VIII - Elférad : Comment a-t-il pu arriver jusque là ?
astiacle
Lorsque son réveil sonna, Elférad le saisit sans ouvrir les yeux et le jeta le plus loin possible en espérant le faire taire. Loupé. Le son strident lui parvenait encore. Il grogna en mettant sa tête sous l'oreiller. Gzadien choisit cet instant pour lui sauter dessus :
-Allez, debout, debout.
Emprisonné dans les bras du jeune homme, Elférad grommela :
-T'es lourd.
Gzadien lui embrassa l'oreille en murmurant:
-C'est pas ce que tu dis d'habitude.
-Je vais éviter de te dire ce que je pense en ce moment, ça te ferais trop de peine.
Gzadien s'agenouilla, gardant les bras fermement replié autour du torse d'Elférad et rassembla ses forces pour le soulever. En voyant son oreiller tomber et le matelas s'éloigner, celui-ci se mit à geindre :
-Non, je veux pas.
Gzadien fit un rire maléfique :
-Tu n'as plus le choix, désormais.
Il l'embrassa sur la nuque et dit rapidement :
-Je vais à la douche.
L'héritier d'argent descendit du lit d'un bond pour courir dans la salle de bain. Un avantage des héritiers d'or. Ils avaient une salle de bain privée. Elférad resta amorphe un moment, assis, à fixer le mur. Comment il fait pour être si énergique dès le matin ? Il bailla, geignit encore pour la forme et se laissa couler hors du lit. Gardant les yeux fermés, il enfila un caleçon et un T-shirt. A l'odeur, il comprit qu'il n'avait pas pris un des siens :
-Gzadien ! Je trouve pas mon T-shirt !
La réponse ne tarda pas :
-Tu l'as cherché au moins ?
Elférad soupira :
-Ça veut dire que je dois ouvrir les yeux.
Il avait parlé trop bas pour que le jeune homme puisse l'entendre, mais celui-ci lança :
-Sinon, tu pourrais faire un truc de dingue et en mettre un propre.
Grommelant toujours pour lui-même, Elférad répliqua :
-Mais ça veut dire qu'il y en aura plus à traîner. Ça va vraiment devenir bordélique.
Ce fut un frottement qui lui fit ouvrir les yeux. Il se tourna aussitôt vers la porte. Un papier avait été glissé dessous. Elférad se précipita, ouvrit la porte à la volée et atterrit dans le couloir.
Il ne vit personne, n'entendit aucune porte claquer. C'est pas possible. Personne ne pouvait avoir eu le temps de disparaître sans qu'il ne le voit. La seule explication serait qu'il se trouve dans une des chambres juste à côté. Seulement, cette idée ne lui plaisait pas car juste à droite de leur chambre se trouvait Lyert et Matior. Sur la gauche, Neghttris et un autre première année qui n'était pas de leur classe. Soit ses amis leur faisaient une très mauvaise blague, soit c'était ce premier année qui leur cherchait des problèmes.
Gzadien apparut dans l'embrasure de la porte, torse nu, une brosse à dent dans la bouche, et une serviette posait sur la tête. Il lança à Elférad en riant :
-Tu vas pas sortir comme ça quand même. Ils vont tous te sauter dessus.
Elférad le repoussa à l'intérieur et ferma la porte derrière eux. Gzadien commença à s'inquiéter :
-Qu'est-ce qu'il y a ?
La note avait glissé sous le lit lorsqu'il avait ouvert la porte. L'héritier d'or s'allongea au sol pour la chercher, l'attrapa et la tendit à Gzadien :
-Ça dit quoi cette fois ?
-J'ai pas encore lu.
Ils se penchèrent tous les deux sur la note :
Le moment approche. Nous pourrons enfin être ensemble.
Pas de signature et aucun des deux ne put reconnaître l'écriture. Elférad demanda :
-Ça te dit toujours rien ?
Gzadien commença à secouer la tête avant de s'écrier :
-Je sais !
Elférad bondit :
-Quoi ?! Tu sais qui c'est ?!
-Ton amant.
Gzadien le dévisagea, fier de sa plaisanterie, mais Elférad était blasé :
-Tu n'es qu'un gros crétin.
L'héritier d'argent le prit par la taille et l'embrassa :
-Je persiste à penser qu'il est possible que l'envoyeur se trompe de porte.
Elférad passa une main dans les cheveux orange :
-Tu ne crois pas que si c'était le cas, il aurait corrigé le tir ? Il a eu le temps de se rendre compte que les personnes qui entraient dans cette chambre n'étaient pas celles qu'il cherche.
Gzadien pinça les lèvres, plissa les yeux et retourna dans la salle de bain. Avant de franchir la porte, une nouvelle idée lui était venu :
-Et si c'était quelqu'un du couloir de l'autre côté de l'escalier ?
