Variation sur Natacha 2
Fabrice Lomon
Variation sur Natacha
Je pense que Tom ne vous a pas parlé de moi, et pour cause. On ne se vante pas d’avoir été floué par une salope, n’est-ce pas ! Vous croyez cela vous aussi, eh bien soit.
Je m’appelle Natacha Volther. J’affectionne tout particulièrement le vocable de salope qui, je dois le dire, me semble plus évocateur que chérie qui n’offre qu’un champ de consonances plutôt suranné et protecteur. Or je me revendique de l’engeance des salopes. Non que je le crie haut et fort sur les toits, mais simplement je m’évertue à vivre en tant que telle. Alors surtout n’allez pas hâtivement tirer des plans sur la comète, on ne me voit pas aux paliers des bordels, pas plus arpentant les trottoirs de la ville. Je ne suis pas une pute, je suis une salope.
Comment en suis-je arrivée là ? Cela reste une question de choix, de destinée peut-être, de philosophie sans doute ?
Mais vous comment êtes-vous arrivé là où vous êtes maintenant ?
Bref, je ne suis pas ce qu’on pourrait nommer nymphomane, je ne fais que peu l’amour.
J’ai rencontré Tom dans le salon cossu qui sert de salle d’attente chez Miléna. Miléna est chirurgien dentiste, et précisément ce matin, comme chaque semaine, je me rends dans ses murs pour mon examen buccal. J’ai passé avec Miléna une sorte de contrat annuel, car il m’est nécessaire d’avoir un suivi très sérieux. Miléna et moi, quoique très différentes, sommes devenues amies. Parfois nous nous retrouvons dans un restaurant de la ville, et ce soir là je fais relâche, pas d’excentricité, non Miléna ne souffrirait pas que je pratiquasse en ces soirées si délicieuses. Nous parlons d’elle, de sa vie, de son goût pour le Kendo, de ses voyages.
Outre mon contrôle de semaine, je porte aussi un appareil de contention la nuit, afin de prévenir un éventuel glissement de mâchoire, ce qui serait fâcheux convenons-en.
Je ne suis pas non plus une goulue du sexe, non je pratique avec parcimonie, avec légèreté, tout va vite, tout geste est enlevé et rapide. Voilà je crois, la recette pour durer.
A la périphérie de ce petit manège pornographique, j’ai connu un amour, une liaison dirais-je après coup, car l’amour lui, dure et perdure. Tout cela finalement ne fut que feu de paille, car bien entendu, la belle Léa est arrivée troubler tout ça, et les tourtereaux se sont fait la belle. Je croise de temps à autre John Alex qui fait bien ce qu’il peut pour vivre depuis le départ de Léa, quelle triste mine il a.
J’étais assise, attendant patiemment que l’assistante de Miléna me vienne chercher et ma foi, Tom qui se tenait la mâchoire à deux mains, me semblait un peu comme un petit garçon un peu rigolo dans son habit de douleur. Je pris fait et cause pour le métier que pratiquait Miléna et l’intérêt que nous avions à de régulières visites de santé. Tom, tout comme le commun des mortels, m’avoua se conduire en insouciant et cela jusqu’au mal, jusqu’à l’infection.
Je revis Tom et notre liaison s’avéra solide et régulière. Nous faisions l’amour, nous sortions dans les endroits pour danser et rencontrer des amis, et même, je l’avoue j’avais levé le pied sur les activités que j’affectionnais alors. Tout a basculé le jour où nous nous sommes mis en quête d’une demeure pour John et Léa. Elle est arrivée et tout de suite le courant est passé entre eux sans que j’en puisse sortir la tête de l’eau. L’élégant John n’y vit que feu et brouillard.
Mais alors me direz-vous, qui de Léa ou de moi s’avère la salope de l’histoire ?
J’ai trahi les traitres, y a-t-il acte répréhensible pour la morale, qui peut de cela se porter juge ?
Leurs après-midis de pédagogie me sortaient par les yeux, seul John marchait dans la combine ou qui sait, se contentait de ce qu’en disait la belle Léa.
