Variation #1

Colin

Guerre et paix, WAR IS PEACE

    Cela faisait à peu de choses près quatre jours que Samuel était planté là. Quatre foutus jours, c'est le temps qu'il avait fallu avant que se manifeste la moindre occasion de faire son job. Mais c'est comme ça qu'on lui avait présenté la tâche avant qu'il ne signe et commence l'entrainement. «Boulot de merde» s'était-il répété pendant quatre jours alors qu'il bouffait des pois en boite et se soulageait dans un vulgaire pot qui trainait dans un coin du bâtiment à moitié détruit dans lequel on l'avait largué il n'y avait même pas une semaine. C'était apparemment un point stratégique sur la carte et il allait être d'une priorité absolue de ne rien y laisser filtrer. «Rien». Ça l'avait fait marrer. Ils entendaient surtout «personne». Bref, pendant ce temps là, il était ici à attendre que quelque chose se passe. Il n'avait pas le droit de parler à la radio, et on lui avait ordonné de faire le moins de bruit possible. Ce qui voulait dire aucun.
    Il avait placé en plein milieu de la route qu'il surveillait un de ces détecteurs de mouvements haute technologie qui faisaient la fierté des haut-gradés. Dès que quelque chose bougeait à moins de 500 mètres, un espèce d'anneau vibrait autour de son poignet. Ce après quoi Samuel devait regarder dans sa lunette. Cette zone était censée avoir été démilitarisée il y a des semaines, mais la guerre durait depuis 5 ans déjà et un certain nombre de soldats perdus trainaient encore dans le coin. Parfois, c'était même des miliciens solitaires qui traversaient la ville en ruine, seul, payés par Dieu seul savait qui et prêts à descendre à peu près tout ce qui vivait encore. C'est ceux-là que Samuel était chargé d'abattre. Pour les groupes (il n'arrivait pas à abattre efficacement plus de trois personnes en une seule fois), Samuel devait prévenir les renforts qui se situaient quelques kilomètres derrière lui. Il s'occupait donc des solitaires et des petits groupes. Grossièrement, il faisait le travail de repérage, le début du nettoyage, et des troupes plus loin faisaient le gros du boulot.


    Abattre une seule personne était un véritable jeu d'enfant pour lui, mais dès qu'ils étaient deux la situation se complexifiait : il fallait trouver le bon moment, le bon angle, attendre qu'ils soient dans un bon alignement pour qu'il puisse les descendre avant qu'ils n'aient le temps de fuir. Si jamais les trois n'étaient pas descendus, Samuel était repéré et il fallait tout recommencer, retrouver le détecteur de mouvement, empaqueter toutes les vivres et tout le matériel en prenant soin de ne rien laisser derrière lui. Après cela, on devait lui retrouver un nouveau lieu sur lequel se poster et la même danse se rejouait encore et encore. C'était déjà le 5ème lieu qu'on lui affectait depuis le début de l'année. Il était resté 54 jours dans sur son ancienne position, et avait descendu à peine 23 rebelles. Le 54e jour, il avait merdé. Dans un élan héroïque il avait tenté de descendre un groupe de 4. Il ne sait pas ce qui l'avait poussé à faire ça. L'ennuie, sûrement. Comme si on ne lui avait pas assez rabâché pendant sa formation. Le 4e mec eu tout le temps de fuir à sa guise. Putain, il s'était pris une sacrée soufflante.
    Dans l'armée, on apprend très vite à ne plus en avoir rien à faire de se faire hurler dessus. Samuel s'était pris des remontrances digne d'un film américain, sans broncher, sans sourciller. S'il avait assez de cran pour être sniper, ce n'est pas se faire gueuler dessus qui lui ferait perdre pied. C'est d'ailleurs son calme inébranlable qui l'avait fait choisir ce métier. Ça et la possibilité de descendre des gens. Ça faisait à peu près trois ans qu'il était sur le front. Il s'était engagé quasiment au début du conflit, et après un peu plus d'un an de formation on l'avait parachuté dans ce trou à rat, dans le pire endroit du monde et il devait faire le tri dans cette chierie en liquidant des mecs qu'il n'avait jamais vu de sa vie. Et ça lui plaisait. En trois ans il n'avait jamais eu l'occasion de le dire, mais il adorait ça.

    Ça faisait  4 jours qu'il était sur sa nouvelle position et il n'avait pas vu âme qui vive, jusqu'à ce moment précis où il sentit son poignet vibrer. Il jeta un coup d'oeil dans sa lunette et aperçu un milicien déambuler avec un fusil mitrailleur sous le bras. Ces mecs seuls étaient en général des cinglés qui avaient littéralement pété les plombs pendant le conflit, et qui avaient fini par errer à la recherche de quelqu'un à moissonner. Ami, ennemi, ces gars avaient massivement cramé leurs fusibles face à l'horreur de ce qu'ils avaient vu lors des combats. Pour la plupart, c'était juste des gamins paumés qui n'avaient pas trouvé de meilleurs boulot que de fusiller les opposants au plus offrant. Samuel avait tiré sur beaucoup trop d'adolescents depuis qu'il était là.

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