Elférad ouvrit un tiroir du bureau de Gzadien où ils rangeaient toutes les notes qu'ils avaient reçu. Une chaque matin depuis deux semaines.
-Je ne crois pas. Le temps qu'on sorte, on le verrait dans le couloir.
Gzadien finit de se brosser les dents :
-Sauf s'il a un complice et qu'il entre dans une des chambres.
-C'est vrai.
Cependant, Elférad n'était pas convaincu. Il fit défiler les papiers entre ses doigts. Tous des promesses de retrouvaille prochaine, d'obstacles bientôt surmontés. Tous rappelant un amour contrarié. Les deux adolescents avaient d'abord cherché à savoir à qui c'était destiné. La famille de Gzadien avait mauvaise réputation et était assez mal vue. Gzadien, lui-même, souffrait de l'influence de sa famille et était souvent traité comme un pestiféré. Il n'avait pas d'autre ami que ceux d'Elférad. Ces raisons les avaient mené à penser que l'auteur s'adressait à l'héritier d'or. Seulement, il ne se souvenait pas d'avoir rejeté des déclarations qui auraient pu mener à ce genre de note.
-Peut-être que ça n'a rien à voir avec l'amour. Peut-être que c'est écrit comme ça pour qu'on ne cherche pas au bon endroit.
Gzadien vint dans son dos pour l'enlacer :
-Pourquoi se donner tant de mal, si on ne reconnaît même pas son écriture ?
Elférad tourna la tête et aperçut le visage mate de Gzadien tout près du sien. Des gouttes tombaient encore de ses cheveux orange sur ses yeux bridés aux pupilles d'argent. Se sentant observer, Gzadien lui rendit son regard :
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Je retombe amoureux.
L'adolescent agita la tête, des gouttes volèrent jusqu'au visage de l'héritier d'or qui fit la grimace.
-C'est l'effet cheveux mouillés.
Elférad ne put s'empêcher de sourire :
-D'accord, on se concentre.
Gzadien acquiesça :
-C'est peut-être un code.
Ils observèrent les notes, une par une, mais aucune idée nouvelle ne leur vint. Au final, Gzadien soupira :
-Allez, prépare-toi. On va être en retard.
Elférad réalisa soudain :
-Oh, merde ! Les cours !
Il courut à la salle de bain, alors que l'héritier d'argent lui lançait des vêtements propres. En deux temps trois mouvements, il se retrouva à courir dans le couloir, à peine séché.
-Attendez-moi, les gars !
Le couple ralentit pour que Matior les rattrape. Elférad demanda en reprenant sa course :
-Où est Lyert ?
-Il est parti tôt. Il essaie de choper une opportunité pour récupérer les chaussures de Qegh.
Ils dévalèrent les marches. Arrivés dans la cour, Gzadien les quitta après un baiser rapide à Elférad et une tape dans la main de Matior. Les deux amis arrivèrent devant la salle, alors que le professeur Irdrour venait d'ouvrir la porte. Neghttris les vit arriver :
-Bah, alors, qu'est-ce que vous fichiez ?
Matior balaya la question d'un geste de la main :
-Laisse tomber. Lyert a eu ses chaussures ?
-Demande-lui.
Ils se retournèrent et aperçurent leur ami qui arrivait la mine sombre. Matior en conclut :
-Apparemment, non.
Lyert lui répliqua :
-Ce n'est que partie remise.
Ils allèrent prendre leur place et attendirent le début du cours. Elférad n'avait pas parlé des notes à ses amis. Quand Gzadien lui avait demandé pourquoi, le garçon n'avait pas vraiment su que répondre. Il les connaissait depuis toujours. Il savait à quel point Matior était bavard, à quel point Neghttris était fasciné par les mystères et à quel point Lyert voudrait se rendre utile. La seule chose que cela aurait amené, c'était d'autant plus de risque de voir cette histoire de note se propager dans toute l'école. Au final, Gzadien avait fini par rire en disant qu'au fond, il ne voulait simplement pas entraîner ses amis dans son merdier.
-Elférad ?
Il se tourna vers Neghttris :
-Quoi ?
-Qu'est-ce qui ne va pas ?
Aucun sentiment ne passa sur le visage de l'adolescent :
-Comment ça ?
Neghttris sourit :
-Ça fait deux minutes que je t'appelle.
Elférad répondit :
-Eh bah, la prochaine fois, tape moi. Qu'est-ce que tu veux ?
-Tu me passeras tes cours d'histoire ?
Il le dévisagea un instant pendant que Neghttris lui offrait un sourire radieux et plein d'innocence.
-T'es sérieux ? Tu fous quoi en classe ?
Neghttris lui montra son cahier rempli de dessin et ajouta :
-Ça et je discute avec mon voisin. J'ai un programme chargé comme tu vois.
