VAMP

Lesaigne Paracelsia

Painting by Aykut Aydoğdu © [Recueil De Haïr Je Ne Veux] Socièté des écrivains

Sa silhouette traversait la ville tranquille, dans une robe longue qui lui collait à la peau. Elle déambulait comme chaque soir dans ces rues sales, les larmes aux yeux et le visage extrêmement cireux. Plus les soirées s'effaçaient, plus son teint prenait un aspect cendré. Ses yeux d'un bleu intense accentuaient ce masque mortuaire qu'elle se plaisait à façonner. Elle semblait haïr la solitude et verser des larmes amères, pleines de regrets, pour de nouvelles soirées d'échecs.


Au bout d'un mois, elle faisait fuir les gens sur son passage, ne sortait plus le jour. Malgré sa maigreur, quelque chose, quelque part, réclamait la nourriture qui lui permettrait de tenir encore debout. Ses yeux se posaient sur vous et criaient famine ; cela faisait fuir les enfants, les femmes, mais les hommes s'approchaient, les hommes se perdaient pour ce cadavre ambulant. Amas d'os qu'une peau fine ne pouvait plus cacher, elle se maquillait et se parait de trésors clinquants assortis à ses effets moulants d'un rouge vif, cramoisi, comme le carmin de ses lèvres brillantes.


Aussi, la créature entraînait ses prétendants dans des coins sombres puant la pisse et la misère, pour sentir entre ses cuisses cette force nouvelle qui la ferait tenir encore. Le cadavre ambulant s'abreuvait au cou de ses hommes ensorcelés, enfonçant sans ménagement ses crocs argentés dans la veine où circulait la vie, puis elle refermait la mâchoire, les yeux grands ouverts pour me regarder avec une lueur effrayante de désir. La semence entrait en elle, dans ce puits mystérieux pour commencer sa course à l'intérieur de ce ventre abject, cette ouverture qui s'entrouvrait pour broyer le corps de ces prétendants que la mort faisait jouir encore en elle. Je regardais sans plaisir, avec un dégoût certain, cette femme qui continuait à broyer les cartilages et la chair de sa victime, par son antre, sa bouche et son sexe. Le bruit de la viande que l'on arrache comme du papier ne m'était pas mélodieux, le son de ses os que l'on craque et que l'on suçote ne me procurait aucune joie.


Le cadavre ambulant ainsi rassasié se lèchait comme une chatte qui ferait sa toilette avec minutie, et se tourne vers moi, la peau claire et les pommettes saillantes, pour me sourire.


Plus blafard encore est ton visage sous l'éclat de la lune, plus glaçante est ta beauté neuve, plus effrayant est ton sourire, maman.


Nouvelle issu de "De Haïr Je Ne Veux" aux éditions Socièté des Ecrivains" 2012

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