Ainsi instaurais-je, contre mon silence, un petit virement sur un compte alimenté par la belle Léa qui ma foi, sans me consoler de ma peine, me permettait quelques faux frais dans les boutiques de la ville.
Mais vous le savez bien, rien ne dure. John a découvert le pot aux roses et conséquemment j’ai perdu ma rente !
Voilà pourquoi Tom pense que je suis une salope. Je n’ai fait que reprendre en liquide ce qu’on me prenait en nature.
Ainsi je m’effaçais dans une affliction prolongée et mon goût pour les histoires d’amour diminua jusqu’à disparaître. Mais si l’amour s’en va il n’en reste pas moins les besoins du corps. Or ne faisant pas vœu de chasteté, je décidai de multiplier les rencontres. Ah ! Des rencontres j’en eu, mais j’avais pour moi un code de déontologie. Jamais oh grand jamais de coït. Jamais plus de quinze minutes pour un acte sexuel. Or, faisons si vous le souhaitez, l’inventaire des actes spontanés et rapidement exécutés :
La pénétration ni vaginale, ni anale, je n’en avais cure.
Le sado maso, banni par manque de temps, et par répulsion aussi.
Zoophilie bah !
Stoppons là cette liste non exhaustive, nous passerions pour des vulgaires. Oui, vous comme moi le savez. Vite fait bien fait, se pratique :
La fellation.
Les hommes modernes en sont si friands. Ils en parlent entre amis, ils jaugent nos qualités de femme à notre savoir-faire en la matière. Que notre bouche soit fardée et voilà que de suite, elle la suggère. On en parle dans les magazines, on taxe lourdement les films qui la promeuvent, pour alimenter les caisses de la culture théâtrale, alors c’est dire si la pipe est intrinsèquement ancrée dans le monde des arts. Surtout n’allez pas croire que je fus une praticienne née, que je suis plus apte que votre petite amie, ou votre petit ami, non c’est un hobby que j’affectionne particulièrement voila tout.
Vous faites de la voile, vous faites du stretching, aussi de la peinture, vous écrivez des chansons peut-être, moi je fais ce que je veux, comprenez-vous ?
Voila la raison pour laquelle je me rends si souvent au cabinet de Miléna. Je me dois absolument de surveiller la moindre fissure, l’infime carie. Miléna pratique avec délicatesse et grand professionnalisme, et une grande confiance entre nous s’est installée, car je suis sujette à risque, vous l’aurez deviné. De surcroit je suis allergique au latex alors Miléna s’exécute sans gants. Mais je vous vois narquois soudainement, bien entendu, je réfute tous les latex, aussi vos préservatifs messieurs. Natacha, pour votre gouverne, œuvre sans filet, n’est-ce pas bon de savoir cela ?
Je fais fi des lieux sordides et bien trop synonymes de transgression, non j’aime les grands cafés aux moulures mordorées, j’aime les chambres d’hôtes, et les campings trois étoiles. Je me vais parfois prendre un chocolat au Domaine de Vaugouard là où travaille mon amie Karine, qui m’a-t-on dit, aurait eu une liaison durable avec Tom. Le monde est si petit et les réseaux si peu étendus. Nous ne sommes que de petits habitants de petites parcelles et, nos vies fourmillent de choses que nous prenons pour de l’exotisme. Mais non, les fjords et les plaines désertiques, comme les roches ocre et l’espace entier du Montana, ne sont pas pour nous, qui sommes confinés, qui sommes dans nos prisons, voilà tout.
Ainsi au Domaine, me jetant un œil de Latin Lover, un pauvre riche industriel, se vit vider de sa substance en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Je fus en un bon sur le palier de sa chambre et le dégrafai alors même qu’il cherchait la serrure.
Après on me proposa un petit nuage de lait dans un grand café. Allons pour le café, je remerciais poliment pour le petit nuage !
