Vindicta Iris
Holly Storm
Je reposais le livre sur l’étagère de la bibliothèque. Les aventures inachevées de Raoul et sa sœur me laissèrent perplexe. Pourquoi avait-il fallu que le Professeur leur parle de cette clé ? Tout ce suspense… je comprenais désormais pourquoi ma sœur jumelle l’avait lu et relu tant de fois.
Sans avoir l’occasion de le relire encore…
C’est cela qui explique l’histoire, mon histoire, que je vais raconter. Ma sœur, Iris, est décédée depuis cinq mois, me laissant seule derrière elle. Combien de temps suis-je restée effondrée à l’annonce de sa mort ? Chaque seconde m’avait paru durer des minutes, chaque minute des heures… Cependant, un jour on sort la tête de l’eau, et on se rend compte que la vie ne s’arrête pas pour autant. Egalement, je sentais la présence de ma sœur, là, près de moi, à me regarder et à guider chacun de mes pas.
Ou alors c’était cette photo, sur l’étagère de la bibliothèque, nous montrant ma sœur et moi – qui était qui ? Impossible à deviner, nous nous ressemblions tellement – qui me donnait cette impression ? Possible.
Bref, il n’empêche que ce soir-là, la fenêtre derrière moi fut soudainement ouverte par un brusque souffle de vent. Surprise, je me retournai vivement, m’attendant à tomber sur un voleur, mais il n’y avait personne. Tout ce que je réussis à faire, c’est donner un coup de coude dans le cadre de la photo, le brisant sur le sol, comme dans le livre des aventures de Raoul juste à côté. Tout en jurant, je me baissais pour ramasser les morceaux de verre éparpillés sur la moquette kaki, lorsque l’un d’eux me piqua le doigt, ouvrant une petite plaie sur le coup.
Plus maladroite que moi, tu meurs.
J’abandonnai le verre pour l’instant, préférant ranger d’abord le livre que je voyais comme inoffensif, lorsqu’une nouvelle bourrasque pénétra dans ma chambre par la fenêtre, ouvrant l’ouvrage subitement. Bien que je trouvai cela étrange, je ne me posai pas de questions, et m’apprêtai à saisir le livre, lorsque je m’arrêtai dans mon geste : mon sang gouttait sur les pages. Iris aurait piqué une crise si elle m’avait vue, aussi retirai-je d’un mouvement vif ma main ensanglantée.
Cependant, le liquide pourpre attira mon regard. Il était tombé sur quelques syllabes de la page… 666. Ne croyant pas aux histoires de démons ou de fantômes, je n’y prêtai guère attention, jusqu’à ce que je lise le mot formé par ces syllabes. Vin… Dic… Ta… Vindicta. En latin, cela signifie « la vengeance de… » Mais, c’était étrange, ce mot me rappelait autre chose. Bien que je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.
C’était frustrant.
Le vent poussa encore la fenêtre, la cognant contre le mur. Ce bruit m’agaçait, aussi décidai-je d’aller la fermer. Je me levai, m’apprêtai à la clore… lorsqu’elle me frappa en plein visage, alors que je croyais que la tempête dehors s’était calmée, et c’est l’esprit tourmenté par une seule et même phrase que je sombrai dans les abysses sans fond : Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ? Que se…
J’étais seule, dans le noir le plus complet. En face de moi, il y avait un miroir, grand, simple, un peu poussiéreux, dans lequel je voyais mon reflet. Les mêmes cheveux noirs, le même visage fin, les mêmes yeux émeraude…
Cependant, la Dahlia – c’est mon nom – que je suis et celle du miroir n’avaient pas les mêmes habits. Moi, je portais mon habituelle ensemble marron, enjolivé grâce à mon écharpe rouge, mais l’autre moi portait elle une veste en cuir noir et un jean légèrement déchiré. Celle qui me toisait avait une expression plus… cruelle, déformant ses traits, et elle avait également une longue brûlure s’étendant sur toute la partie gauche de son visage. C’est là que je compris. Ce n’était pas un simple miroir que je voyais là, et ce n’était pas mon reflet que je percevais.
C’était celui d’Iris.
Je la regardai pendant quelque secondes. Je ne savais pas si je devais être heureuse de la revoir, ou plutôt triste pour son piteux état. Tout se bousculait dans ma tête. Après une interminable minute, ma sœur ouvrit la bouche pour parler. Je crus qu’elle voulait manifester sa joie de me revoir.
Je fus vite déçue.
-Dahlia…, me dit-elle d’une voix rauque et effrayante, tout ce qu’on t’a raconté… était faux.
En prononçant ces mots, elle posa un main à la surface du miroir, pour une raison qui m’était inconnue alors.
-Ce n’était pas…, reprit-elle, un accident.
Une intense lumière, partant de la main de ma sœur, m’éblouit, si bien que je dus fermer les yeux. Quand je pus les rouvrir, j’étais sur une autoroute, déserte à une heure si tardive – quand la lune est pleine dans le ciel, on peut facilement deviner qu’il se fait tard – sur laquelle arrivait une voiture de sport rouge.