Elférad le considéra un instant avec une certaine admiration. Comment a-t-il pu arriver jusque là ? La réponse était facile et affreusement énervante. Neghttris avait une excellente mémoire. La surveillante qu'Elférad pouvait maintenant nommer Madame Sylphon, passa près d'eux et tapota sur leur table en leur montrant le tableau. Les garçons revinrent au cours.
Une idée frappa soudain l'héritier d'or. Il écrivit sur un bout de papier les phrases de la dernière note et le tendit à Neghttris qui lut en fronçant les sourcils :
-C'est une déclaration ? Je vais devoir décliner, je voudrais pas me faire buter par Gzadien.
Son ami ignora la plaisanterie :
-Tu ne te souviens pas de quelqu'un qui aurait pu nous sortir un truc du genre ?
-Comment ça ?
Elférad broda au fur et à mesure.
-J'ai cette phrase qui me tourne dans la tête depuis ce matin et j'arrive pas à savoir où je l'ai entendu. Ça me soûle.
L'héritier d'argent observa la note tout en réfléchissant.
-Ça me dit rien.
L'adolescent soupira :
-Tant pis. Je vais bien finir par trouver.
Lyert se pencha en avant pour demander :
-De quoi vous parlez ?
Avant qu'il n'ait pu faire un geste, Elférad vit Neghttris lui donner la note :
-Tu te souviens d'avoir entendu ça quelque part ?
Lyert lut avec Matior par-dessus son épaule. Les deux finirent par secouer la tête. Matior demanda :
-C'est pour quoi ?
Elférad finit par se retourner :
-Un truc que j'ai en tête. Je ne me souviens plus d'où je l'ai entendu.
Neghttris proposa :
-T'es sûr de l'avoir entendu ? Tu pourrais l'avoir lu dans un livre, non ?
L'héritier d'or prit l'air de quelqu'un que l'inspiration venait de frapper :
-Ah, c'est peut-être ça. Je verrais.
Il récupéra le papier des mains de Lyert au moment où la surveillante repassait pour tapoter de nouveau leur table.
Gzadien les rejoignit au réfectoire pour le déjeuner et s'assit à la gauche d'Elférad. Celui-ci aurait bien aimé pouvoir lui demander s'il avait de nouvelles informations sur les notes, mais il était, bien sûr, hors de question de parler devant les autres. De plus, un aparté leur mettrait aussitôt la puce à l'oreille. Il dût se contenter de discussion bateau pendant près d'une heure avant de retourner en classe.
-Tu ne trouves pas ?
Elférad releva la tête pour remarquer que tout le monde l'observait, semblant attendre une réponse.
-J'ai pas entendu.
Gzadien répéta :
-Matior disait que c'était dégueulasse que les héritiers d'argent qui se retrouvent à partager une chambre avec un héritier d'or puisse profiter de la salle de bain privé.
Elférad échangea un regard avec son compagnon avant de venir à Matior :
-Je ne trouve pas, non.
Lyert ajouta :
-Je suis d'accord avec Matior. C'est comme un privilège par procuration.
Neghttris avala sa bouchée avant de dire :
-En même temps, comment tu veux gérer ça ? Tu imagines Elférad dans la même chambre que Xutik ?
L'héritier d'or fut surpris :
-Pourquoi tu dis ça ? J'ai rien contre Xutik, moi.
Son ami répliqua avec un sourire :
-Mais qui te dis qu'il n'a rien contre toi.
Il ne pensait sûrement pas à mal, mais ses paroles crispèrent Elférad. Celui-ci ne put s'empêcher de jeter un regard en coin à Gzadien qui se contenta de revenir au sujet de base :
-Donc, pour toi, Matior, je ne devrais pas me laver.
Le garçon grimaça :
-Non, c'est pas ce que je dis. Je dis juste que c'est quand même mal foutu.
Gzadien poursuivit :
-Mais si je n'utilise pas la salle de bain, qui va le faire ?
Elférad lui lança un regard effaré :
-Ça veut dire quoi, ça ? Je me lave, je te signale.
Gzadien concéda :
-C'est vrai. C'est les vêtements propres qui te filent des allergies.
Le jeune homme allait répliquer, mais Neghttris le devança :
-Oh, bah, tu sais, je crois que c'est foutu, maintenant. Il est trop vieux pour apprendre. Il sera cradingue pour le reste de sa vie.
-Je suis pas cradingue, je suis économe.
Lyert, qui semblait être ailleurs depuis un petit moment, revint sur terre pour déclarer :
-En même temps, c'est vrai ce que dit Neghttris. C'est quand même plus sûr pour un héritier d'or de partager la chambre avec un héritier d'argent de son clan.
Ils se tournèrent tous vers lui et il conclut :
-Je ne crois pas qu'il y ait de vrai solution à cette histoire de salle de bain.
Sur ces mots, ils changèrent de sujet.