Il LUI MANQUAIT UNE CASE

mylou32

c'est du vécu!

Il lui manquait une case: Pour approfondir la réalité de son métier d'aide-médico-psychologique,Claire, une femme de quarante sept ans, avait décidé de suivre un cursus «validation des acquis et de l'expérience» afin de devenir éducatrice spécialisée. Dans les quatre fonctions demandées pour ce diplôme,deux se référent à la notion de projet. Projet individuel et projet de groupe.Au cours d'une session de formation,lors d'une réunion accueillant une vingtaine de personnes, Claire se surpris à proposer la lecture de son devoir, pour débattre ensuite sur laquelle des deux fonctions correspondait le mieux ses écrits.Elle était timide, aussi d'une voix rauque et inquiète Claire se mit à lire: « Je voudrais partager un projet que j'ai réalisé, qui est plus personnel, et qui fait de moi, non pas qu'une identité professionnelle(positivement une éducatrice spécialisée) mais un positionnement dans notre monde, dans la société et dans mon environnement, une citoyenne réfléchie et responsable. Cela a commencé par plusieurs déménagements d'où a émergé l'idée de construire ma propre maison. Pas n'importe laquelle, mais une maison qui me ressemble et qui me rappelle beaucoup les cases créoles de mon enfance( je viens de l'île de La Réunion). Donc le projet d'une maison en bois, l'aval de la personne avec qui je vis fut indispensable évidemment! Un an avant je partais à la recherche du constructeur, internet nous indiquait des adresses bien souvent à l'autre bout de la France et en plus éloignées des deux possibilités de départements où nous projetions de nous installer. De plus c'était des maisons « style chalet» qui ne correspondaient pas à notre environnement, ni à notre goût. Lasse de recherches infructueuses sur internet, je ciblais notre région en consultant tout simplement l'annuaire. Le constructeur que j'ai contacté me proposait de venir visiter sa maison afin d'avoir une idée sur ce qu'il réalisait.De cette première rencontre, il ressortait une conviction et une énergie neuve, du possible et surtout de ce que je voulais.Il ne me restait plus qu'à trouver le financement. Là aussi les difficultés ne manquaient pas. Après avoir vu deux banques et essuyé autant de refus , je faisais appel à un courtier que l'agence immobilière connaissait.(Par ailleurs j'avais commencé la prospection d'un terrain). Tout mon temps libre passait dans ces démarches. Le travail du courtier était de trouver la banque qui pratiquait le meilleur taux et faire la négociation sur la somme, les mensualités et l'étalement de la dette. C'était une fourchette de prix en fonction de nos revenus et du projet. Le constructeur me guidait sur deux architectes qui travaillaient avec lui. Je contactais les deux mettant toutes les chances de mon côté: Une n'était pas disponible menant une grossesse à terme et l'autre me rencontrait pour que je lui parle de mon projet. Au même moment ma recherche de terrain avait abouti, mes critères étaient : terrain arboré, plat et surtout pas trop éloigné du travail, mais ce dernier avait un coût bien sur. Il était magnifique, avec sur un côté des arbres fruitiers qui à vue d'oeil avaient bien une vingtaine d'années! Et cerise sur le gâteau il y avait un puits! Je demandais à signer le sous-seing privé rapidement de peur qu'il nous échappe. Tout est ensuite allé très vite. Je me mettais à travailler avec plusieurs personnes, en premier le constructeur qui me proposait de rassembler tous les corps de métier: maçon pour le vide sanitaire, tracto-pelliste pour l'assainissement, plombier, menuisier, électricien...etc... Je lui demandais de les contacter et qu'ils me fassent parvenir leurs devis. Je voulais faire une étude comparative, et heureusement! car tous les devis qui m'arrivaient par son intermédiaire étaient hors de prix! Le bon vieil annuaire reprenait du service! je demandais par téléphone cette fois-ci, les mêmes devis à des artisans du coin en leur précisant que c'était une maison en bois. A ce moment du projet, j'éprouvais le besoin de réunir tout ce petit monde autour d'une table afin qu'ils fassent connaissance, pour les mettre à l'oeuvre (dans le vrai sens du terme),pour les mobiliser et développer le projet. Je leur demandais une contrainte: c'était au niveau de leur sécurité et de la mienne: une assurance biennale pour la durée des travaux et la garantie décennale pour les vices cachés, mon entrevue avec le banquier portait ses fruits! Je jouais au maître d'oeuvre, mot que j'ai appris au cours de cette soirée. J'acceptais les devis de l'architecte, du constructeur, et de tous les autres corps de métier que j'avais déniché par mes propres moyens. Le total du terrain, plus tous les devis précités(j'ajoutais le carreleur et le menuisier absents ce soir là), je confiais le tout au courtier afin qu'il négocie l'enveloppe globale avec la banque la plus performante. Inutile de vous raconter les émotions que cela procure, d'entendre le banquier accepter le financement du projet!! . Après les trente jours obligatoires, nous signons pour l'acquisition du terrain. L'architecte a fini son travail en déposant le permis de construire en plusieurs exemplaires à la