Vendredi après-midi

aude-rival

RESUME :

C’est l’histoire d’un groupe d’amis d’enfance qui ont maintenant dans les 35 ans.

Lara est veuve avec une petite fille. C’est une femme tranquille et sereine .

Jacques et Fanny sont mariés, sans enfants. Jacques, c’est le bon copain sur qui on peut compter, un homme qui inspire confiance. Fanny est son contraire : ultra-féminine, frivole mais carriériste.

Nico est le rigolo de la bande. Il vit en couple avec Audrey et ont deux petits garçons infernaux. Il ne sait même pas comment il en est arrivé là, car Audrey, elle, n’est vraiment pas marrante : grosse, frustrée, complexée.

Lara et Jacques sont amants. Des amants passionnés. Ils s’aiment vraiment et passent tous les vendredis après-midi au lit. Evidemment personne ne le sait.

Fanny et Nico sont aussi amants et passent tous les vendredis après-midi à l’hôtel. Là il est question de jeu et non d’amour.

Audrey ne couche avec personne, même pas son mari. Par contre, elle a une passion cachée : le jeu. Elle file au casino tous les vendredis après-midi.

Evidemment, tout finit par se savoir.

L’histoire est racontée successivement du point de vue de chaque femme.

Fanny a été vue sortant de l’Hôtel Mercure. Elle cherche à se construire un alibi auprès de son amie Lara !

Audrey a eu un problème en revenant du casino. A qui demande-t-elle de l’aide : à Jacques, bien entendu.

Nico se trahit lui-même.

Entre délations et révélations, l’amitié, les couples, et même les enfants sont malmenés. Seule Lara traverse la tempête avec sérénité. Elle est comme ça : paisible (sauf au lit).

Au final l’équilibre numéraire est rétabli par le départ de Fanny qui décide de privilégier sa carrière et de s’expatrier à New-York. Bon gré mal gré, Nico réintègre son couple.

La grande gagnante de ce jeu de trictrac amoureux est Lara, qui conserve Jacques et n’a même pas perdu l’amitié de Fanny.

DEBUT:

Ils s’embrassaient éperdument, comme dans l’urgence, comme on s’embrasse sur le quai d’une gare. Enlacés ? Non, emboités. L’écrasant  contre le mur, il mangeait, mordait, ses lèvres, son visage, ses oreilles même, ce qui provoquait chez elle des frissons insupportables.

-Arrête, je n’en peux plus, dit-elle dans un souffle.

Leurs corps, qui s’entendaient si bien, étaient jumeaux. Lui n’était pas Tarzan et elle pas du tout  Maryline. Tous deux semblables, androgynes : longues jambes, hanches fines et ventre plat. Appuyés l’un à l’autre, ils s’étreignaient, s’entremêlaient avec passion. Ses petits seins haut perchés écrasés contre le buste de son partenaire ne faisaient pas obstacle. Elle avait la taille idéale pour enfouir son visage dans le cou de son amant. Lui, sans relâcher son étreinte, d’une main frénétique, cherchait un chemin sous sa jupe. Enfin, le trouva, écarta sa culotte, et planta résolument un doigt dans son anus. Elle se cabra, terrassée par la douce violence, et se lova un peu plus encore contre lui. Les ondes de plaisir se répandaient en elle, réclamant un aboutissement qu’elle ne pouvait pas s’autoriser ce jour là.

-Arrête, tu sais bien qu’on n’a pas le temps, Emilie sera là d’ici un quart d’heure, ce n’est pas raisonnable, tenta-t-elle d’argumenter.

Même s’il avait été tenté de répondre, Jacques n’en aurait pas eu le temps : on sonna à l’entrée de l’appartement, ce qui leur fit l’effet d’une brise glaciale. Qui, ce jour, à cette heure? Habitués qu’ils étaient de ce rendez-vous hebdomadaire du vendredi après-midi, jamais ils n’avaient été interrompus ni troublés. De l’index posé sur les lèvres, Lara lui intima d’être silencieux et lui fit comprendre par signes qu’elle allait regarder par l’œilleton qui pouvait bien être l’importun. Il était encore trop tôt pour le retour de l’école de sa fille : Emilie ne serait pas là avant 17H. Elle n’attendait bien sûr aucune visite : qui était le trublion, qui d’ailleurs insistait, carillonnant de nouveau ?

-Alors ? interrogea Jacques d’un geste de la tête, plutôt que de la parole.

-C’est Fanny. Bizarre, non ? Elle avait l’air complètement hagard. Elle est partie.

-Fanny ? Ma femme ? Mais qu’est-ce que… balbutia Jacques avant de s’en rendre compte que sa question était dénuée de bon sens.

Il avait pâli un peu, en accusant le coup : n’avaient-ils pas été trop insouciants ? Six mois, déjà, qu’ils se retrouvaient une fois par semaine chez Lara, et jamais aucun incident n’avait troublé leurs tête à tête fiévreux. Il tentait de se rassurer lui-même : rien n’augurait à ce stade, d’un quelconque drame, mille raisons avaient pu motiver Fanny à demander un service à son amie Lara. Par contre, du fait, leur désir avait chuté d’un coup. De toute façon, Emilie allait rentrer de l’école dans quelques minutes, il lui fallait quitter les lieux vivement.