Karine comptait au nombre très restreint des amis qui me respectaient pour ce que j’étais. Je l’en remerciais. Je traversais le Domaine et, faisant de son mieux pour me saluer, l’homme d’entretien me donna du bonjour Mademoiselle Volther comme un bon père de famille. En appui instable sur son taille bordure, il frôla l’arrêt cardiaque, quand à ses genoux, protégée de la haie de baies vermillonnes, je le suçai laissant filer son foutre bien au fond de ma gorge. Les petites gens n’ont pas le plaisir facile. Aussi à peine remontai-je dans ma petite voiture que le pauvre homme me traita de salope. Soyez dévouée pour votre prochain !
Lasse de ce monde inique, je rentrais chez moi, pris un bain, pris un bain de bouche et dormis jusqu’au petit matin. Le facteur n’était pas loin, je lui étais redevable d’un petit service !
Vous pensez peut-être, car nous avons bon nombre d’idées préconçues, que pour ces plaisirs buccaux, je fais œuvre de vénalité, bien entendu non, non j’ai un métier, moi monsieur !
Je suis formatrice de, -Nouvelles Technologie de l’Information et de la Communication- technique et communication ouah ! Et c’est bien plus que cela, c’est une passion, oui. Il va sans dire que sur mon lieu de travail, je suis prude et réservée, vous savez ce qu’il en est des salopes, on les trouve parfois coutumières, traditionnalistes, tout comme si le conformisme était le paravent de la débauche, mais c’est peut-être là que se niche le vrai luxe de la vie.
Aujourd’hui je me décide à courir les rues de ma ville, le temps me pousse à être chaland et touriste de ma cité. Il y a du soleil, des rues bondées, des échoppes, les gens ici ont l’air heureux, eh bien c’est heureux !
Ajouter du bonheur au bonheur, n’est-ce pas là concourir pour un Nobel de la paix ? Allez, trêve de plaisanterie, je file.
Messieurs, combien votre ennui semble profond, quand madame, enfouie dans le mont de frusques qu’elle essaie dans la cabine, vous plante là, comme un vulgaire teckel. Oh ! La peine que j’ai de vous voir si seul, petit être hors de son monde de compétition, de copains et de bolides.
Elle vous a chassé car vous troublez sa concentration, vous avez peu de goût pour l’activité qu’elle exerce et de toute manière, elle fait peu de cas de votre avis sur la question. Mais voyez où je me trouve, je jouxte la cabine de votre moitié, approchez donc un peu. Si vous serrez bien les mâchoires, si près qu’elle soit, elle ne vous entendra pas jouir, si peu que les étoffes couvrent les bruits alentour.
Oh ! Je passe à peine mon visage dans le pan du rideau qui me sépare de vous.
Approchez, n’ayez pas de crainte, j’ai l’habitude, l’expertise est journalière chez moi. Voilà vous vous sentez partir, mais attention ne baissez pas la garde, je suis à genoux, voyez cette dévotion, voyez cette abnégation, il y a du christianisme dans tout ça. Voilà ça vous a plu ? Allez, filez, elle aura bientôt besoin de vos services. Eh ! Passez le mot à vos congénères, je suis en forme, merci !
Ainsi je fis bien la chose quatre à cinq fois, mais franchement la dernière fut si agréable que j’en eu bien redemandé, si la pétasse qui jouxtait la cabine d’ouvrage, n’avait troublé mon jeu en assommant son mari de paroles plus exigeantes les unes que les autres. L’humiliation est l’affront que je réfute le plus. Croyez-vous que le pauvre hère eut maitrisé la situation, si démuni de calories qu’il fut. Eh bien, comme investie d’une mission de sauveur, je vengeai mon amant de quelques minutes en rendant à sa mégère la semence bien au creux de son escarpin. Avec délicatesse, l’agrippant du bout des doigts, j’y bavais la semence et le remis avec la même préciosité aux pieds de madame. Maigre punition convenons-en, mais les petites pénitences bordent le chemin de notre Père, chaque jour de notre petite vie. Je fus dans la rue avec cette légèreté, avec le bien-être de ceux qui œuvrent pour le meilleur de l’humanité.