mairie de notre petit village. Je reviens sur la fonction de maître d'oeuvre ou d'ouvrage qui a été de coordonner tous les intervenants dans le déroulement chronologique de la construction avec ce que cela implique d'organisations, d'échanges d'informations: par exemple, la gestion de l'emploi du temps des artisans, leurs disponibilités, leurs complémentarité, bien sur, l'articulation des uns et des autres et tout cela en fonction aussi de mon emploi du temps. C'est au cours de la construction que j'ai appris les compétences du constructeur: Meilleur ouvrier de France du compagnonnage dans le domaine du bois, la base de son métier étant charpentier. La définition du dictionnaire pour compagnonnage: «Associations entre ouvriers d'une même profession à des fins d'instruction professionnelle et morale et d'assistance mutuelle. Le compagnonnage nommé devoir jusqu'au dix-septième siècle remonte au Moyen-Age avec une histoire mouvementée et marquée par des scissions. Le compagnon est reçu après avoir présenté son chef-d'oeuvre et effectue un tour de France. Le compagnonnage subsiste et est représenté à travers diverses associations entretenant des savoirs et défendant une morale d'excellence ouvrière.» Je commençais à ressentir la complexité du travail que j'ai voulu faire en temps que maître d'oeuvre. Cela impliquait une présence quasi quotidienne dans le contrôle de la bonne évolution des divers travaux. Laissant aux artisans leur part de responsabilité et leur savoir faire, n'intervenant la plupart du temps qu'en tant que novice, pour le bien faire , je ne pouvais que leur faire confiance. Ils me fournissaient ensuite des situations de travaux, je contrôlais sur le chantier, j'évaluais et donnais l'autorisation par écrit à mon banquier afin qu'il débloque les fonds au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Dans ce projet tout n'est pas rose hélas! je peux et veux aussi vous faire partager les contraintes, qui sont passés ,en premier, par prendre connaissance(le jour même de la signature de l'acte!) que le terrain n'était pas viabilisé, il manquait le coffret de l'électricité alors qu'il y avait un poteau électrique sur le terrain! je négociais donc avec le propriétaire, en aparté du notaire, et finalement nous avons passé l'accord devant lui. Il y avait eu rétention d'informations de la part de l'agence(elle m'a entendu au téléphone!!) puis nouvelle mauvaise surprise: l'eau se situait à l'autre bout du terrain alors que la maison sur plan était positionnée dans l'autre sens! Le gars des eaux s'occupait de superviser les raccordements me donnait la solution: «Allez voir vos voisins, ils vous donneront sûrement l'autorisation de vous brancher sur le réseau qu'ils ont amené depuis la grand route,pour eux» Pour une somme dérisoire, j'obtenais leurs accords , ouf ! j'avais économisé d'importants travaux imprévus dans le budget! Et le permis de construire qui tardait! Tardait!! Il est arrivé six mois plus tard, alors qu'au dépôt de la demande, un délai de trois mois était prévu. Il fallait gérer la vente de là où j'habitais et se faire héberger par une amie! Donc ré-adaptation et réorganisation du projet. Pendant la construction, juste quand je commençais à voir les finitions, l'ouvrier carreleur fait faux bond au maçon qui lui-même ne sait pas carreler! Et revoilà l'annuaire qui cette fois-ci n'a servi à rien, ce sont nos gentils voisins qui nous ont trouvé un artisan pour carreler la maison avec trois petits jours de retard! Et rebondissement, l'artisan menuisier ne veut plus poser les menuiseries dans les temps, alors que sur le devis il y avait une date butoir! il ne pouvait le faire que dans quinze jours m'a-t-il annoncé, ben voyons!! Quand on squatte chez les amis depuis plus d'un mois, on a grandement envie d'être chez soi! même que dans une seule pièce. Je décide cette fois-ci de me déplacer dans leur magasin, conversation très houleuse mais qui a porté ses fruits pour moi ,mais leur a fait perdre quelques éventuels clients présents ce jour-là!. Je suis ressortie avec l'assurance qu'ils viendraient au plus tard dans quarante huit heures, je suis de nature confiante mais là Saint Thomas m'accompagne!. Le carreleur me parle ensuite des seuils de porte, qu'est ce que cela? Il m'explique , je m'affole, qui va me poser cela en vingt quatre heures ou quarante huit heures? avant les menuisiers!!, sans cela ils ne peuvent poser les menuiseries! confirmation par téléphone, la maison est au quatre vents, par hasard je demandais au carreleur si lui ne pourrait pas le faire? Mais bon sang ,mais c'est bien sur!! Les menuiseries ont été posé en suivant. Il fallait attendre encore dix jours minimum pour que le carrelage sèche et que nous puissions emménager. Et nous voilà dans la maison, après avoir repoussé une fois de plus le déménagement: Ma directrice ne voulait pas m'accorder une journée de récupération pour le faire(raison de service évoquée). Il ne restait que le plus beau de la maison à voir et surtout à faire! La maison était en pyjama, sans son bardage. Appels téléphoniques répétés, répondeurs, messages sans réponses de la part du constructeur. Et une petite phrase me revient: « Je ne travaille pas