-Tu n’as même pas pris le temps de m’expliquer pourquoi tu es arrivé si tard aujourd’hui, interrogea-t-elle.

-C’est vrai, j’étais trop pressé pour t’expliquer, c’est trop long, une semaine à t’attendre. Mon patron ne voulait pas me lâcher. J’ai préféré éviter un mensonge qui aurait pu éveiller ses soupçons. Pas envie qu’il apprenne à quoi je passe mes après-midi le vendredi. Tu n’étais pas inquiète, j’espère ?

Non, Lara n’était pas le genre à s’inquiéter, ni pour un retard, ni pour une visite inopinée. Elle aimait passionnément, mais pas impatiemment. Pas son genre. Elle lui caressa le visage tendrement, pour lui faciliter la transition entre le désir fou inassouvi et la tendresse.

Ils convinrent d’une stratégie pour découvrir sans tarder l’explication de la présence de Fanny. D’ailleurs, elle aurait du se trouver à son  bureau, pourquoi n’y était-elle pas ? Lara lui  rendrait visite après dîner, elle trouverait bien un prétexte. Que Jacques s’arrange pour ne pas se trouver sur-place au même moment. Son absence facilitera les confidences si besoin.

- Allez, file vite, insista Lara. Emilie arrive dans cinq minutes. De plus, quand tu viens tout juste de partir, on dirait qu’elle sent quelque chose. Tu sais comme elle est jalouse.

Il est vrai que la vie avait malmené la petite Emilie. A sept ans, on peut dire qu’elle n’avait pas connu de père. Le sien, était mort dans un accident d’avion en Afrique, quand elle n’avait pas deux ans. Bien sûr, elle ne se souvenait pas de lui, mais seulement d’un grand vide brutal. Sa mère ne lui avait pas proposé de papa de remplacement, que d’ailleurs, elle n’aurait peut-être pas accepté facilement.

Lara, pour sa part, vivait plutôt bien son veuvage. Elle n’était ni cynique, ni cruelle, et ne s’était pas réjouie de la mort de son mari, qu’à eux seuls, les soucis matériels qui avaient suivi auraient suffi à lui faire regretter. Cependant, et bien avant ce dénouement dramatique, elle savait qu’elle avait fait une erreur en l’épousant. Sa grossesse imprévue avait bousculé les événements : une faiblesse inhabituelle l’avait saisie à cette annonce, la superstition la paralysait. Son incapacité à prendre une quelconque décision, avait autorisé son entourage à le faire à sa place. Les arguments abondaient : et si, après l’irréparable, elle ne pouvait plus avoir d’enfant ? Si le destin ou quelque force divine la punissait de cet acte sacrilège ? Le presque futur papa désirant l’enfant et les grands-parents putatifs de part et d’autre voulant un mariage, la messe était dite, doublement. Et Emilie était née. Faire une erreur n’oblige pas à être malheureuse, et, malheureuse, Lara ne l’avait pas été. Elle avait sa fille et savourait le train-train de la petite enfance, cortège de découvertes enchantées. La vie était douce, sans surprise mais sans échecs, sans érotisme mais avec tendresse. A l’époque, elle s’en était contentée avec un manque un peu flou, la vague intuition qu’un jour, tout cela serait bousculé. Ce qui était arrivé.

Jacques parti, Lara s’accouda à sa fenêtre en attendant le retour d’Emilie. Sa beauté tranquille de fine brune au teint pâle reprenait le dessus, après l’émotion des jeux érotiques, et l’étonnement de la visite surprise. Elle tordit ses cheveux en chignon qu’elle fixa d’une pince. Pas de risque de coulures de maquillage : elle n’en usait jamais. En quelques minutes, d’assoiffée de luxure, elle redevenait la femme paisible et fiable que tout le monde appréciait. D’ordinaire, après l’amour,  c’était un moment de pur bonheur, le corps encore chaud de ses défaites,  d’admirer le soleil déclinant sur la ville. A une certaine époque de l’année, le couchant, réfléchi par les fenêtres des immeubles du lointain, faisait naître des incendies surréalistes. Une faible rumeur montait des pentes, qui la rassurait, on ne sait pourquoi. Une fois de plus elle se répéta combien elle avait eu de la chance de pouvoir revenir habiter à Lyon après l’accident, et de dénicher cet appartement  à horizon illimité, perché en haut du quartier de la Croix-Rousse. Et de retrouver presque immédiatement un travail tranquille de bibliothécaire. Et de revoir certains de ses amis de collège. Jacques Léonard, évidemment, qui s’était marié lui aussi entre temps et qui habitait le même immeuble, mais pas seulement lui. Il y avait aussi Audrey, la « bonne copine » de son adolescence,  maintenant mère de deux bambins, deux garçons  infernaux, il fallait bien l’avouer. Et Nico, le père des deux monstres, le rigolo de service.

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