J’aime les villes de province d’importance, théâtres et musées sont des lieux qui confèrent un lien étroit avec la sérénité et l’envie d’embrasser la culture sous tous ses genres. Ainsi je me rendis au musée d’art moderne. Devant un Modigliani, je suçais un petit grand-père que la vie semblait avoir posé là pour les siècles des siècles. Après on eut dit qu’une vie nouvelle l’enveloppait.
Dans un carré sombre réservé à Egon Schiele, je suçais deux japonais en simultané. La France était bien le pays formidable qu’ils pensaient alors ! Ils se confondirent en courbettes alors même que je n’étais presque plus dans leur champ de vision.
Je traversais le musée, gardant, excusez-moi du peu, la bonne bouche pour le sous-sol. Là l’endroit est propice à toutes les rêveries. Nous avons des pans entiers de murs habillés des chefs d’œuvres de Hopper, Thomas Eakins c’est toute l’école américaine qui s’étale devant nos yeux. J’ai quelques heures pour vivre ici, alors que feriez-vous de ce temps trop bon à vivre ? Vous feriez ce que je fis devant chaque toile, je me mis à rêver. Rêver des vies de bohême, des vies de modèle, de muse, d’ateliers encombrés le soir tard, alors même que le peintre à demi saoul vous fige dans votre nudité de femme jeune, et qu’aux yeux du monde vous demeurerez à jamais cette compagne énigmatique, marquant du sceau de votre pureté les âmes les plus vagabondes.
Sortie de ma rêverie par le gardien, je le remerciais de m’accorder quelques minutes à moi seule. A-t-on souvent la chance d’avoir un musée à soi dans une vie ? Pour si coopérant qu’il fut, je le remerciai grandement d’une fellation qui tenait d’une véritable effusion de lave. Ne pouvant contenir tout son foutre, je continuais à branler son engin qui se répandait sur la dalle fraiche en véritable flaque. Quand le bonhomme fut à genoux, je m’éclipsai sans autre forme de politesse. Trop en faire eut été parjure.
Je pressai le pas car j’avais rendez-vous avec Miléna dans une taverne alsacienne au cœur du quartier piétonnier. Juste le temps d’un petit brossage de dents et d’une ingurgitation de solution buccale et je suis en face de mon amie. Le repas, quoiqu’agréable traine un peu en longueur, du ressenti de Miléna, car oui nous allons au théâtre. Je vous dirais franchement que si ce n’était la compagnie de Milé, je serais au fond de mon lit. Oui les pièces d’Olivier Py sont tant d’ennui et de moments perdus que j’y préfère, et de loin, l’horizontalité de mon Dunlopillo. Bref je supportais le pire pour le bien-être de Miléna. Nous nous quittâmes après un chocolat dans un pub branché de la ville.
Je me devais d’être lucide car les jours qui suivaient m’envoyaient vers un séminaire sur les Nouvelles Technologies de l’Information.
Trois jours si éprouvant que j’en sortis épuisée. Rendez-vous compte, j’étais le seul élément féminin pour quinze cadres plus saillant les uns que les autres. Je visitais l’intimité de chacun d’entre eux et ce, chaque soir que dura la session, alors mesurez mon abattement, qu’en serait-il de votre santé, à vous autres ?
Nous nous quittâmes en nous laissant des numéros de portables qui bien entendu, resteraient lettre morte.
Après ces jours intenses, j’avais droit à un repos bien mérité. Ainsi je sautais dans le petit cabriolet MG loué par le commanditaire et traversais une partie de la France, pour me rendre dans les moyennes montagnes. J’y franchis quelques ponts de pierre, quelques chemins défoncés, enfin j’aperçus le chalet de bois de mon grand-père. Il me serra et m’éloigna de lui, constatant à quel point la petite Nat était devenue une jolie femme. Tu dois avoir tous les hommes à tes pieds, fit grand-père, non, c’est moi qui suis à leur pieds fis-je avec ironie.
Nous entrâmes dans le chalet, ça sentait la vie. Quelques chanterelles frissonnaient dans une grande poêle, il restait à battre les œufs.
Cabernet Sauvignon, Bleu d’Auvergne, pain rustique, ne trouvez-vous pas que la vie me va bien ?