Vapote after sex

Caroline Hopkins

Rencontres en temps de pandémie

La pandémie de l'amour s'installe, ou plutôt celle des rencontres. On y prend goût. Cette fois-là, j'ai craqué sur le nom du profil : le titre d'une chanson de Radiohead. En même temps, il faut se méfier de ces profils trompeurs qui empruntent des références qui leur sont, en fait, étrangères. Pourquoi le font-ils ? Ca doit être cool d'être fan de Radiohead au point de s'accaparer le titre d'une chanson. Mais je m'égare. Je ne connais pas le bonhomme. Je fais le premier pas et, bien sûr, le teste sur la musique. Je suis déjà tombée sur un « fake » et, de nature confiante, avais négligé un petit travail de recherche préalable. Et oui, vous l'aurez deviné, la musique est importante dans ma vie. Là, le type est vrai. Il ne peut pas prétendre. Nous avons des goûts musicaux similaires, c'est un début.


Mais le bla-bla via Tinder, Messenger ou autre WhatsApp, ça va 5 minutes. Je lui suggère une rencontre. Nous sommes en pleine période de couvre-feu, doublée d'une psychose grandissante de la population à l'approche des fêtes… Il est d'accord. Comment faire ? Je lui dis que je serai de passage dans sa ville pour le travail. Ce jour-là, il est libre à partir de 19h. Le couvre-feu commence à 20h. Bref, ça passe ou ça casse. Il me donne son adresse. « Appelle moi quand tu es en bas, je descendrai t'ouvrir ». J'arrive à l'heure, je m'exécute. La devanture de son immeuble est étrange, une sorte de bâtiment des années 90, très moche. J'appelle, il descend, je le suis. « C'était un hôtel ici, pas un trois étoiles… Les chambres ont été reconverties en studios ». Puis il me laisse rentrer dans le sien, une antre de vieux garçon, au décor minimaliste, essentiel, propre, un duplex avec la chambre au premier.


En fond sonore, The Foals. Il a prévu un petit bourgogne léger. J'ai ramené du fromage. On se fait des tartines. C'est facile avec ce grand type presque décharné. Il a un côté geek - il bosse dans l'informatique -, un poil obsessionnel avec la musique, ça nous fait un sacré point commun. Très vite, je lui demande si je peux rester dormir car le temps passe vite, il est presque 20h et je ne me vois pas prendre la route, sous la pluie, déjà trop alcoolisée. Ce serait me jeter dans la gueule du loup. « Bien sûr ! J'avais un peu prévu ». J'aime sa franchise. Il est direct. Alors, nous entamons une autre bouteille de vin, nous bavardons, la finissons. Il n'y a plus rien à boire et il me propose de monter, de partager son lit. A vrai dire, la possibilité de dormir ailleurs est compromise alors j'accepte sa proposition de dormir dans cette ancienne chambre d'hôtel. Je prends une douche puis me réfugie, nue, sous sa couette. Il me rejoint et commence les embrassades, les accolades. Il est sec, tendu, presque brusque. Je sens ses os, ses côtes qui, à certains moments, me font presque mal. Il est encore plus maigre que je l'avais imaginé quand il était habillé. 


« Excuse-moi, je suis fou fou ce soir ». Il s'arrête, se met à vapoter. « J'ai arrêté de fumer il y a 4 ans ». D'accord, vapote, détends-toi surtout, enfin essaye… Moi, je n'ai pas envie de me mettre en quatre pour ce type certes attachant mais inconnu. Je me sens bizarrement paresseuse. « Je suis vraiment crevé, c'est le boulot, c'est super stressant en ce moment ». OK. Puis, il refait une deuxième tentative, plus concluante mais toujours aussi osseuse - d'accord, ce n'est pas de sa faute - et un brin maladroite. Il n'y a pas vraiment de tendresse dans ses gestes. Il est sur moi, enfile un préservatif et me pénètre. La jouissance vient rapidement, pour lui. Et moi, je reste là, sous ce corps dégingandé, sans bouger. Puis, le désir du vapotage post éjaculation l'emporte. Sa froideur ne m'empêche pas de vouloir le toucher, le caresser. Je lui demande si ça le dérange. « Ah non, pas du tout, au contraire ». Mais, en retour, il ne donne rien. Je n'arrive pas à sentir s'il ressent quelque chose. C'est une drôle de situation. Elle me met mal à l'aise, crée une sorte de déséquilibre. Est-ce que c'est moi, est-ce que c'est lui ? Est-ce cette vieille peur du rejet qui reprend le dessus ? Ou l'histoire du type d'avant qui m'avait dit que, finalement, physiquement, je ne l'intéressais pas ?


Lui vapote. Il est temps de poser des questions intimes. Il m'avait « parlé » via messages interposés d'un parcours de vie à embûches. Et sentimentalement, de longues relations ? « Oui, surtout une mais j'ai perdu ma compagne. Elle s'est suicidée ». Mon corps se fige mais le semblant d'intimité que nous partageons prend le dessus. « Que s'est-il passé » ? « C'était il y a longtemps, elle était très anxieuse, surtout chaque année aux moments des examens. Elle a voulu s'isoler un weekend pour bosser dans une maison à la campagne. Le lundi, je n'avais pas de nouvelles. Je me suis inquiété et je suis allée voir. Je l'ai trouvée, pendue ». Comment réagir à ce genre de confession ? Il n'y a que le silence… qu'il brise vite. « Mais ça fait longtemps ». Il ne manifeste aucune émotion particulière, il vapote, non stop. Puis il me dit qu'il aimerait essayer de dormir. Je me tourne et lui laisse l'espace dont il a sans doute besoin. Je ne peux pas fermer l'oeil, je ne sais pas dormir avec un inconnu. C'est trop intime. En temps normal, je serais partie, j'aurais trouvé refuge dans ma petite voiture, le chauffage à fond et en rentrant, n'aurais jamais autant apprécié le retour en territoire connu, protégé, une fois ma porte fermée sur le reste du monde. 


Le petit matin arrive et marque enfin l'heure de levée du couvre-feu. Il m'entend me lever. « Tu pars déjà ? ». Oui, je pars déjà mais je me débrouille, ne t'inquiète pas. Il se lève quand même, m'accompagne en bas. Il s'excuse une nouvelle fois d'avoir été un peu fou-fou la veille et d'être aussi fatigué. Je pars rapidement, sur un « j'ai passé une bonne soirée de sa part ». Moi aussi, merci ! Aucun mot sur le devenir de cette histoire-là ni de son côté ni du mien. Je verrais bien s'il m'efface de ses contacts ou s'il y aura des suites. Pour l'instant, je retrouve ma petite voiture, ouf, elle démarre et, chauffage à fond, je m'enfonce dans la nuit brumeuse d'un petit matin de décembre. Je ne sais pas encore s'il s'agit d'une fuite ou s'il y aura une suite. 


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