Virée lunatique utopique (Utopik)

Lea

Ce périple sous l’emprise d’acide lysergique ne fut pas le seul, il demeure néanmoins différent. Il m’a changée à vie. Bien que troublée, j’en garde un souvenir aussi clair que ce liquide psychotrope.

La forêt nous encercle bientôt tandis-ce que l'on se rapproche de ce lieu tant convoité. Ce lieu est exceptionnel. Une clairière où trône une maison abandonnée en ruine. La première visite dans la pénombre commence. Le son n'est pas si apprécié par nous autres impatients. La discussion suit son court .A notre plus grand bonheur le son varie enfin vers une passionnante atmosphère, plus sombre, plus brusque et aux arrières goûts malsains. La quête commence alors. Toujours dans la pénombre. Encore une nouvelle expérience en vue cette nuit. Vrai périple fût cette quête. La prise est rapide, elle donne ce délicat coup d'adrénaline si particulier. On sait très bien ce que l'on fait.
Un imprévu vient s'immiscer dans notre soirée qui ne faisait que commencer. Répression récessive,  barrière contre notre plaisir. Tout cela n'est dû qu'à certains "génies" parmi nous qui ont signalée notre présence en s'amusant de manière puérile. Tout doit être démonté, peut être remonté plus loin ? Ailleurs ? Aucune idée. Nous décidons de marcher pour aller à une autre liturgie. Allons vénérer des sonorités de basses. Nous voilà sur ce chemin, puis dans cette forêt essayant de contourner les voleurs de notre extase. Nous avons perdu nos compagnons. Nous les attendons perchés sur un perchoir de garde forestier. Le temps passe, l'euphorie est à son comble et les couleurs commencent à changer. Saturation progressive. Après un long moment de quête indifférente, nous retrouvons nos amis au bout d'un de nos parcours.
Nous savons enfin quelque chose. Nous savons à présent qu'une saisie est envisagée. Pas de son pour ce soir. La marche reprend malgré elle voguant entre indécisions et hésitations. Les couleurs sont désormais fabuleuses. La forêt s'achève. Les champs nous entourent à présent sous un ciel nuancé de violet, d'orange et de bleu.

Nous admirons avec stupeur ce paysage inspirant.

Quelques bosquets forment des images fractales. Ces arbres sont en train de bouger, d'onduler sous nos yeux ébahis.

Main dans la main, dans un rire prenant nous avançons vers ce qui ressemble à la gare par laquelle nous sommes arrivés quelques heures auparavant.

Les autres amateurs de techno on formés plusieurs groupes. Certains on installées leur tente et écoutent de la musique, d'autre sont simplement assis et discutent et d'autres se sont arrêtés avant la gare et se sont installés face à un champ.

 

Après avoir fait le tour, ayant encore une fois perdu nos amis nous décidons que marcher alimenterait notre formidable errance. C'est ainsi que nous longeons tous les trois les voix ferrées sur plusieurs centaines de mètres. Le rire est toujours présent. Nous n'avons pas cessés de rire depuis que nous avons quittée notre brève agape.

Notre conscience nous rattrape et nous décidons de rejoindre nos amis qui doivent être dans le groupe près du champ. Arrivés là-bas, nous les retrouvons rapidement et décidons d'explorer ce fameux champ avec une amie.

Au sommet d'une colline nous contemplons le ciel, les autres voyageurs. Nous admirons notre semblant de liberté filant tel le vent sur nos tempes. Nous retournons près des autres, laissons notre amie puis décidons de retourner vers la gare. Nous nous asseyons un instant sur des escaliers mais quelques minutes plus tard, un des fêtards arrive et est dans un état critique. Bien alcoolisé, en tentant d'escalader un grillage il a glissé sur une des pointes du grillage et s'est entaillé l'intérieur du poignet sur plus d'un centimètre de profondeur.

C'est à cet instant que je réalise que mes sens sont exacerbés.

