Urbanothérapie

Yves Schwarzbach

Si l'on croit ce que l'on voit, le futur de la Terre sera urbain et dense.Très dense si les hypothèses sur le climat et la démographie se vérifient : 80% d'urbains, pour la plupart hors d'Europe ou des USA. Les BRIC concentrent 1/3 de la population mondiale.

Dans cette nouvelle géomancie, les vieux pays développés seront-ils les parcs de loisirs du monde ou son mouroir doré ? En Occident, la ville future sera celle des seniors retournant vers les centres après l'épopée pavillonnaire. Le cycle de vie est l'accélérateur de la ville durable. A l'heure où la crise focalise l'attention sur les retraites et l'aventurisme des fonds de pension, le vieillissement s'analyse aussi sur le plan de l'urbanisme et de la mobilité. Intégration des système de soins, adaptation des logements et des transports, prise en compte des rythmes de vie, positionnement des services publics... La voie du développement soutenable passe par les villes. Objets de fantasmes, la ville retrouve peu à peu une connotation positive. Mais de quelle cité s'agit-il, labellisée durable ou non ? La ville high tech' de Siemens ou la « solidarité énergétique® » d'Eiffage, semée de capteurs pour piloter en temps réel la consommation d'énergie, ou bien la ville humaine et solidaire ?

Certes, le projet urbain est un élément central des politiques locales, qui prétend articuler les dimensions sociétale, environnementale, économique et spatiale. A cet égard, refusé ou maîtrisé, l'étalement n'a d'alternative que la densification. Le débat qui ne se pose pas seulement en termes de verticalité ou d'horizontalité mais aussi de réseaux, d'alternance des usages, de mixité des statuts de propriété, de temporalité et d'occupation des interstices. Penser la ville post-post Kyoto, en sautant la case vide de Copenhague, signifie accepter le retour du fait vernaculaire. Architectes et urbanistes ont emprunté le mot aux linguistes. Il renvoie à la notion de communauté. A chaque échelle, du hameau à la métropole, la ville est le lieu commun de l'Homme, celui où il s'est le mieux érigé en conscience collective. Pas de ville sans commune. Point d'avenir soutenable sans gouvernance à l'échelle des aires d'influence ni territorialisation des règles. Peu soucieux de contradictions, l'architecte Rem Koolhaas, qui élève trois tours à Rotterdam, s'intéresse ainsi à « tout ce qui n'est pas ville »... Une préoccupation qui ne renvoie pas au rapport ville/campagne mais à la dialectique bâti/non bâti. Ce qui conduit à prendre du recul par rapport aux paradigmes de l'urbanisme savant, princier, juridique et dispendieux des 50 dernières années. Comme le rappelait Pierre Gaudin, spécialiste des territoires de frange, Leroy-Merlin et Lapeyre sont les vrais architectes de la banlieue. Autoconstruction et éphémère doivent revenir en force.

Parler de «non ville» c'est pourtant oublier l'intégration millénaire des villes et de leur périphérie. Pas de cité sans pagus. La banlieue est originellement le territoire – distant d'une lieue de la ville – soumis politiquement et économiquement à l'autorité communale. Le rejet des nuisances en périphérie – usines, dépotoirs, cimetières, stations d'épuration – et la fixation des populations les plus pauvres sont aussi anciens que la ville elle même. Reste qu'il n'y a pas de cité sans constante mutation de l'espace, donc sans cycles de destruction et de reconstruction. Pas non plus de vie urbaine digne de ce ,nom sans porosité, perméabilité entre espace public et espace privé, ces espaces privés partagés dont parle Carmen Santan.

A l'heure du cantonnement des pouvoirs publics dans un rôle de gardiens de l'orthodoxie financière dont les banques ont abdiqué, la mission capitale des investissements publics pour les équipements et infrastructures collectifs retourne quelque lustre. Leur impact transcende d'ailleurs les limites institutionnelles. Comme le note McKinsey, «infrastructure investment is an often-overlooked but crucial way to generate growth and job ». Pas seulement dans les pays émergents.

Pour édifier la ville durable, il ne suffit en effet pas de transformer les immeubles en bouteilles thermos. Il n'y a pas de ville soutenable sans mobilité physique et sociale, pas d'urbanisme durable si les bureaux restent vides faute d'emplois, pas de société équitable si les primo-accédants sont surendettés. Articuler PLH et PDU, mettre fin à l'obligation de réalisation de stationnement, ne plus réduire le rapport espace privé/public au statut de propriété ou encore intégrer les solidarités locales en amont des projets importent autant que de construire BBC.

La ville est d'abord un rapport intime à l'autre. Les oasis qu'imaginent les urbanistes post-Kyoto tendent à devenir peu à peu des cités chères pour les entreprises comme pour les ménages. Avec d'inévitables effets de report et de frange. Gentryfication et bidonvilles, qui renaissent en France, "shrinking cites" aux USA, à l'image de Detroit qui dépose le bilan, pôles innovants, exode rural et pollution accrue des pays en développement. Entre compétitivité et soutenabilité, le maillage solidaire des territoires conserve toute son actualité.

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