vent d'ouest
Kate DÜ
Vent d'Ouest
Au rez de chaussée vous entrez par une petite porte discrète dans une pièce immense qui ressemble à un dortoir improvisé, jonché d'armoires délicatement découpées dans des troncs de forêts de Russie vigoureux, véhiculant un vertigineux passé de trappeur, d'âmes d'ancêtres résistant au blizzard, le spectre fragile d'une autre vie ainsi qu'un tas de bicyclettes blanches et grises, solides, des cannes à pêche et des cirés suspendus aux patères impatients de la prochaine marée basse. Les deux fenêtres donnent sur la rue, les passants désinvoltes et pressés, curieux jettent un œil envieux parfois. La maison est de pierres grises et blondes, charnues, épaisses. Des matelas épais, des couettes, des banquettes d'un style rococo éclairent la pièce de boiseries peintes en blanc pour moitié et l'autre à la chaux. Des coins naissent avec de petites tables rapportées de Sarajevo, des verres et du café à la turc forment un cercle harmonieux, ailleurs des bolées de cidre trônent sur un banc en bois de cerisier encore à peine dissimulées par un rideau diaphane descendu du plafond en un ingénieux système de rails bifurquant et laissant le loisir de choisir l'isolement éphémère. Une cheminée chauffe de son bois sec l'atmosphère voyageuse, emporte au loin des rafales qui s'engouffrent telles des monstres émergeant de la mer par les aérations des fenêtres. On emprunte un petit escalier aérien de bois brut et encerclé d'un mur végétal on arrive sur un palier aux couleurs pastel et le pied confortable sur un beau tapis oriental. Des tableaux de Gauguin et Van Gogh illumine la distribution des trois chambres serrées l'une contre l'autre, attentives aux chuchotements des visiteurs. Dans la première, la vue explose les pupilles, la baie rayonne d'une lumière inédite, les silhouettes du Mont Saint Michel et de Tomblaine perdues dans la brume naissante font écho aux mouvements des ostréiculteurs. Un bureau métallique installé sous la fenêtre est un appel à l'écriture fleuri d'un vase d'orchidées blanches. Du rose pâle rafraîchit la pièce et caresse le miel du parquet. La chambre voisine est bleue, quatre tons différents se renvoient l'élégance des plumes d'un paon au défilé vaniteux. Une pluie de perles enfilées déguise la vue sur mer retenue par un ruban de soie et permet au hamac suspendu par des cordes d'accueillir en son fil tissé le corps alourdi du marcheur de l'aube. Des lumières tamisées ajoutent au mystère des ombres et des cris inquiétant des goélands bagarreurs qui cisaillent l'atmosphère. L'histoire des explorateurs et marins transpire au travers des lignes du parquet brillant. Un large lit suspendu au milieu de la troisième chambre par des chaines vissées au plafond plane étrangement au-dessus du sol en fausse herbe. Des étagères emplies de livres entourent le rectangle vert pomme.
Un escalier droit en béton ciré conduit au deuxième étage et à la cuisine à l'ancienne avec sa rangée de casseroles épinglées au-dessus d'un fourneau rouge carmin et au poêle noir à granules irradiant de chaleur au centre de la pièce. Des briques à la new-yorkaise constituent d'un côté la séparation avec des toilettes et une salle de bain majestueuse recouverte de mosaïque turquoise avec baignoire jaccusi et hammam pour deux, carrelage bleu nuit du sol au plafond, de l'autre du liège pour isoler et accompagner la table en panneaux de bois recyclé. Aucune chaise n'est semblable, d'acier, de bois brut ou peinte, métallique, elles se rangent docilement et laisse l'ilot central à deux pas de la fenêtre oscillo- battante.
Du toit on aperçoit le Mont Saint Michel figure fantomatique, ombre évanescente, la géométrie des parcs à huitre répand sur le lit de mer verte claire une beauté éphémère aveuglante. La lumière du soir de fin d'après-midi s'allonge sur la baie et repousse les rafales loin des volets en bois couleur lavande. Un salon carré aux teintes jaunes et orange disperse le visiteur en éclat silencieux entre des tentures japonaises et une vaste parcelle de plantes aromatiques et légumes téméraires improvisés dans des caisses de terreau. On rejoint derrière un rideau épais de velours céladon le bureau, de boiserie recouvert, blond et vieilli, vintage, un hublot comme seul regard vers la mer tourbillonnante. Des poutres allongent la symétrie et au milieu une trappe déroule une échelle pour sortir sur les ardoises chevauchant le ciel et l'orage passager. Les yeux plantés dans l'écume des jours, l'écriture coule férocement.
Très jolie description ou l'on sent l'inspiration bretonne souffler sur la déco. +1
· Il y a plus de 8 ans ·erge