Celle dans laquelle avait péri Iris.
Elle roulait inlassablement à une vitesse folle, le décor semblait la poursuivre, et dès qu’elle me dépassa, je me retrouvai de nouveau dans la pièce sombre, face à ma sœur. Celle-ci reprit la parole, toujours de sa terrifiante voix grave :
-J’ai été droguée… avec de la rêveble.
De nouveau, la lumière m’éblouit, et je me retrouvai sur la même autoroute. Encore une fois, la voiture passa près de moi, me dépassa, emportant le décor avec elle, et je faisais de nouveau face à Iris.
-Cette personne…, continua-t-elle.
Avant qu’elle ne finisse, je perçus à nouveau le ronronnement de sa voiture, sans pour autant la voir.
Je ne m’en plains pas, ce que j’entendis après me suffit amplement.
Le bruit se rapprochant, je sentis un courant d’air me traverser, et soudain… Le fracas d’une collision, une grande explosion, un feu crépitant, et ma sœur finit la phrase qu’elle avait commencée :
-…m’a assassinée.
Je fus forcée, par une poussée invisible, de fermer les yeux, pour les rouvrir devant… un incendie. La fumée montait si haut dans le ciel et était si dense que je ne voyais plus les étoiles. Quant aux flammes, elles partaient…d’une voiture de sport rouge.
A ce que je vis, la conductrice – ma sœur – avait raté un virage, et était rentrée dans un mur, probablement la collision que j’avais entendue quelques secondes auparavant. L’Iris dans la voiture mourrait sous mes yeux impuissants, mais l’autre Iris, celle qui m’avait amenée ici, était à mes côtés, regardant sans broncher le triste spectacle.
-Comprends-tu…, prononça-t-elle.
…Hm ? Et la suite, qu’était-ce ? En réponse à ma question silencieuse, la scène se voila de mires, comme sur une télévision. Pas le ciel, ni la route, mais la voiture. Par moment elle se transformait en camionnette bleue. J’eus l’horrible impression de comprendre.
-…pourquoi je me suis…, reprit ma sœur.
Et pour la première fois depuis que j’étais là, Iris se tourna vers moi, pour me parler directement. Pour me dire un seul mot, certes, mais il suffit à me glacer le sang.
-…vengée ?
Mes yeux mirent quelques instants avant de pouvoir s’ouvrir. Endolorie, ma tête semblait peser des tonnes. Quand enfin mes jambes semblèrent capables de me soutenir, je me redressais – en faisant bien attention à ne pas me fracturer le crâne à cause de cette maudite fenêtre au dessus de ma tête – et examinai mon salon. Rien n’avait bougé durant mon… absence.
Ce n’est rien, me dis-je, plus pour me rassurer que pour autre chose, tu as juste rêvé. Ça peut arriver à tout le monde de se prendre une fenêtre et de s’évanouir ensuite.
Peut-être, mais il fallait quant même reconnaître que cela n’arrivait pas souvent. Je me rendis soudain compte que je m’étais trompée : quelque chose avait bien changé dans mon appartement. Pendant ma convalescence, ma main ne s’était pas arrêtée de saigner, si peu soit il. En fait, à peine quelques goûtes avaient quitté le sanctuaire de mon corps, pour former une petite tâche sur la télécommande de la télévision, sur un touche, la deuxième.
Ne croyant pas aux coïncidences, je ne pouvais m’empêcher de penser de j’avais devant moi le dernier message de ma sœur. Je le pris, allumai mon poste avec, appuyai sur la touche couverte de sang et attendis. A cette heure tardive passait le JT de minuit, et la présentatrice annonçait… un accident de voiture ! J’augmentai le volume.
-Cette nuit, disait gravement la journaliste, un homme, Victor Vindicta, a trouvé la mort sur l’autoroute A6 dans sa camionnette bleue, en rentrant malencontreusement en collision avec un mur, à l’endroit même, mètre pour mètre, où son ancienne secrétaire, Iris Sparidam, a eu un accident mortel très semblable. Est-ce là une simple coïncidence ? Nos experts…
Je n’écoutai pas plus, je n’en avais pas besoin. Inutiles de demander l’avis de gens totalement ignorants, moi seule savais ce qu’il se tramait ici bas.
-Iris, soufflai-je, comment as-tu pus ?
Voilà, maintenant, vous savez tout. Un conseil, à l’avenir, ne sous-estimez jamais les morts. Ils peuvent parfois se révéler beaucoup plus dangereux que nous ne le croyions.
Le début peut paraître bancal, mais c'est parce qu'il m'a été imposé par les jurys du concours (ouais ouais, je l'ai écrit pour un concours d'écriture. Dit en passant, il a reçu la 1e place^^)
· Il y a plus de 12 ans ·Holly Storm