quand il pleut!» Cela faisait quinze jours qui pleuvait! Voilà pourquoi je n'avais pas de réponses pour le bardage de la maison!. Trois semaines plus tard, en trois jours la maison était habillée en rolls-royce du bois: Le red cèdar! cèdre rouge en français. Je n'ai pas eu le courage de faire des reproches au constructeur sur sa compétence en communication, la maison était si belle!!. A l'heure où le développement durable est mêlée à toutes les sauces, je peux dire que depuis Mai 2004 je vis dans une maison à haute qualité environnementale, puisque construit en matériau écologique, que tous les hivers nous nous chauffons en employant un matériau renouvelable: le bois.entre parenthèses le poêle et sa pose sont déductibles des impôts, que cette maison peut-être évolutive avec des facilités d'extension. Evolutive dans aussi d'autres projets comme la récupération de l'eau des toits par la pose de récipients adaptés. La pose d'un chauffe-eau solaire en prévision, pose de panneaux photovoltaïques, mais là je repars dans d'autres projets d'avenir! En tout cas qu'importe les difficultés rencontrées, j'ajouterais que certes la maison coûtait 30% plus cher qu'une maison traditionnelle mais que l'amortissement se fait rapidement au vu de sa frugalité en dépenses énergétiques. Et je finis en vous disant: «Osez! Si moi j'ai été capable de le faire pourquoi pas vous?» Une de mes lectures personnelles me rappelle ce que Marcel Rufo écrit dans son livre «Détache-moi» : Je cite : « Avec ses fondations indispensables, sa verticalité, son toit qui s'élève vers la lumière, la maison évoque la construction de soi. Entre la cave(les origines) et le grenier( les rêves et les aspirations) habite le sujet, le moi. La maison est un espace protégé où les pensées rebondissent sur les murs avant de revenir vers soi, créant un va et vient entre intériorité et extériorité. Entre les murs de sa maison, on est seule parfois, et parfois avec d'autres. Mais on est toujours chez soi. Et comme on habite sa maison , on doit pouvoir s'habiter soi.» Claire se tait. Il y avait un silence palpable dans la salle quand elle releva la tête, une vingtaine de paires d'yeux la fixait, attendant une suite? Une photocopieuse ronronnait au loin, quelqu'un toussait dans la salle d'à côté, et, enfin un éducateur prit la parole avec des mots passionnés pour convaincre l'assemblée que Claire devait mettre son texte dans le livret de VAE. Les gens remuaient avec impatience sur leur siège attendant leur tour de parole. Claire avait la gorge nouée, au bord des larmes de s'être tant découverte dans une détermination pour enfin poser ses bagages. Elle était loin du débat qu'avait provoqué son texte. Cela faisait depuis l'âge de quinze ans qu'elle avait été déracinée de son île, et des années plus tard, elle pouvait après mille péripéties et la rencontre de son âme soeur, se poser enfin! De paroles en paroles, sur un divan, rendez-vous routiniers, obstinée, Claire s'est cherchée. Son introspection l'avait fait aller de deuil en deuil, sur ses sentiments, son regard sur les autres et sur elle-même, petit à petit elle a pris conscience de l'errance de sa vie, jamais satisfaite, jamais comblée; un jour voulant, l'autre pas. Influencée par son désir d'être aimée. Quand on lui disait: « Tu as de belles jambes!» elle se retournait pour savoir à qui son interlocuteur s'adressait. A ses propres yeux elle n'existait pas!!. Au fil du temps qui se compte en années, Claire a émergé, la conscience plus aigüe, plus affutée, le regard plus aiguisé. Maintenant elle savait ce qu'elle voulait! Elle savait plus ou moins qui elle était même si des zones d'ombre subsistaient, mais ses plus grosses blessures étaient soignées, pansées(pensées?) mais pas oubliées; ces réminiscences du passé la découvraient en colère, une immense colère contre elle-même puis les autres. Elle l'avait patiemment jugulé, puis canalisé y puisant une énergie nouvelle: entre ses mains la maison était née. Soudain le brouhaha des chaises sur le plancher la ramenait au présent: « C'est fini pour aujourd'hui, à la semaine prochaine!» Claire est sortie du cours, dehors le soleil brillait d'un éclat particulier, elle tendit son visage vers ses rayons chauds, sourit et se dit à voix haute: « Maintenant mon lendemain est là, entre mes mains, pour l'embellir mon âme soeur est présente, reste le jardin, un potager à cultiver, ah! et puis aussi un bassin avec des poissons rouges, et aussi un chat roux, oh! et puis un chien qui montera la garde sur mes trésors d'avenir. La perspective de ses pensées accélère les pas de Claire vers la promesse de jours heureux. Boris Cyrulnik l'aurait appelé résilience.

  • à voté pour cette perspective positive ;-)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

  • C'est joli comme texte. Émouvant même. Seul regret : c'est un bloc sans paragraphe, ça alourdit pas mal alors que le texte est assez fluide même si certains petits passages pourrait être refait. Mais le fond est vraiment jolie, j'aime et je vote. Une battante cette Claire car il en faut pour chercher en Soi...

    · Il y a presque 9 ans ·
    Image

    esprit-vagabond

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