De véritables frissons d'angoisse s'emparent de moi tandis que je cherche à tout prix à m'écarter de là. Je me sens tout simplement mal à cause de ce qui arrive à ce jeune homme.

Mon empathie prend une ampleur inimaginable.

Je m'écarte et marche seule pour me calmer, mais rien n'y fait. Je ne comprends pas pourquoi je suis tant affectée.

Je m'assois plus loin et tente de penser à autre chose mais cela m'est impossible.

Je retourne voir mes amis qui plaisantent toujours et je leur annonce que je vais rejoindre le groupe face au champ. Un de mes compagnons présent me suit. Arrivés là-bas, nous racontons ce qu‘il se passe à la gare. Quelques minutes s'écoulent et je vois de loin que l'ambulance est arrivée. Je suis rassurée. Longtemps après, l'ambulance est toujours là. Ça doit être grave. Mon soulagement s'éteint et laisse de nouveau place à l'angoisse. Je me sens extrêmement oppressée et sens un poids s'engouffrer dans mes songes.

Je décide de m'écarter encore plus et retourne sur la colline. Main dans la main nous avançons face à la calme brise de la nuit. J'explique mon mal être à mon ami. Je me rassure en me disant que je suis simplement un peu trop humaine. Il m'aide à me canaliser. Les autres se sont déplacés au bout de la colline sur laquelle nous sommes.

Instinctivement, nous descendons de la colline et nous dirigeons vers l'un des champs voisins.

Sans une once de réflexion, nous marchons parmi les épis de blés luisants sous le ciel qui s'éclaircit. Mon ami s'assoit et creuse une sorte de siège entouré du blé doré.

Il observe attentivement la vue qui s'offre à lui. Moi aussi, bien que je n'ai pas la même en étant debout.

Il me dit de m'asseoir comme lui.

Ainsi le haut des épis est à hauteur de mes yeux. Ils frémissent sous la danse du vent.

C'est tout simplement fascinant. Plus les minutes s'écoulent, plus mon angoisse disparaît et est remplacée par un sentiment de bien-être. La conversation continue, plus étoffée.

Je réalise que je me sens comme enveloppée par le blé.

Celui-ci se met à s'animer. Les épis de blé bougent et me font penser à des vers. C'est comme si nous étions baignés dans un paisible lit de vers dorés bienfaisants. Ce cocon décuple ma sérénité. Je me sens déconnectée du monde qui m'entoure, le temps n'a plus aucune notion et plus rien n'a d'importance. Mon ami me pose des questions sur mon passé, probablement car il sent mon mal être s'effacer progressivement mais rester logé dans un coin de mes yeux. Il me pose des questions fascinantes.

Nous parlons du subconscient, de notre passé, d'anecdotes étrangement similaires.

Au fur et à mesure, je comprends des choses que je suis maintenant incapable d'expliquer de par leur complexité. Je comprends des choses sur moi qui m'ont changée pour toujours. J'en suis à ce jour encore troublée. Je me sens plus perturbée que jamais mais ce sentiment ne me dérange pas, il me fascine.

Nous observons le ciel évoluer sous le jeu du temps et continuons de parler.

Tandis que le jour se lève nous quittons avec regret ce miraculeux nirvana pour retrouver les autres. Nous les retrouvons à la gare, tous assis avec une occupation propre à chacun. Certains discutent, d'autres dorment, d'autres fument ou mangent. L'ambiance est assez agréable mais quelques tensions demeurent à cause de la fatigue de certains. Les couleurs sont toujours un peu saturées, c'est plaisant.

 

Nous attendons le premier train qui nous ramènera à Paris. Commencera alors le retour à la vie réelle. Malheureusement. Toute nuit a sa fin. Bien que nous soyons des êtres de la nuit, la réalité nous rattrape. On nous remarque, on nous regarde. Avec du mépris ou de l'indifférence, on nous regarde. C'est le principal.

Certains dorment la nuit, les normes sont trop présentes. Pourquoi dormir la nuit ?

Pour nous ça paraît évident.

On va tous mourir un jour, alors on vit la nuit.

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