. Je roulais pas vite et de nuit, ou je dormais dedans dans le garage de mes vieux. Pas génial.


Et puis j'avais trouver un ticket de je sais plus quel jeu à gratter sur le trottoir et il était gagnant ! Y'avait juste assez pour assurer la Ferrari pendant un an. Ça me suffisait.


4 coups de bol en moins de 7 jours... c'était zarbi. J'me suis dit « Bah, ta copine viens de s'barrer, ça doit être le truc de malheureux en amour et heureux au jeu. Ou l'contraire ». C'qui me chiffonait, c'est que j'me souvenais pas d'avoir envoyé des bulletins ou je sais pas quelle autre connerie pour jouer...


Quand j'me suis réveillé un matin avec des tablettes de chocolat à la place de ma brioche nourrie à la bière, là, j'me suis posé des questions. En plus, les glaces tous les soirs et les bonbons, ça aurait pas dû avoir ce résultat là ! Ou alors les rois de la gonflette des salles de gym se mettent le doigt dans l'œil.


Et puis j'me suis souvenu. La Ferrari rouge, les bonbons, le marchand de glace, le ticket gagnant, les abdos en béton... C'était des trucs auxquels je rêvais quand j'étais ado.


Mes vieux rêves devenaient réalité ! La classe !


Surtout que ma vie, c'était pas folichon... Toujours entre 2 apparts ou 2 copines, des petits boulots qui se ressemblaient tous et qui payaient pas, des soirées passées devant la télé à boire de la mousseuse tiède... J'me voyais pas sortir de mon canapé avant longtemps.


Mais là, j'me suis dit « tes rêves se réalisent mon Gérard ! Il serait bien temps de te bouger un peu, non ? »


Alors j'suis passé chez le coiffeur, j'suis retourné à Pôle Emploi, et j'ai rappelé la plus chouette de mes ex, qu'a bien voulu revenir en voyant la Ferrari. Et j'me suis mis à attendre la réalisation du prochain rêve.


Après, j'avoue, c'était sympa.


Une nuit, les nichons de ma copine ont doublé de volume, la faisant ressembler aux nanas des magazines porno que je lisais en cachette quand j'avais 13 ans. Elle a même pas paru étonnée, elle s'est juste énervée parce que tous ses soutifs étaient devenus trop petits. J'ai même pas eu besoin d'lui en racheter des neufs, vu qu'on a reçu un colis rempli de lingerie le jour même. Un autre de mes rêves d'ado. C'était un peu orienté, j'avoue.

Des T-shirts cools ont poussé sur les étagères de mon armoire, j'ai écrit et dessiné une BD trop stylée que les éditeurs se sont arrachés, j'ai appris à parler anglais en écoutant des vieux CD, mon père m'a offert un super vélo, mon frigo était rempli en permanence de crèmes au chocolat, ma boîte de biscuits de Cookies au chocolat, et Disneyland m'a envoyé un pass valable à vie, comme ça, sans raison, mais moi, je savais pourquoi...


C'était des rêves de gosses, mais comme j'avais jamais vraiment grandi...


Ça a duré pendant des mois, les plus beaux mois de ma vie.


Maintenant… ça craint un peu.


Faut dire que quand j'étais ado, je faisais des rêves, mais aussi des cauchemars.


C'est comme ça qu'un jour, en allant dédicacer ma BD dans une FNAC, j'me suis retrouvé en slip dans la rue. Mon pantalon a disparu, comme si il avait fondu ou je sais pas quoi. Bon, j'me suis tapé la honte de ma vie, mais c'était pas trop grave.


J'ai perdu mes clés, plein de fois, j'me suis retrouvé à avoir envie de pisser mais à pas trouver de chiottes, plein de fois aussi, ma copine m'a trompé avec Martin Klowski, le beau gosse de ma classe de 4ème... Chiant, mais gérable.


Par contre, quand mon père est mort, alors que bon, il était pas malade ni rien... J'me suis dit que ça commençais à puer grave.


Et puis Flupulu est apparu.


Flupulu, comment dire... C'était une sorte de peluche moche mélangée à une poupée en tissu que ma sœur traînait partout quand elle était petite. Flupulu me poursuivait dans toutes les pièces de la maison quand je dormais, en essayant de me bouffer. Elle avait jamais réussi, mais maintenant, j'la croise partout dans l'appart, et c'est trop naze. Surtout qu'y a que moi qui voit cette saloperie, donc les gens me prennent pour un dingue quand je crie ou que je sursaute en croisant Flupulu derrière une porte.


Et puis je flippe, parce que des monstres bien plus méchants et surtout plus puissants, j'en ai croisé dans mes cauchemars d'adolescent... Si les bons rêves se réalisent, ça doit être pareil pour les mauvais rêves, non ?

 

Donc les sales bestioles vont débarquer. Et j'crois qu'y en a une qui gratte à la porte...

Signaler ce texte