Vanité

Philippe Vivier

Il est vain de croire que l'intelligence pure répond à toute chose,

Surtout quand on lui assigne de répondre - à deux, ou trois, petites gloses.

Il est insane et périlleux, corporellement et mentalement, de croire que l'esprit,

Abstrait du commun et du trivial, transcende l'humanité, sa propre humanité.

Inconscient d'imaginer, résoudre en l'état, en principes, l'incongruité de l'âme.

J'ai taillé une carotte 2/3, un oignon, décongelé une rachitique escalope,

Mitigé la viande de pincées d'ail, de gingembre et de ciboulette,

Mariné l'ensemble, à jus de soja, en pis-aller, en mariage d'épithètes grossiers,

Et je suis là, à maugréer au balcon de l'étrange mixture…

M'intimant tout l'allant que j'ai dans ma tripe,

Me rappelant les lettres de motivation que je n'ai pas écrites,

Et me contant le rebus annoncé d'un manger hirsute.

Devrais-je manger ? Ce piment que j'ai rajouté ?

Ça vient. De loin. Ça mûrit et c'est si long.

C'est si pénible d'arriver à l'état de conscience.

Je pressens mes issues. Elles me font si peur,

A me dédouaner par avance de l'échec, de n'avoir pas franchis,

De rester l'immobile qui me rassure…

Chaque pas est un microsillon, qui ne produit rien en soi,

Et pourtant, en intime, on sent qu'il passe, qu'il s'inscrit.

J'ai ma moitié de vie foutraque, révolue, cramoisie,

Et l'autre qui se tend, cet élastique si fragile, qu'une lame affutée,

Cachée là, au détour, sectionnerait.

Je dois absolument faire, d'un état spasmodique,

Une raison d'exister, une formidable espérance,

Sans raison, m'extirper, et faire qu'au moins,

Ma vie n'est pas été stérile, à défaut d'être utile.

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