VAGABONDE
Sylviane Blineau
V A G A B O N D E
Araser les dunes – monstruosité blanche -
Les dunes modelées par les eaux d'équinoxe,
Puis transformer la lune en réceptacle d'âmes
Où les damnés du monde iraient, maquillés d'or,
Comme bouilloire infâme,
Comme catalyseur...
Les mots ? Je vous les donne,
Les chants? Inventez-les
Pour que votre chanson par les cuivres résonne.
Vagabonde !
Avancer ne m'est rien qu'une suite poivrée.
Pourquoi ?
...Vous demandez encore,
Vous demandez toujours :
J'ai la force des nuits tatouée sur la nuque.
Souvenez-vous des épieux rouges,
Des cinabres orages,
Des amours cramoisies.
Ne plus dormir ! Ne plus rêver.
L'apathie des lacs, en saisir les profondeurs
Où le trouble titan sommeille avec l' aspic !
Résister,
Invoquer les forces directrices.
...Ma chimie : en grisé retranscrite
Avec le sang des arrivistes.
Passerelle aux à-pics,
Mère des longs sentiers,
Je mâche sans répit le liquide irisé
Car, de l'eau - sa trace éphémère et transpirante -
Car, de l'eau je ne bois que la nage des heures.
Iridescent, mon œil s'empare des symboles,
Déstructure demain,
Reconstruit le maudit..
Iridescent, curieux, sonore en ses vagabondages.
Construire son radeau, l'enorgueillir de plumes
Descendre des rivières,
Deviner les rives ombreuses,
Dériver sur l' écume empoisonnée,
Et puis -solitaire et solide -
Ramer, ramer. Ramer...
Mes courbes cicatrices ont encore gardé
L 'empreinte des agrafes au métal incurvé.
Jamais je ne les lisse.
Du combat singulier je ne dirai l'histoire,
Ce n'est que vérité :
Jamais je ne les lisse.
Pas de larme ni cri, pas de plainte non plus,
Mais l'oubli de ce pus qui nécrosait mes chairs.
...L'embryon ne s'étiole où le cordon l'abreuve.
Les attributs des reines autrefois glorifiées
Au musée se disloquent
En une odeur de rance.
Tenir le sceptre d'or, le globe et la couronne
Empierrée de gemmes et de cristaux ?
Avoir sur les épaules une cape d'hermine ?
Pour cette figuration d'épouvantail,
Oubliez-moi.
N' oubliez pas les mots, les couleurs, ni les rythmes.
Les solitudes surpassant l'inaccompli ,
Brûler pour l'inconnu entraperçu un soir,
Happer la lune rousse à portée de regard,
Ne pas vouloir quitter la nuit exploratrice
Croire, croire encore.
Sur mes chemins d' estives
Gravir avec lenteur la caillasse argentée.
Par les prairies de juin exubérantes,
Les buis centenaires,
Les abris de bergers,
Je n'étais que gémeau – bleu du ciel -
Tramant de mes mots lions les écrits à venir.
Puis, tout là-haut, la lumière vibrante :
Les sommets de vigie.
Sur le blanc de la feuille blanche
Je déroule un long fil ,
Jouant avec l'alphabet de ma langue.
Et je n'entends les voix d'orage
Et je ne sens les plis du vent.
L'errance n'est pas un parcours.
Elle n'est qu'un lacis d' épousailles factices
Mourantes au mouroir des ombres.
L'errance n'est vagabondage ;
Pas la même légèreté,
Pas cette liberté recommencée,
Voulue, reprise.
Mon essentielle.
Joyeux vagabondage
D'étincelles et de brasiers !
Savoir libérer tous les sens,
Briser les liens,
Dénouer laisses et lassos.
Aller sur les routes montantes
Tracer le fil presque nuage...
Le bleu vire au rouge incarnat
Tandis que l'horizon vibre sous le regard.
Mirage !
Mais vivre d'illusions, rongée de riens semblables
A des failles de feu.
Rongée.
Debout.
Jamais rangée.
Des foudres j'ai gardé les axes rugissants,
Parapets des ponts parallèles.
Sans scories, je brûle, désormais seule...
Blanche sous le soleil,
- Un cheval andalou -
Apprendre à danser lentement,
La crinière tressée de rubans rouges...
...Pour mieux ruer !
Dans le grand feu de l'écriture
- Etincelle bleuie telle au vent la pervenche -
Brûler avec les mots-tisons,
Renouvelée.
Descendre encor le fleuve aux tourbillons zébrés,
S' échapper parmi les fleurs d'eau
Et vouloir s'arrêter sous les nuits d'équateur.
Sans ignorer les étoiles éteintes.
...Ni le couchant levé ?
Souviens-toi des projets morts-nés,
Souviens-toi des liqueurs foétales,
De mes bras en attente.
Souviens-toi de ce mal qui nous laissait mauvais.
Vagabonde,
Il n'est que l' attachement du vocable
Pour rythmer tout mon temps,
Là où bondissent les secondes
A travers les tissages lâches.
Je crierai dans le vent, userai mes semelles
Et grifferai mes doigts aux ronciers des chemins.
Voie autonome !
Si un chien vient vers moi, je lui dirai l'aurore
Rose, cuivrée soudain,
Que nous avalerons ensemble.
Je lui offrirai les trois coloris primaires,
Les tons rompus, complémentaires,
Lorsque mon pinceau ne sera plus qu'un cheveu.
Nous aurons des festins d'embruns
Sur des nappes de landes,
Accrochant la lumière aux faîtages des arbres.
Je le caresserai pour adoucir la nuit,
M'endormant contre lui dans un soupir profond.
Puis, un soir, lui ferai connaître mon radeau...
Nous irons loin, plus loin que les roues des lavandes,
Hors des champs de soleils.
Nos rames seront passeroses
Et nous, hurleurs sous les astres cloutés.
Continuant toujours, en mastiquant des mangues,
Nous aurons des projets
Transcendants.
Les cils roux recourbés en esses,
Le chien lèvera la patte,
Heureux,
Marquant d'un jet mes traces...
...Grande félicité : ah, rester chien sur le radeau !!!
Apercevoir la terre,
N'y mettre pas les pieds,
Faisant fi des obligations humaines.
Comme dans une tour sur un plancher de glaise,
Avancer doucement.
Rire à contre-courant, toutes lèvres ouvertes...
Vent quelquefois moi-même, hurler !
Sans restriction, sans pudeur. Gourmandise !
Devenir mauve sous la lune,
Rester mauve pour mieux choquer
Le fleuve et ses jacinthes d'eau.
C'est alors que les mots redeviendront possibles :
Ingurgités au gré
Des humaines passions,
J'aurai accumulé leur chair...
Ils se seront mêlés à mes parfums intimes,
A mes liqueurs.
Mots amours, mots amants,
Sonorités d'orchestres fauves,
Ponctuation déchiquetée...
Là, sur le fleuve gris cranté de ciel,
Là,
Pourrait arriver le pire.
Et, pour cela, m'y désincruste en songe.
Le chien dort bruyamment.
Il a les os, les os du monde
En ses rêves
De vieux canidé jaune.
Une impressionnante et florissante rivière d'images dont le flot redéfinit les contours de l’Émotion !
· Il y a plus de 9 ans ·Florent Michel