Verzeihung #8
maddie-perkins
Arrivée devant cet immeuble à deux étages, je posai la bicyclette dans l'allée, puis montai au premier.
L'appartement de grand-père était petit, mais confortable ; maman en avait hérité et me l'avait implicitement légué quelques mois plus tôt.
J'abandonnai la clef dans la serrure, allumai la lumière, puis me laissai tomber sur le sofa avec le sentiment de flotter et des fourmillements dans les jambes. Du regard, je parcourus l'immense bibliothèque de pépé Jean qui occupait l'entièreté du mur. J'ôtai mes chaussures, profitant de pouvoir allumer une cigarette à l'intérieur, puis allai me faire couler un bain. Devant les rayonnages de la bibliothèque, je pris une grande bouffée de tabac, passai ma main sur le bois poussiéreux. Je soufflai sur les planches, retirai quelques livres dont je ne me souvenais plus. Alors, seulement, je vis l'ouvrage ; imposant et bleu, il était intitulé : Astronomy.
Je poussai la statue du Sphinx pour m'emparer du livre écrit par un certain S.E. Stewart, exclusivement rédigé en anglais. Je me mis à parcourir les pages, et bien que je n'eusse que faire de l'astronomie, il me sembla que je venais de découvrir un trésor. Assise sur le tapis persan, le livre sur les genoux, je retrouvais la curiosité de mon enfance, l'exaltation de la découverte. Aussi bondis-je au son de l'eau débordant de la vasque. Je courus fermer le robinet, épongeai rapidement le carrelage et plongeai dans le bain. Les bras tendus hors de l'eau, à travers la vapeur, je lisais ce livre — ce livre sur les étoiles.
* * *
Lorsque je poussai la porte le lendemain matin, je tombai nez à nez avec un soldat. Assis sur les marches, il ouvrait sa ration, une boite métallique et ronde.
Main sur la poignée, j'hésitai quant à sortir jusqu'à ce qu'il me salue après s'être levé et avoir fait claquer ses bottes. Avançant de quelques pas, je découvris bien vite d'autres Allemands, tous très jeunes, endormis dans l'escalier. Je les enjambai un à un jusqu'à atteindre le hall, et sans bruit, quittai l'immeuble.
Il était très tôt, et dehors régnait cette odeur que j'aimais : l'odeur du feu de la campagne, et celle, plus froide, de la ville appelant l'automne.
J'enfourchai mon vélo et roulai jusqu'au café où Monsieur Flochard se trouvait déjà, luttant au téléphone avec le fournisseur qui repoussait sans cesse nos livraisons.
— Il dit qu'il n'y a plus rien, expliqua-t-il après avoir raccroché. « Les temps sont durs, les temps sont durs », répétait-il. C'est surtout la faute du marché noir.
— Le marché noir ?
— Mais oui ! s'indigna mon patron. Des solutions, ils n'en ont pas ! Mais des excuses… La faute à la guerre, la faute aux Allemands, la faute aux vaches et au poules bientôt, vous verrez mon p'tit.
Un bref silence comme je nettoyais les tables.
— Il y avait des Allemands dans l'escalier ce matin, fis-je, ils dormaient.
— Et vous ? Vous n'avez pas dormi à la ferme ? Pour ce qui est des Allemands… Oui, s'amusa-t-il, je crois savoir pourquoi. (Il épousseta des bouteilles situées sur la plus haute étagère, puis descendit de sa chaise.) Deux soldats sont venus tantôt, lorsque j'ouvrais le café. Ils m'ont demandé si j'avais de l'aspirine. Je leur ai dit que je n'en avais pas — « Les temps sont durs vous savez ». Je leur ai demandé ce qu'ils avaient. Comme ils ne parlent pas bien français, ils ont dit : « Calvados! »
Nous partîmes d'un rire goguenard.
— Oui, je les ai vu hier soir sur la place de la mairie, ils titubaient.
— Vous ne devriez pas sortir le soir, Béate, surtout seule.
Je hochai la tête, posai le chiffon.
— En aviez-vous ? finis-je par demander.
— Quoi donc ?
— Mais de l'aspirine.
Monsieur Flochard se mit à sourire derrière son comptoir, agitant un flacon de médicaments dans la poche intérieure de sa vieille veste.
— Ils peuvent être sympathiques, mais tout de même…